1. Au début de cette nouvelle année, la pandémie de COVID-19 est entrée dans sa phase la plus dangereuse et la plus meurtrière. Le variant Omicron, identifié pour la première fois fin novembre 2021, est désormais la souche dominante au plan mondial. Il se propage à une vitesse extraordinaire en Europe et aux États-Unis, propulsant les nouveaux cas quotidiens au niveau le plus élevé jamais enregistré. Au cours de la dernière semaine de 2021, les infections quotidiennes moyennes aux États-Unis approchaient les 500.000.
2. La pandémie est une catastrophe aux dimensions historiques. Elle est également un crime car son impact désastreux est le résultat des décisions prises par les gouvernements capitalistes – d’abord et avant tout ceux des États-Unis et d’Europe occidentale – qui ont donné délibérément la priorité aux profits sur les vies. Ils ont rejeté la mise en œuvre des mesures sanitaires requises pour éliminer le SRAS-CoV-2 et ont au contraire adopté des politiques permettant au virus de se propager furieusement dans la population mondiale.
3. Tout au long de l’année 2020 et pendant une bonne partie de 2021, les gouvernements et les médias ont maintenu le simulacre que la lutte contre la pandémie pouvait être menée avec succès sur une base favorable aux entreprises, en combinant les vaccinations à un assortiment éclectique de mesures d’atténuation. Cette manière d’agir, affirmaient-ils, permettrait aux écoles de rouvrir en toute sécurité et aux travailleurs de continuer à travailler. Ces affirmations étaient dès le départ fondées sur la suppression délibérée d’une science qui avait établi que le SRAS-CoV-2 se transmettait principalement par les aérosols, de petites particules qui restent dans l’air pendant des heures. Les espaces intérieurs sans filtration de l’air et sans ventilation adéquates, comme la grande majorité des écoles et des lieux de travail, ont ainsi été les principaux centres de transmission du virus. Un mensonge encore plus fondamental fut que la pandémie pouvait être supprimée sur la base d’initiatives nationales, ce qui légitimait l’absence d’une stratégie mondiale et de programmes efficaces pour mettre les vaccins à la disposition de tous les pays. Mais l’éruption du variant Omicron a totalement démoli tous ces mensonges et ces fausses stratégies.
4. La réponse à Omicron a été l’effondrement complet de la prétention des gouvernements à vouloir mettre fin à la pandémie. Sous l’impulsion des États-Unis et de l’Europe occidentale, la stratégie poursuivie ouvertement par la plupart des gouvernements du monde est celle de l’«immunité collective». La conception sous-jacente de cette politique criminelle est qu’à un moment donné – pas encore connu – tant de personnes se trouveraient infectées que le virus épuiserait le réservoir de victimes facilement accessibles. Comme le soulignait le Financial Times dans son éditorial du 3 janvier: «il est raisonnable de conclure que l’interaction entre le virus et le système immunitaire humain signifie que plus le nombre de personnes acquérant une certaine protection contre les symptômes graves de la Covid à travers la vaccination ou l’infection est élevé, meilleures seront les perspectives».
5. Il convient de remarquer tout particulièrement que le FT n’envisage même pas la possibilité d’éliminer la maladie. «La maigre chance que nous pouvions avoir au début de 2020 d’éliminer la Covid-19 s’est envolée depuis longtemps», affirme-t-il. «Les efforts pour contrôler la pandémie étaient justifiés jusqu’à présent dans le contexte d’une crise sanitaire mondiale, mais ils ne peuvent pas continuer indéfiniment. Les dommages collatéraux – sur la santé mentale et le bien-être, la cohésion sociale et l’économie mondiale – seraient trop importants».
6. La portée de cette déclaration est claire: le SRAS-CoV-2 persistera pendant des années, voire des décennies, en tant que maladie endémique. Quelle en sera la conséquence en termes de souffrance et de vies humaines? Les oligarchies industrielles et financières et les gouvernements qu’elles contrôlent s’en moquent éperdument. Il existe profondément ancré dans la classe capitaliste un état d’esprit anti-social odieux. Celle-ci ne regarde pas le nombre des morts mais la valorisation du marché boursier.
7. Charles Dickens a décrit les années précédant la Révolution française comme «la meilleure des époques» et comme «la pire des époques». Combien ces mots s’appliquent à la réalité actuelle. Pour la classe capitaliste, les années de pandémie ont été rien moins qu’une bénédiction. La valeur boursière d’Apple a monté de 125 pour cent pour atteindre plus de trois mille milliards de dollars. Celle de Microsoft de 110 pour cent, atteignant deux mille milliards et demi ; celle d’Alphabet de 108 pour cent pour atteindre presque deux mille milliards de dollars. La valeur de Tesla, contrôlée par le sociopathe Elon Musk, a augmenté de 1.311 pour cent pour atteindre plus de mille milliards de dollars. La richesse collective des 5 pour cent les plus riches et des sections les plus aisées de la classe moyenne a explosé.
8. Mais l’écrasante majorité de la société a vécu la «pire des époques». Les statistiques officielles indiquent que durant les deux années ayant suivi le début de la pandémie, 5,5 millions de personnes sont mortes. Cela comprend les plus de 840.000 personnes pour les seuls États-Unis. Mais le véritable bilan, mesuré aux « morts excédentaires » par rapport à ce qu’il y aurait eu sans pandémie, est estimé à plus de 18 millions. Le total des décès dus à la pandémie en seulement deux ans, depuis janvier 2020, rivalise ainsi avec les quelque 20 millions de décès militaires et civils des quatre années de la Première Guerre mondiale (1914-1918).
9. Le bilan des décès, aussi terrible soit-il, n’est qu’une mesure inadéquate de l’impact dévastateur de la pandémie. Un grand pourcentage de ceux infectés par le SRAS-CoV-2 restent aux prises avec des symptômes prolongés connus sous le nom de COVID longue durée, qui affectent des systèmes organiques multiples et causent un large éventail d’effets débilitants, physiquement douloureux et émotionnellement marquants. Selon un rapport publié en ligne par EClinicalMedicine en juillet 2021, la majorité des personnes interrogées dans le cadre de cette étude ont eu besoin de plus de 35 semaines (presque neuf mois) pour se remettre de la COVID longue durée.
