Le parti Anticapitalistas, la faction du parti de pseudo-gauche Podemos au pouvoir en Espagne, liée au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) pabliste français, menace de quitter le gouvernement espagnol.
Selon un vote électronique de la direction d'Anticapitalistas divulgué la semaine dernière, ils ne se présenteront pas à la troisième Assemblée de l'État des citoyens de Podemos, le principal organe de direction du parti, le 21 mars prochain. Ils pourraient toutefois présenter des candidats jusqu'au 17 février.
Cette manoeuvre d' Anticapitalistas pue l'hypocrisie. Ils essaient de se protéger de la colère croissante des travailleurs et des couches de la classe moyenne contre les politiques réactionnaires du gouvernement du Parti socialiste espagnol (PSOE)-Podemos, qui est engagé dans des politiques d'austérité, de militarisme et d'État policier. Ils parlent d'abandonner le gouvernement quelques jours seulement après une grève générale au Pays basque espagnol en défense des retraites et les protestations en «gilet jaune» des agriculteurs espagnols.
Le député européen d'Anticapitalistas Miguel Urbán a qualifié la coalition de son parti avec le Parti socialiste espagnol de «gouvernement de libre marché social du PSOE avec quelques ministres de gauche en son sein». Il a ensuite parlé du risque de «désaffection et de frustration» provoquées par les «politiques néolibérales» du gouvernement: c'est-à-dire son propre parti.
Le départ proposé d'Anticapitalistas du gouvernement PSOE-Podemos est une fraude politique. Même s'ils s'apprêtent à partir, les Anticapitalistas font clairement savoir qu'ils n'ont aucun désaccord de principe avec le gouvernement et qu'ils travailleront à nouveau avec lui sur la base de ses politiques de droite. Ils partent non pas pour s'opposer à Podemos et au PSOE, mais pour fournir aux partis au pouvoir une mince couverture politique contre la colère croissante des travailleurs et des jeunes.
La dirigeante d'Anticapitalistes Teresa Rodríguez a insisté mercredi dans une vidéo commune avec le secrétaire général de Podemos et le vice-premier ministre Pablo Iglesias sur le fait que les anticapitalistes et Podemos maintiendront des relations étroites et amicales. Tout en annonçant qu'elle n’allait pas briguer l'investiture de Podemos dans la région sud de l'Andalousie, elle a souligné qu'elle resterait une alliée de Podemos.
Rodríguez a déclaré: «Je crois qu'en politique comme dans la vie, il y a des manières de se séparer qui sont agressives, violentes et patriarcales, et puis il y a des manières civilisées, respectueuses, empathiques et même aimantes, qui sont les plus saines, qui peuvent être construites et qui sont possibles en politique. Voilà la signification du message que nous envoyons aujourd'hui.»
Elle a souligné les «divergences» des Anticapitalistas sur la stratégie du gouvernement: «L'Andalousie doit être dirigée par une équipe en harmonie avec ce qui a été décidé par la majorité des dirigeants et des membres de Podemos». Autrement dit, Rodríguez souhaite que sa région soit dirigée par une équipe en harmonie avec le gouvernement du PSOE-Podemos. Elle a ajouté qu'elle «espère se tromper en s'inquiétant de la coalition gouvernementale» et souhaite «sincèrement la meilleure des chances à Pablo et à son équipe».
En tweetant la vidéo, Iglesias a fait un commentaire: «En politique comme dans la vie, les chemins se séparent parfois. Merci à Teresa et à son équipe pour leur loyauté. Merci de faire cela avec maturité. Cet au revoir n'est qu'un "à bientôt". Depuis différents espaces, nous nous réunirons pour défendre la justice sociale. Bonne chance!»
C'est le résumé de ses propos dans la vidéo avec Rodríguez, où il la félicite d'avoir donné un «exemple de la façon de faire les choses correctement», répétant: «Il n'y a pas d'adieu, seulement un "à bientôt".»
Le quotidien pro-PSOE El País a également approuvé, écrivant que le départ d'Anticapitalistas renforcerait le stalinien Iglesias: «La conclusion partagée par différents dirigeants d'Anticapitalistas est que, étant en dehors de Podemos, l'image d'Iglesias en tant que leader de la gauche radicale espagnole serait adoucie. "Pablo en serait le grand bénéficiaire", a conclu un dirigeant d'Anticapitalistas, s'adressant à ce journal. La conséquence la plus immédiate est que le profil modéré de Podemos serait renforcé.»
