Le gouvernement du Parti socialiste espagnol (PSOE) et de Podemos, soutenu par l'Union européenne (UE), a réagi à l’arrivée en territoire espagnol de migrants désespérés venant du Maroc en déployant l'armée, les forces spéciales et la police anti-émeute pour attraper et expulser des milliers d’entre eux. Il menace de recourir à une violence massive pour empêcher de nouvelles entrées transfrontalières et attiser les tensions avec le Maroc.
Ces scènes horrifiantes témoignent du caractère barbare du système capitaliste. À un bout de la Méditerranée, Israël bombarde la population sans défense de Gaza avec le soutien de Washington et de l'UE et à l'autre bout l'UE fait jouer la brutalité de sa politique anti-immigrés. En même temps que les armées de l'UE déploient une force maximale contre les migrants, des milliers d'entre eux se noient chaque année dans la Méditerranée.
Lundi, tôt le matin, des centaines de migrants, pour la plupart des hommes jeunes, des adolescents et des enfants, mais aussi des familles entières avec des bébés, ont commencé à entrer dans l'enclave espagnole de Ceuta, au nord du Maroc. La plupart ont contourné à la nage la clôture de six mètres qui s'avance dans la mer ou ont traversé à pied à marée basse. Beaucoup d’entre eux ont utilisé des pneus gonflables ou des canots pneumatiques. Mardi soir, leur nombre atteignait 8.000, dont 1.500 mineurs.
Plusieurs ont dû être traités pour hypothermie et au moins une personne s'est noyée.
Des informations indiquent que la plupart viennent du Maroc, où les répercussions de la crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19 ont conduit à une augmentation dramatique de la pauvreté et du chômage. Un tiers des familles ont perdu leur principale source de revenus au cours de l'année écoulée.
Le gouvernement PSOE-Podemos, promu dans les médias comme ayant une politique plus «humaine» envers les migrants lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 2018, a réagi violemment, dénonçant ces personnes sans défense comme une menace pour la sécurité nationale.
Parlant des résidents espagnols de Ceuta, le premier ministre Pedro Sánchez a déclaré que son gouvernement réagirait avec «la plus grande fermeté pour assurer leur sécurité et défendre leur intégrité en tant que partie du pays face à toute menace». La vice-première ministre Carmen Calvo parla d '«agression» contre les frontières espagnoles, accusant le Maroc de l'avoir permise.
Mardi, des centaines de soldats en véhicules blindés ont été déployés sur les plages. Plus de 200 policiers anti-émeutes ont été mobilisés pour soutenir les 1.100 policiers déjà stationnés à Ceuta. Les soldats et la police ont chassé les migrants de la plage à coups de matraques et ont lancé des bombes fumigènes pour dissuader les autres de traverser. L’unité anti-classe ouvrière GRS de la Guardia Civil, spécialisée dans la répression des grèves et manifestations, a également été déployée.
Les migrants adultes trouvés dans la rue ont été emmenés au stade Benoliel puis expulsés, en violation du droit international, portant leur nombre à plus de 4 000 expulsés vers le Maroc en 24 heures.
Selon El País, les expulsions ont été effectuées sans aucune formalité juridique. Le Barreau de Ceuta a confirmé que ses avocats n'avaient même pas été invités à assister juridiquement les rapatriés, comme l'exige la loi et comme cela se produit souvent en cas d'afflux soudain de migrants.
L'UE a rapidement approuvé la réaction impitoyable de l'Espagne. La vice-présidente de la Commission européenne, Margaritis Schinas, a tweeté que la frontière de l'enclave était une frontière européenne, exprimant sa «pleine solidarité avec l'Espagne» et appelant à «une forte protection de nos frontières».
Le Parti communiste espagnol, qui fait partie de la coalition Podemos au gouvernement, l'a également soutenue, déclarant cyniquement: «L'Espagne doit défendre sa souveraineté et le respect du droit international contre le chantage du Maroc, qui n'hésite pas à mettre la vie de milliers de personnes en danger. »
C'était là apparemment une référence aux tensions accrues entre Madrid et Rabat au sujet de la guerre du Sahara occidental entre le Maroc et le Polisario, le mouvement indépendantiste sahraoui exigeant du Maroc l'indépendance du Sahara occidental. Plus tôt ce mois-ci, Madrid avait décidé d'accueillir secrètement Brahim Ghali, le chef du Front Polisario nationaliste bourgeois, également soutenu par l'Algérie. Ghali a été hospitalisé dans le nord de l'Espagne, après avoir été infecté par le COVID-19.
Après la fuite de cette nouvelle, le ministre marocain des Affaires étrangères Naser Burita a demandé si Madrid prévoyait de «sacrifier les relations avec le Maroc» en omettant d’informer Rabat de la présence de Ghali en Espagne. «Pourquoi l'Espagne ne considère-t-elle pas [qu'elle] devrait avoir à informer le Maroc de la présence de Ghali ? Serait-elle plutôt d'accord avec les ennemis du Maroc? C'est un test pour notre relation », a déclaré Burita. Les médias espagnols laissent entendre que la décision de Rabat d'autoriser les migrants à entrer en Espagne était sa réponse à ces tensions diplomatiques.