10. Un tel résultat n’était pas inévitable. L’expérience de la Chine, qui a une population de 1,4 milliard d’habitants, démontre qu’une politique de «zéro COVID» est à la fois viable et extrêmement efficace. En appliquant cette politique, la Chine a réussi à limiter le nombre de décès à moins de 5.000, avec seulement deux décès depuis mai 2020.
11. Ayant rejeté l’option de l’élimination du virus, les médias américains et européens présentent la politique de la Chine comme une réponse brutale, voire bizarre, à la maladie. Le gouvernement chinois est certainement «autoritaire». Mais ce terme est appliqué malicieusement pour discréditer une réponse correcte à la pandémie, qui bénéficie d’un large soutien public. En fait, la Chine a jusqu’à présent été en mesure de contenir le virus en utilisant des mesures sanitaires de base développées au fil des siècles – comme les confinements ciblés, les tests de masse et la recherche des contacts, et l’isolement des personnes contaminées.
12. Le recours à la quarantaine pour stopper les infections, par exemple, est une méthode de prévention des maladies qui remonte à l’époque de la peste noire dans la Venise du XIVe siècle. Bien sûr, les moyens modernes de mise en quarantaine des malades sont beaucoup plus sophistiqués et humains que ce qui était possible dans les conditions primitives d’il y a 800 ans. Mais même dans l’Europe médiévale, la mort était considérée comme le pire résultat d’une maladie, à éviter dans la mesure du possible. Comment se fait-il qu’au XXIe siècle, des pays disposant des technologies les plus avancées décident, par principe, de considérer la perte de vies humaines comme préférable à la perte d’argent? La réaction brutale de l’«immunité collective» adoptée par les gouvernements capitalistes actuels – qui rejette délibérément les mesures qui pourraient arrêter la transmission du SRAS-CoV-2 et mettre fin à la pandémie – représente une horrifiante régression sociale et morale.
13. Trotsky a une fois observé que la nécessité dans l’histoire «se réalise par la sélection naturelle d’accidents». Qu’un virus de chauve-souris particulier ait infecté des humains sur un marché de Wuhan, entraînant l’infection zoonotique d’un humain, était un accident. Mais la possibilité d’un tel incident – enraciné dans une interaction complexe de conditions sociales, économiques et environnementales – avait été prévu par les scientifiques. Dans ce sens historique, le transfert zoonotique du virus était «un accident qui devait se produire». De même, l’absence de préparation sérieuse à un tel incident de la part des principaux pays capitalistes et la série de décisions désastreuses qui ont suivi, furent déterminées par les structures historiquement obsolètes du capitalisme mondial et les intérêts sociaux et économiques réactionnaires de sa classe dirigeante.
La santé publique et le progrès social dans l’histoire
14. L’état de la santé publique est l’un des indices les plus cruciaux du progrès social et de l’état général de la société. Les progrès de l’hygiène publique, la compréhension de l’organisme humain, le traitement des maladies, la reconnaissance de l’importance d’un environnement antiseptique pour combattre les infections, le développement de vaccins et d’antibiotiques, la baisse de la mortalité infantile et l’augmentation de l’espérance de vie ; de telles réalisations sont considérées comme des jalons dans l’histoire de la civilisation humaine.
15. Un élément essentiel de la pensée des Lumières au XVIIIe siècle était la conviction qu’il y avait un lien profond entre la santé physique de la population d’un pays et la qualité de son organisation sociale et politique. Les adeptes des Lumières en Amérique du Nord ont défendu cette conviction et l’ont invoqué pour soutenir la lutte révolutionnaire des colons contre la Grande-Bretagne. Benjamin Rush, ami intime de Thomas Jefferson et l’un des représentants les plus influents des Lumières américaines, a fait remarquer dans un article lu en 1774 devant l’American Philosophical Society – comme l’a noté l’historien de la santé publique George Rosen – «que la maladie, les institutions politiques et l’organisation économique étaient si étroitement liées que tout grand changement social entraînait des changements correspondants dans la santé». [1]
16. Cette compréhension par la pensée des Lumières fut confirmée par les avancées ultérieures dans le domaine de la santé publique, qui n’auraient pu être réalisées sans les luttes de la classe ouvrière dans les mouvements démocratiques et socialistes révolutionnaires ayant émergé au XIXe et, plus encore, au XXe siècle. Le lien entre la croissance de la classe ouvrière industrielle en tant que force sociale, politique et potentiellement révolutionnaire de plus en plus puissante et l’émergence de la santé publique en tant que question centrale dans la société moderne est un fait historique indiscutable. Les progrès réalisés par la classe ouvrière se sont reflétés dans l’amélioration de la santé publique. La plus importante de ces avancées a été la Révolution d’octobre 1917.
L’importance historique mondiale de la Révolution d’octobre
17. La Révolution d’octobre 1917 en Russie, dirigée par le Parti bolchevique et issue du carnage de la Première Guerre mondiale impérialiste, a marqué un tournant dans l’histoire mondiale. L’instauration du premier État ouvrier, dans un pays de 150 millions d’habitants, a démontré dans la pratique le caractère historiquement transitoire du capitalisme et de la domination de la bourgeoisie. L’impact social et les implications historiques de la Révolution d’Octobre furent de nature mondiale. L’établissement du pouvoir des travailleurs et la liquidation de la propriété capitaliste des moyens de production ont commencé en Russie. Mais, comme l’avait prévu Trotsky:
La révolution socialiste commence sur le terrain national, se développe sur l'arène internationale et s'achève sur l'arène mondiale. Ainsi la révolution socialiste devient permanente dans un sens nouveau et plus large du terme: elle ne s'achève que dans le triomphe définitif de la nouvelle société sur toute notre planète. [2]
18. La Révolution d’octobre n’a pas seulement réalisé une transformation socio-économique et culturelle immensément progressiste à l’intérieur des frontières de l’Union soviétique. Son plus grand impact a été l’impulsion qu’elle a donnée aux luttes de la classe ouvrière et des masses opprimées dans le monde entier. La fondation de l’Internationale communiste et ses quatre premiers congrès, tenus entre 1919 et 1922, ont mis le problème de la préparation et de la conduite de la révolution socialiste à l’ordre du jour politique de la classe ouvrière internationale.