Si Rodríguez appelle à une rupture «aimante» avec Podemos, c'est parce qu'elle partage l'orientation anti-travailleuse des agents petits-bourgeois de la pseudo-gauche qui composent ce parti. Cinq ans après que son allié grec Syriza («la Coalition de la gauche radicale») eut trahi ses promesses électorales de 2015 et imposé des milliards d'euros d'austérité au peuple grec, Podemos est devenu à son tour un synonyme de politique de droite. Le gouvernement PSOE-Podemos s'est engagé à imposer 8 milliards d'euros de mesures d'austérité sociale en 2020, tout en défendant les lois du travail précédemment adoptées qui ont durement attaqué les conditions de travail.
Le gouvernement a également poursuivi les politiques anti-migrantes de ses prédécesseurs, soutenant la terreur policière du Maroc à l'égard des migrants pour les empêcher de traverser la Méditerranée vers l'Espagne, tout en incarcérant les migrants dans des centres de détention ou en les expulsant vers leur pays d'origine.
Il a poursuivi le renforcement de l'État policier en Espagne, en envoyant la police s'attaquer brutalement aux grèves et aux protestations des agriculteurs et en arrêtant les grévistes. Il a adopté une «loi sur la sécurité numérique» qui permet à l'État de couper les communications numériques, l'infrastructure internet et les applications à volonté, sans ordonnance du tribunal.
Il a également œuvré à la suppression des états de service du tristement célèbre tortionnaire fasciste Antonio González Pacheco. Mieux connu sous le nom de «Billy El Niño» (Billy le Kid), Pacheco était l'un des tortionnaires les plus craints de la dictature fasciste du général Francisco Franco de 1939 à 1978.
Bien qu'il soit toujours en vie, Pacheco n'a jamais répondu de ses crimes.
Bien qu'il ait une relation «aimante» avec ces politiques réactionnaires, Anticapitalistas envisage de quitter Podemos.
Le parti craint la montée en puissance internationale de la classe ouvrière, qui se rebelle contre les niveaux obscènes d'inégalités sociales produites par le capitalisme. En Espagne, une grève générale au Pays basque a paralysé la région il y a deux semaines. Elle s'est déroulée sous le slogan «Emplois, pensions et vie décente» et a été suivie de protestations des agriculteurs. Internationalement, des grèves ont éclaté dans les industries automobiles américaine et mexicaine, contre les réductions des retraites du président français Emmanuel Macron et contre les lois anti-musulmanes en Inde.
Si Anticapitalistas finit par quitter le gouvernement, ils s'emploieront à rassembler les organisations petites-bourgeoises pour désorienter et réprimer l'opposition de la classe ouvrière à Podemos. D'autres groupes appelant à un «regroupement» des organisations de pseudo-gauche comme Anticapitalistas ont déjà signalé leur intérêt pour une alliance avec eux.
Le groupe Corriente Revolucionaria de Trabajadores y Trabajadoras (Courant révolutionnaire de travailleurs et travailleuses – CRT) a appelé les pablistes à se joindre à eux dans un nouveau «front anticapitaliste». En novembre dernier, le groupe a publié une lettre ouverte à Anticapitalistas dans laquelle il affirmait: «Si nous ne parvenons pas à mettre en place une alternative politique de gauche face à l'échec inévitable de Podemos dans un gouvernement qui ne changera rien, ceux qui profiteront du mécontentement seront la droite et l'extrême droite».
Le député européen d'Anticapitalistas Urbán a clairement indiqué qu'Anticapitalistas pourrait être intéressé par l'offre du groupe CRT. L'objectif serait de construire une organisation pour désorienter et saboter les actions de la classe ouvrière contre le gouvernement de Podemos, que soutient Anticapitalistas.
Urbán a déclaré à EFE: «Il doit y avoir une gauche sociale dans les rues et sur les places, et aussi une gauche politique qui n'entre pas [dans le gouvernement]. Une gauche qui peut escorter le gouvernement quand les choses sont bien faites et critiquer et faire pression quand les choses sont mal faites». Il a déclaré que les Anticapitalistas «sont prêts à entreprendre cette tâche» de construire cette «alternative... avec beaucoup de gens de la gauche politique et sociale».
La complicité des pablistes dans le gouvernement réactionnaire du PSOE et Podemos justifie la critique du Comité international de la Quatrième Internationale à l'égard de leur politique de pseudo-gauche. La seule façon d'avancer est de mobiliser la classe ouvrière, en Espagne, en Europe et au niveau international, indépendamment des groupes de pseudo-gauche comme Podemos et en opposition à eux. Cela nécessite la création d'une section du CIQI en Espagne pour reprendre ses traditions de lutte politique intransigeante contre les tendances staliniennes et pablistes qui composent Podemos.
(Article paru en anglais le 13 février 2020)