Quel que soit le bien-fondé d’allégations que la monarchie marocaine a délibérément ouvert ses frontières, les vrais criminels sont ici l'UE et le gouvernement PSOE-Podemos. Des masses de victimes des guerres impérialistes fuyant la pauvreté et la faim dans des pays brutalement exploités par des sociétés transnationales sont pourchassées par les forces de sécurité de l'UE et Frontex, l'agence de sécurité aux frontières, et on les laisse mourir en mer par milliers. Des milliers d'autres sont emprisonnées dans des camps de concentration en Grèce et dans les îles Canaries espagnoles.
La déclaration de Sánchez selon laquelle il doit défendre l'intégrité territoriale de l'Espagne contre les migrants arrivant à Ceuta est une menace à peine voilée qu’on utilisera contre eux une force meurtrière. En cela, Sánchez est aidé par des médias corrompus, qui dénoncent les «caravanes» de migrants et qualifie l’arrivée de migrants d '«invasion».
Pour comprendre la nature de ces menaces, il faut se souvenir du tristement célèbre massacre de Tarajal en 2014, lorsque des policiers lourdement armés ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur des migrants qui tentaient d’atteindre Ceuta à la nage. Cela a coûté la vie à 15 personnes, la plupart se noyant après avoir suffoqué dans l'eau à cause des lacrymogènes. La police a par la suite été innocentée de toutes les accusations.
La violence contre ces migrants est un avertissement à la classe ouvrière en Espagne, en Europe et à l’international. Le capitalisme mondial est confronté à sa crise sociale et économique la plus profonde depuis les années 1930, dû à la pandémie et à la colère croissante de la classe ouvrière face à des gouvernements lui disant de «vivre avec le virus» et ayant déjà causé des millions de morts. Un gouvernement qui peut si rapidement envoyer les forces armées contre des migrants sans défense se prépare également à le faire dans le pays même.
L'extrême droite européenne s’est emparé rapidement de la politique anti-migrants brutale du gouvernement PSOE-Podemos pour exiger des mesures similaires dans leur propre pays. Matteo Salvini, chef du parti d'extrême-droite italien Lega, a tweeté: «L'Espagne, avec un gouvernement de gauche, déploie l'armée à sa frontière pour bloquer les entrées illégales. Nous attendons des nouvelles du Viminale [ministère de l'Intérieur].» Salvini a suggéré que l'Italie déploie également l'armée contre les migrants.
En France, la dirigeante du Rassemblement national d'extrême droite, Marine Le Pen, a accusé l'UE d’être responsable de l'afflux massif d'immigrants à Ceuta, déclarant: «Contrairement aux propos rassurants de nos dirigeants, l'UE est une passoire où tout le monde entre ! Il faut que cela cesse ! » Cela survient quelques semaines à peine après qu'elle ait soutenu les lettres fascisantes signées par 23 généraux à la retraite et des milliers de militaires en service actif dénonçant les musulmans et les banlieues ouvrières françaises et s'engageant à intervenir et à tuer des milliers de personnes en France.
En Espagne, le leader d'extrême droite Vox, Santiago Abascal, a attaqué Sánchez sur esRadio pour ne pas être assez violent, disant: «Il ne peut y avoir qu'une réponse et c’est celle de la force en ce moment. Il faut envoyer l'armée non pas pour observer: mais faire le nécessaire. » Abascal a déclaré que les migrants «ne sont pas des réfugiés, ce sont des soldats qui obéissent à leur gouvernement», faisant référence au Maroc.
De telles remarques ne font que souligner le caractère réactionnaire de l'establishment européen dans son ensemble. En effet, le parti petit-bourgeois de la pseudo-gauche Podemos, après s'être présenté comme un parti «démocratique radical» après sa fondation en 2014, travaille à présent avec le PSOE pour mettre en œuvre une politique anti-immigrés définie par l'extrême droite.
Il y a exactement 85 ans, en 1936, des unités de l'armée espagnole formées à utiliser la violence sanglante au Maroc ont lancé un coup d'État et une guerre civile qui ont installé une dictature fasciste de quatre décennies en Espagne sous le commandement du général Franco. Alors que des officiers espagnols proches de Vox menacent aujourd'hui d’un coup d'État et dénoncent des grèves exigeant une politique de confinement à domicile contre le coronavirus, un avertissement urgent s’impose. Il est essentiel de s'opposer à cette attaque brutale contre les migrants car l'histoire montre que cette violence est inévitablement retournée contre les travailleurs dans le pays.
(Article paru en anglais le 19 mai 2021)