19. Les classes dirigeantes ont reconnu dès le début l’immense danger que représentait la Révolution d’octobre. Lorsque l’ampleur de la défaite qu’elle avait subie en Russie fut claire, la classe capitaliste européenne eut recours à une violence sauvage pour supprimer le danger de la révolution socialiste. C’est à la suite de la Révolution d’octobre que le fascisme est apparu pour la première fois comme un mouvement significatif.
20. Malgré toute sa richesse et sa puissance, la classe dirigeante américaine n’avait pas d’égale dans sa crainte de la révolution socialiste. Cette peur n’était pas l’expression d’une paranoïa irrationnelle. L’échelle massive du capitalisme américain, tel qu’il s’est rapidement développé au lendemain de la guerre civile, a produit une immense classe ouvrière, multiraciale et multiethnique dont le pouvoir, s’il était imprégné d’une conscience de classe et dirigé politiquement, pouvait constituer un défi imparable pour l’ordre social existant. Dès 1871, la classe dirigeante américaine a répondu à l’émergence de la Commune de Paris par un accès de frénésie anticommuniste. Alors que la lutte des classes se développe à partir des années 1870 aux États-Unis, la violence impitoyable utilisée par le gouvernement et les entreprises pour réprimer les travailleurs fut étayée idéologiquement par l’anticommunisme.
Comme l’écrit l’historien Nick Fischer:
En dépit de la froide efficacité avec laquelle il est généralement appliqué, l’anticommunisme exprimait souvent une peur primitive que les forces du «communisme» puissent réussir là où toutes les doctrines et mouvements populaires précédents avaient échoué; les «communistes» pourraient simplement fondre les éléments disparates de la vaste sous-classe américaine en une force unie qui se soulèverait en révolution, comme cela s’était produit à Paris et plus tard en Russie en 1905. Là où le progressisme, le populisme, le Free Silver*, les homesteads, le Free Soil*, la rédemption, la reconstruction et l’émancipation avaient échoué, le «communisme» pouvait triompher. Sous sa bannière, les immenses prolétariats urbains et ruraux pourraient aplanir leurs différences; il en serait de même des ouvriers et des métayers blancs et noirs, des ouvriers d’usine nés dans le pays et des immigrés, des catholiques et des protestants, des chrétiens et des juifs. Le cauchemar était là. [3] (*mouvements progressistes aux États-Unis)
La réponse de l’impérialisme américain à la Révolution russe
21. La classe dirigeante américaine ne considérait pas seulement la Révolution d’octobre comme une menace pour la stabilité intérieure. L’une des plus grandes ironies de l’histoire est que deux événements historiques majeurs – l’un contre-révolutionnaire et l’autre révolutionnaire – se soient produits le même mois de la même année, à quelques semaines d’intervalle. Le 3 avril 1917, le président Woodrow Wilson, un démocrate, demandait au Congrès américain de déclarer la guerre à l’Allemagne, un événement qui a marqué l’émergence des États-Unis comme principale puissance impérialiste mondiale. Deux semaines plus tard, le 16 avril 1917, Lénine arrivait d’exil à Petrograd et appelait le Parti bolchevique à se préparer à renverser le gouvernement provisoire capitaliste russe et à instaurer le pouvoir ouvrier, basé sur les soviets (conseils ouvriers).
22. La signification de cette remarquable intersection de processus historiques est que l’ascension de l’impérialisme américain s’est faite parallèlement à la menace toujours présente de la révolution sociale. Tout au long du 20e siècle, le problème stratégique central auquel la classe dirigeante américaine fut confrontée a été de savoir comment répondre au danger combiné, intérieur et mondial.
23. La réponse initiale a été le recours à la violence. Le gouvernement de Woodrow Wilson a envoyé des troupes en Union soviétique dans ce qui s’est avéré être une campagne militaire désastreuse pour renverser le gouvernement bolchevique. Aux États-Unis, le gouvernement «progressiste» de Wilson réagit à la vague de militantisme par un paroxysme de répression. Les années 1919 et 1920 furent marquées par l’infâme «peur rouge», les Palmer Raids de triste mémoire, l’arrestation de Sacco et Vanzetti et la suppression brutale de la grève nationale de l’acier. Tout au long des années 1920, la réaction politique – sous le slogan du «retour à la normale» – a dominé. Le Ku Klux Klan s’est développé rapidement. Henry Ford, ennemi acharné des travailleurs et antisémite, suit avec enthousiasme les progrès d’Hitler en Allemagne et apporte un soutien financier aux nazis. En août 1927, l’État du Massachusetts a finalement assassiné Sacco et Vanzetti sur la chaise électrique, malgré des manifestations dans le monde entier.
24. Le krach de Wall Street en 1929 et le début de la Dépression ont forcé la classe dirigeante américaine à modifier sa politique intérieure. Les conditions sociales désastreuses ont radicalisé la classe ouvrière. Malgré que le régime stalinien en URSS répudiait de plus en plus explicitement la perspective de la révolution socialiste mondiale, le gouvernement de Franklin Delano Roosevelt, arrivé au pouvoir en 1933, craignait l’impact de l’exemple de la Révolution d’octobre sur la conscience de la classe ouvrière. La promesse de Roosevelt d’un «nouvelle donne» (New Deal) pour le peuple américain, suivie de réformes telles que l’introduction de la «sécurité sociale», était motivée par la crainte que la marée montante de la lutte des classes aux États-Unis – avec en tête la formation du Congress of Industrial Organizations et une vague sans précédent de grèves où la gauche socialiste a joué un rôle majeur – ne prenne, comme l’indiquaient les grèves sur le tas avec occupations d’usines, un caractère ouvertement révolutionnaire.
25. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale eut pour effet à long terme de radicaliser la classe ouvrière et les masses opprimées à l’échelle internationale. Bien que la politique menée par Staline durant les années 1930, dont les purges meurtrières et la signature en 1939 du Pacte de non-agression avec Hitler, eussent amené l’Union soviétique au bord du désastre, les réalisations économiques et sociales de l’URSS rendirent un redressement possible après les défaites initiales suite à l’invasion allemande de juin 1941. Après l’entrée des États-Unis dans la guerre mondiale en décembre 1941, une victoire sur l’Allemagne et le Japon n’était pas possible sans alliance avec l’Union soviétique.
Les réformes sociales au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
26. L’Union soviétique a joué un rôle décisif dans la défaite de l’Allemagne nazie. Bien que le régime stalinien ait cherché un compromis avec les États-Unis, il n’a pu entièrement contrôler la vague de luttes de masse qui a déferlé sur le monde au lendemain de la guerre. Pour leur part, les États-Unis et leurs alliés impérialistes ont cherché à écarter la menace révolutionnaire par une combinaison habile d’actions militaires brutales, de répression politique et de compromis réformistes. L’interaction de ces éléments, sur le plan international et national, a été la caractéristique déterminante de la guerre froide.
27. Pendant le quart de siècle qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale une politique intérieure de compromis social a prédominé. La base matérielle du compromis était l’expansion générale de l’économie mondiale qui permettait d’accorder des réformes sociales. Sur le front international, les États-Unis ont mené la résistance impérialiste mondiale aux mouvements anti-coloniaux de l’après-guerre. Ils ont orchestré le renversement de régimes qui – comme en Iran et au Guatemala – étaient considérés comme sapant les intérêts mondiaux de l’impérialisme américain. En Corée et au Vietnam, les États-Unis ont eu recours à la violence militaire à une échelle stupéfiante. Mais leur capacité à déployer toute la force de leur puissance militaire – en particulier l’utilisation d’armes nucléaires (auxquelles les États-Unis avaient eu recours en 1945 contre le Japon) – était dans une large mesure déterminée par les contraintes que leur imposait l’existence de l’Union soviétique. Les États-Unis ne pouvaient exclure la possibilité qu’une action militaire illimitée contre un allié soviétique ne puisse déclencher de la part du Kremlin une réponse militaire aux conséquences mondiales potentiellement dévastatrices. Ce fut certainement le facteur décisif qui conduisit le président Truman à décider de ne pas mener de guerre nucléaire contre la Chine en 1950, le président Kennedy à ne pas envahir Cuba en 1962, et les présidents Johnson et Nixon à ne pas larguer de bombes nucléaires sur le Nord-Vietnam.
28. Les principales initiatives de réforme aux États-Unis et en Europe occidentale ont été profondément affectées par les conséquences résiduelles politiques et sociales de la Révolution d’octobre. L’établissement de la Sozialmarktwirtschaft (économie sociale de marché) en Allemagne et du National Health Service en Grande-Bretagne, comme les nombreuses autres formes d’État social ayant vu le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, étaient tous le produit des contrecoups de la Révolution d’octobre. Aux États-Unis, l’extension du New Deal sous la forme de la Great Society [Grande société] des années 1960 était une manifestation de ce même processus. De toutes les initiatives prises dans le cadre de la Grande Société, l’introduction de Medicare pour les pauvres et, plus tard, de Medicaid pour les retraités ont été les plus significatives. Toutes deux allaient devenir dans les années de réaction politique qui ont suivi la cible d’attaques incessantes de la part des deux partis capitalistes.
29. L’effondrement des arrangements politiques internationaux et nationaux de l’ordre d’après-guerre était le produit de la crise, et de la faiblesse du capitalisme, et non de sa force. Le déclin à long terme de la position économique mondiale des États-Unis, illustré par la détérioration constante de leur balance commerciale et de leur balance des paiements, a atteint un point de crise à la fin des années 1960. L’inflation croissante et la pression sur le budget national furent perçues comme des avertissements que les États-Unis ne pourraient pas financer simultanément les guerres à l’étranger et les réformes sociales à l’intérieur du pays. Le militantisme croissant de la classe ouvrière, un processus international, menaçait d’échapper au contrôle des partis réformistes et des syndicats. La décision des États-Unis, en 1971, de mettre fin au système de Bretton Woods, établi en 1944 et fondé sur la convertibilité du dollar en or, a sonné le glas des politiques réformistes nationales et ouvert une nouvelle période de réaction sociale capitaliste.
30. L’Union soviétique et ses «États tampons» d’Europe de l’Est n’ont pas échappé à la crise croissante du réformisme national. Le développement et la complexité croissante de l’économie soviétique ont rendu son système de planification nationale de moins en moins viable. Elle exigeait un accès aux ressources de l’économie mondiale, mais cela ne pouvait se faire que de deux façons : soit par le renversement du capitalisme et la réorganisation de l’économie mondiale sur une base socialiste, ou par l’intégration de l’économie soviétique dans les structures du capitalisme mondial. Cette dernière voie exigerait le démantèlement de l’industrie nationalisée, l’abandon du monopole d’État du commerce extérieur, la création d’un marché du travail et la suppression des restrictions à la propriété privée et à l’accumulation de richesse personnelle.
31. La première voie était absolument incompatible avec les intérêts de la bureaucratie soviétique. La défense de ses privilèges matériels dépendait inextricablement de la politique de «coexistence pacifique» avec l’impérialisme, qui était une nouvelle version du vieux programme stalinien de «socialisme dans un seul pays». Ainsi, la voie choisie par le régime stalinien a été la répudiation finale de tout l’héritage économique et social progressiste de la Révolution d’octobre. Le résultat de cette monstrueuse trahison n’a pas seulement été tragique pour le peuple soviétique. Elle a ouvert les vannes d’un assaut mondial contre toutes les avancées progressistes réalisées par la classe ouvrière au cours du 20e siècle. La réponse brutale de la classe dirigeante à la pandémie ne peut être comprise que dans ce contexte historique.
La dissolution de l’Union soviétique et l’impact social de 30 ans de réaction capitaliste
32. Il y a maintenant 30 ans que l’Union soviétique a été dissoute, en décembre 1991. La décision du régime stalinien dirigé par Mikhaïl Gorbatchev de restaurer la propriété privée des moyens de production a été saluée par la classe dirigeante comme le triomphe historique décisif et irréversible du capitalisme. Certains ont même proclamé la «fin de l’histoire». La fin de l’URSS, prétendaient-ils, prouvait que la démocratie bourgeoise, fondée sur le capitalisme et le système des États-nations, représentait l’apogée du progrès humain. On avait vaincu pour toujours le défi posé par le socialisme au capitalisme.
33. Cette interprétation délirante de l’histoire était basée sur deux idées fondamentalement fausses: la première était que le stalinisme soviétique avait quelque chose à voir avec le socialisme et le marxisme; la seconde était que la disparition du régime stalinien signifiait le dépassement et la résolution de la crise historique du capitalisme.
34. En mai 1990, alors que les États staliniens d’Europe de l’Est commençaient le processus de liquidation des rapports de propriété nationalisés et que Gorbatchev suivait une politique qui allaient culminer dans la dissolution de l’Union soviétique, le Comité international de la Quatrième Internationale a discuté les implications de ces développements pour la perspective de la révolution socialiste. Un rapport présenté au 10e Plénum du CIQI expliquait:
Il y a deux interprétations possibles que l’on peut donner aux événements en Europe de l’Est. On peut dire qu’il s’agit d’un triomphe historique du capitalisme sur le socialisme; la classe ouvrière a subi une défaite historique massive; la perspective du socialisme s’est essentiellement effondrée, et nous nous trouvons au seuil d’une toute nouvelle période de développement capitaliste. Ou bien – et c’est là, bien sûr, le point de vue du Comité international, qui nous distingue de toutes les autres tendances – que l’effondrement de l’ordre impérialiste d’après-guerre ouvre une période de profond déséquilibre qui se résoudra sur le plan international dans des luttes politiques et sociales massives; que ce qui prédomine aujourd’hui est un degré d’instabilité inégalé depuis les années 1930. [4]
35. Trois décennies plus tard, il n’y a aucun doute quant à laquelle des interprétations possibles de la dissolution de l’Union soviétique s’est avérée correcte. Loin d’avoir surmonté ses contradictions et initié une nouvelle ère de progrès, le système capitaliste s’est caractérisé ces trois dernières décennies par une croissance extrême de l’inégalité sociale, une suite sans fin et grandissante de guerres d’agression impérialistes et un effondrement croissant des formes démocratiques de gouvernement. Toutes ces tendances se sont accélérées au cours des deux années de pandémie.
La croissance massive de l’inégalité sociale
36. L’oligarchie financière s’est servi de la pandémie pour voler comme jamais auparavant. Avec la sanction de la loi CARES adoptée à une écrasante majorité bipartite en mars 2020, la Réserve fédérale américaine a inondé Wall Street de milliers de milliards de dollars en argent liquide. Selon le magazine Forbes, les milliardaires américains détenaient au Premier janvier 2020 une richesse collective de 3400 milliards de dollars, somme déjà faramineuse. Deux ans plus tard, leur richesse s’élève à près de 5300 milliards de dollars, une augmentation de plus de 1800 milliards de dollars au cours de la pandémie.
37. Tous les grands pays capitalistes ont mis en œuvre la même politique. Selon un article du Financial Times du 28 décembre intitulé «Companies raise over $12 tn in “blockbuster” year for global capital markets» [Les entreprises recueillent plus de 12000 milliards de dollars dans une 'super-année' pour les marchés mondiaux].
[Elles] ont levé un montant record de 12100 milliards de dollars en 2021 par l’émission de titres et en contractant de nouveaux prêts, alors qu’un torrent de mesures de relance des banques centrales et la reprise rapide après la pandémie ont propulsé vers le haut de nombreux marchés mondiaux.
À quelques jours de la fin de l’année, le montant des fonds collectés est déjà en hausse de près de 17 pour cent par rapport à 2020, qui était déjà une année historique, et de près d’un quart par rapport à 2019, avant la crise du coronavirus, selon les calculs du Financial Times basés sur les données de Refinitiv. Le rythme féroce des levées de fonds souligne à quel point les conditions financières sont aisées dans de nombreuses régions du monde, notamment aux États-Unis, où l’on a levé plus de 5000 milliards de dollars.
38. Le corollaire du renflouement des marchés financiers est l’impératif que les travailleurs restent au travail pour produire des profits et que leurs enfants soient renvoyés à l’école pour contracter et propager le virus. C’est cette logique de classe qui a dirigé la politique de la classe dominante face à la pandémie, que ce soit sous la forme de la promotion ouverte de l’infection de masse ou de la stratégie du «vaccin uniquement», promue par le gouvernement Biden.
L’éruption mondiale de l’impérialisme américain
39. En plus des intérêts prédateurs de la classe dirigeante, une réponse rationnelle et scientifique à la pandémie a été bloquée par la division du monde en États-nations concurrents. La pandémie est, par sa nature même, un problème mondial qui ne peut être traité que sur la base d’une collaboration internationale. Celle-ci a été rendue impossible par les conflits nationaux et géopolitiques entre les grandes puissances capitalistes.
40. La dissolution de l’Union soviétique il y a trois décennies fut suivie d’une série interminable de guerres menées sous la direction de l’impérialisme américain au Moyen-Orient et en Asie centrale. Durant la dernière décennie, les États-Unis ont remanié leurs plans de guerre pour cibler de plus en plus directement ceux qu’ils considèrent être leurs principaux rivaux géopolitiques, avant tout la Russie et la Chine.
41. Les menaces militaristes n’ont fait que s’intensifier durant ces deux années de pandémie. La nouvelle année commence par un irresponsable renforcement militaire, soutenu par l’OTAN, de la part du gouvernement Biden en Ukraine, incitant un gouvernement ukrainien droitier à déployer 125.000 soldats à sa frontière avec la Russie. Biden a averti en même temps le président russe Vladimir Poutine que les États-Unis n’accepteraient «les lignes rouges de personne». Loin de freiner le régime ukrainien, son gouvernement semble vouloir encourager un affrontement militaire. En décembre, le sénateur démocrate Chris Murphy avait brandi la menace que l’Ukraine pouvait « devenir le prochain Afghanistan de la Russie si elle choisit d’aller plus loin».
42. Mais les provocations envers la Russie, aussi dangereuses soient-elles, sont dans une large mesure motivées par la détermination des États-Unis à bloquer ce qu’ils considèrent comme la menace de la part de la Chine à leur position hégémonique mondiale. La possibilité, voire l’inéluctabilité, d’une guerre avec la Chine est un thème dominant dans l’establishment de la politique étrangère américaine et dans les médias. Les États-Unis multiplient les dénonciations de la Chine pour de prétendues violations des droits de l’homme et pour un «génocide» à l’égard les Ouïgours. La militarisation systématique de la mer de Chine méridionale et l’encerclement de la Chine se poursuivent.
43. La pandémie a intensifié le danger de guerre. Un facteur majeur et croissant de la situation mondiale est la tentation qu’ont les États-Unis et leurs alliés impérialistes en Europe et en Asie-Pacifique de considérer la guerre comme un moyen de détourner l’attention des conséquences désastreuses de leur politique intérieure et de désigner au public un ennemi extérieur. C’est certainement ce qui a motivé le «mensonge du laboratoire de Wuhan», qui prétend, au mépris de preuves bien documentées, que la pandémie a été causée soit par la fuite, soit par la fabrication criminelle d’un agent pathogène mortel.
L'effondrement de la démocratie
44. Enfin, la pandémie a énormément accéléré l’effondrement des formes démocratiques de gouvernement alors que l’oligarchie financière a mis en œuvre une politique ayant entraîné la mort de millions de personnes. Pendant la première année de la pandémie, les organisations fascistes mobilisées par le gouvernement Trump ont été utilisées comme fer de lance de la campagne contre les confinements et toutes les mesures de santé publique nécessaires pour contenir le virus. À l’approche des élections de 2020, alors que les cadavres s’empilaient, Trump s’est engagé dans une conspiration systématique visant à subvertir le résultat du vote et à renverser la Constitution.
45. Les conspirations de Trump ont culminé avec la tentative de coup d’État fasciste du 6 janvier 2021, un tournant dans l’histoire politique des États-Unis. Après avoir faussement prétendu que la victoire de Biden à l’élection générale était le produit d’une fraude électorale, Trump et le stratège fasciste Stephen Bannon ont organisé un réseau de membres républicains du Congrès et mobilisé des fascistes paramilitaires dans le but de perturber la certification de l’élection par le Collège électoral. Dans un article de perspective, le WSWS a écrit le 7 janvier:
Les glorifications éculées de l’invincibilité et de l’intemporalité de la démocratie américaine ont été totalement démasquées et discréditées comme un mythe politique creux. La phrase populaire «Ça ne peut pas arriver ici», tirée du titre du justement célèbre récit fictif de Sinclair Lewis sur la montée du fascisme américain, a décidément été dépassée par les événements. Non seulement un coup d’État fasciste peut se produire ici. Il s’est produit ici, dans l’après-midi du 6 janvier 2021.
46. Même si le Parti républicain se transforme de plus en plus en un parti ouvertement fasciste, les démocrates, de Joe Biden à Alexandria Ocasio-Cortez, continuent d’en parler comme de «leurs collègues», Biden déclarant le 8 janvier: «Nous avons besoin d’un Parti républicain qui a des principes et qui est fort». On a laissé à Trump tout le loisir de préparer ses prochains coups d’État depuis son palais de Floride, ses alliés au Congrès occupent toujours leurs postes. Les préparatifs visant à priver de leurs droits des millions d’électeurs lors des futures élections sont très avancés dans de nombreux États.
47. De plus, Trump fait partie d’un processus international. En Allemagne on fait la promotion du parti fasciste AfD (Alternative pour l’Allemagne), en Espagne celle de Vox, en Inde de Modi et au Brésil de Bolsonaro, et on porte universellement aux sommets l’extrême droite dans des pays du monde entier.
La pandémie et la lutte des classes mondiale
48. L’expérience des deux dernières années montre qu’on n’arrêtera pas la pandémie uniquement par des mesures médicales. La sortie de ce qui est fondamentalement une crise sociale exige une lutte politique pour la réorganisation du monde sur une autre base économique et sociale. Tous les appels à l’État capitaliste pour qu’il change de politique sont voués à l’échec. La mise en œuvre d’une réponse à la pandémie progressiste et guidée par la science n’est possible que dans la mesure où cette politique trouve la base sociale nécessaire dans un mouvement de masse de la classe ouvrière à l’échelle mondiale.
49. Mais quelles sont les perspectives de développement d’un tel mouvement de masse? En réalité, il est déjà en cours. En 2019, l’année qui a précédé la pandémie, la lutte des classes et la protestation sociale ont éclaté dans le monde entier. Des manifestations et des grèves de masse ont eu lieu cette année-là au Mexique, à Porto Rico, en Équateur, en Colombie, au Chili, en France, en Espagne, en Algérie, en Grande-Bretagne, au Liban, en Irak, en Iran, au Soudan, au Kenya, en Afrique du Sud et en Inde. Aux États-Unis, les travailleurs de General Motors ont lancé la première grève nationale des travailleurs de l’automobile depuis plus de 40 ans.
50. La pandémie mondiale a perturbé le cours «normal» de la lutte des classes. Dans sa première phase des arrêts de travail et des grèves sauvages en Italie, aux États-Unis et dans d’autres pays ont forcé la fermeture temporaire d’usines. Mais avec l’aide cruciale des syndicats, les travailleurs ont été renvoyés au travail et les écoles ont été rouvertes, ce qui a alimenté la hausse massive des cas et des décès.
51. La suppression temporaire de l’opposition de la classe ouvrière a cependant fait place à une puissante résurgence de la lutte des classes. L’année dernière a eu lieu une série de batailles de classe majeures exprimant la colère et l’opposition tant à la pandémie qu’aux conséquences économiques et sociales de la réponse de la classe dirigeante à celle-ci, qui ont compris vers la fin de l’année une inflation galopante des biens de consommation de base.
52. Aux États-Unis eurent lieu de grandes grèves des mineurs en Alabama, des infirmières à New York, au Massachusetts et au Minnesota, des ouvriers de Volvo Trucks en Virginie, de ceux de John Deere et de Kellogg’s dans le Midwest, des étudiants diplômés de l’université de Columbia et d’autres campus. Il y eut des arrêts maladie sauvages et d’autres actions de protestation chez les enseignants et les employés de pharmacie.
53. À l’échelle mondiale, l’année écoulée a été marquée par les grèves et les manifestations de 170.000 métallurgistes en Afrique du Sud, de dizaines de milliers de travailleurs des transports et de l’automobile en Inde, de 50.000 travailleurs de la santé et de dizaines de milliers de travailleurs du secteur public au Sri Lanka. Il y eut la grève sauvage de milliers de travailleurs de l’énergie en Turquie, les grèves de milliers de travailleurs de la santé publique et de mineurs au Chili, et les manifestations de masse des travailleurs de la santé en France contre les conditions épouvantables dans les hôpitaux. En octobre, Lisa Diaz, parent britannique, a lancé les manifestations #SchoolStrike contre les conditions dangereuses, qui ont obtenu un large soutien international.
54. En ce début d’année 2022, alors qu’Omicron devient incontrôlable, un mouvement croissant d’enseignants exige la fermeture des écoles et l’arrêt de l’enseignement en présentiel ; de plus en plus de travailleurs demandent l’arrêt de la production non essentielle dans des usines et lieux de travail qui sont des centres de propagation de la maladie. La décision des CDC (Centres de contrôle et prévention des maladies) aux États-Unis de réduire la période de quarantaine de 10 à 5 jours – une politique dictée par la grande entreprise – a suscité un colossal degré de colère sociale et d’opposition.
L’Alliance internationale des comités de base des travailleurs
55. La lutte des classes est objective, elle émane du caractère de la société capitaliste et de la réponse de la classe dirigeante à la pandémie. Des milliards de travailleurs à l’international ne vont pas accepter passivement que des millions de personnes meurent d’une mort tout à fait évitable.
56. Il faut donner à ce processus objectif une forme organisationnelle et le rendre politiquement conscient. Au cours de l’année écoulée, le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a lancé deux initiatives essentielles en réponse à la pandémie: l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) et l’Enquête mondiale des travailleurs sur la pandémie de COVID-19.
57. L’IWA-RFC a été lancée en avril 2021, alors que le bilan mondial de la pandémie s’élevait à plus de trois millions de morts. La nécessité de l’IWA-RFC découle du fait que les travailleurs n’ont aucune organisation représentant leurs intérêts. Tous les partis politiques et organisations de chaque grand pays capitaliste, qu’ils soient explicitement de droite ou nominalement de «gauche», ont mis en œuvre une politique d’infection et de mort en masse, et ont rejeté les mesures exigées par les scientifiques et les responsables sanitaires pour arrêter la pandémie.
58. Quant aux syndicats, ils ont œuvré pendant des décennies aux États-Unis comme dans les autres pays pour supprimer les luttes de classe et imposer les exigences du patronat. Durant la pandémie, ils ont joué un rôle essentiel dans l’application de la politique homicide de la classe dirigeante en forçant les travailleurs à travailler dans des conditions dangereuses.
59. En lançant l’IWA-RFC, le CIQI a expliqué:
L’IWA-RFC s’efforcera de développer le cadre de nouvelles formes d’organisations de base des travailleurs, indépendantes, démocratiques et militantes, dans les usines, les écoles et sur les lieux de travail, à l’échelle internationale. La classe ouvrière est prête à se battre. Mais elle est menottée par des organisations bureaucratiques réactionnaires qui suppriment toute manifestation de résistance.
Ce sera là un moyen par lequel les travailleurs du monde entier pourront partager des informations et organiser une lutte unie pour exiger la protection des travailleurs, la fermeture des installations dangereuses et celle de la production non essentielle, et d’autres mesures d’urgence nécessaires pour arrêter la propagation du virus.
60. L’IWA-RFC se base sur une lutte contre tous efforts visant à diviser la classe ouvrière à travers les innombrables formes de chauvinisme national, ethnique, racial et de politique identitaire. La pandémie est une crise mondiale qui touche tous les travailleurs. Elle met à nu tous les efforts promus par la «pseudo-gauche», visant à faire de l’ethnie et du genre des catégories sociales fondamentales et à saper la lutte pour unifier tous les travailleurs sur la base de leurs intérêts de classe communs.
L’Enquête ouvrière mondiale sur la pandémie de COVID-19 et la lutte pour l’éradication du SRAS-CoV-2
61. Le 21 novembre, le World Socialist Web Site a lancé l’Enquête mondiale ouvrière sur la pandémie de COVID-19. Cette enquête est nécessaire pour démasquer les dissimulations, les falsifications et la désinformation déployées et continuant de l’être, visant à justifier les politiques responsables de la mort évitable de millions de personnes dû à la pandémie.
62. L’appel à cette Enquête est issu d’une collaboration entre le World Socialist Web Site et des scientifiques et épidémiologistes de premier plan pour lutter pour l’élimination du SRAS-CoV-2 dans le monde entier. Cet effort incluait deux ‘webinaires’ internationaux, le 22 août et le 24 octobre, qui ont fourni des informations scientifiques détaillées prouvant la nécessité et la viabilité d’une stratégie mondiale d’élimination. En introduisant le webinaire du 24 octobre, le WSWS exposait ainsi les principes sur lesquels devait se fonder la lutte pour stopper la pandémie:
1. La cible du SRAS-CoV-2 – le virus à l’origine de la COVID-19 – ne sont pas les individus mais des sociétés entières. Le mode de transmission du virus est orienté vers une infection de masse. Le SRAS-CoV-2 a évolué biologiquement pour frapper des milliards de personnes et, ce faisant, en tuer des millions.
2. Par conséquent, la seule stratégie efficace est celle qui repose sur une campagne coordonnée à l’échelle mondiale visant à éliminer le virus sur chaque continent, dans chaque région et dans chaque pays. Il n’y a pas de solution nationale efficace à cette pandémie. L’humanité – les gens de toutes les races, ethnies et nationalités – doit affronter et surmonter ce défi par un vaste effort collectif et véritablement désintéressé à l’échelle mondiale.
3. Les politiques menées par pratiquement tous les gouvernements depuis le début de la pandémie doivent être rejetées. Il n’est plus permissible que ce qui devrait être la priorité incontestée de la politique sociale – la protection de la vie humaine – continue d’être subordonné aux profits de la grande entreprise et à l’accumulation de la richesse privée.
4. L’initiative d’un virage décisif vers une stratégie orientée vers l’élimination du virus dans le monde doit venir d’un mouvement socialement conscient de millions de personnes.
5. Ce mouvement mondial doit s’appuyer sur la recherche scientifique. Il faut mettre un terme à la persécution des scientifiques, dont beaucoup travaillent sous la menace de perdre leur moyen d’existence et même la vie. L’élimination mondiale du virus nécessite l’alliance la plus étroite entre la classe ouvrière – la grande masse de la société – et la communauté scientifique.
63. Dans sa déclaration lors du lancement de l’Enquête, le WSWS a expliqué que la stratégie du «vacciner uniquement», axe central l’année passée de la politique de la classe dirigeante des principaux pays capitalistes, avait échoué. Non seulement une majorité de la population mondiale n’était toujours pas vaccinée, écrivait le WSWS, mais «les scientifiques ont averti à maintes reprises que la poursuite de l’infection de masse dans le contexte d’un déploiement lent des vaccins crée des pressions évolutives qui menacent de produire un variant résistant au vaccin.» Juste quatre jours plus tard, ces avertissements étaient confirmés par l’annonce de l’identification du variant Omicron.
64. Dans les cinq semaines suivant son lancement, l’Enquête a commencé à recueillir les témoignages de scientifiques et de travailleurs sur les causes et les conséquences de la catastrophe en cours. Elle est d’une importance vitale pour permettre à la classe ouvrière de comprendre ce qui s’est passé et ce qui doit être fait à présent pour mettre fin à la pandémie une fois pour toutes.
Les tâches du Comité international de la Quatrième Internationale
65. Alors que nous entrons dans cette troisième année de pandémie, il est clair que la classe dirigeante poursuit une politique d’«endémisation» de la pandémie ; c’est-à-dire qu’elle permet la persistance du virus comme état permanent de la société. Il n’y a pas de limites au nombre de morts que la classe dirigeante tolérera lorsqu’il s’agit de préserver sa richesse et de maintenir le système de profit. Mais les masses travailleuses ne vont pas accepter passivement que des millions de gens meurent d’une pandémie évitable et qu’ils continuent de mourir chaque année.
66. Même avant la pandémie, les conditions objectives de la révolution socialiste s’étaient déjà développées à un degré extrême. Au début de 2020, dans une déclaration examinant la crise économique, politique, géopolitique et sociale de plus en plus grave qui s’était développée au cours de la décennie précédente, le World Socialist Web Site écrivait : «l’arrivée de la nouvelle année marque le début d’une décennie d’intensification de la lutte des classes et de la révolution socialiste mondiale».
À l’avenir, lorsque les historiens écriront au sujet des bouleversements du XXIe siècle, ils énuméreront tous les signes «évidents» qui existaient, au début des années 2020, de la tempête révolutionnaire qui allait bientôt déferler sur le monde. Les universitaires – disposant d’un vaste éventail de faits, de documents, de graphiques, de sites Web, de messages sur les réseaux sociaux, et d’autres formes d’informations numériques précieuses – décriront les années 2010 comme une période caractérisée par une crise économique, sociale et politique insoluble du système capitaliste mondial.
67. C’est-à-dire que les contradictions centrales du système capitaliste mondial – celle entre l’économie mondiale et le système des États-nations, et celle entre la production socialisée et la propriété privée des moyens de production – ont créé les conditions de luttes massives et révolutionnaires.
68. Le développement d’une situation révolutionnaire implique cependant deux éléments: les contradictions objectives de l’ancienne société, et la conscience et l’organisation politique des masses – le facteur subjectif. Mais l’interaction des facteurs objectifs et subjectifs est complexe. «La société ne change pas ses institutions au gré des besoins, comme un mécanicien change ses instruments», expliquait Trotsky dans sa monumentale Histoire de la révolution russe.
Des circonstances absolument exceptionnelles, indépendantes de la volonté des individus ou des partis, sont nécessaires pour libérer la colère des entraves du conservatisme et pour mener les masses à l’insurrection.
Les rapides changements d’opinion et d’humeur des masses en temps de révolution proviennent donc non pas de la souplesse et de la mobilité de l’esprit humain, mais au contraire de son profond conservatisme. Les idées et les rapports sociaux restant chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives, jusqu’au moment où celles-ci s’abattent en cataclysme, il en résulte, en temps de révolution, des soubresauts d’idées et de passions que des cerveaux de policiers se représentent tout simplement comme l’œuvre de «démagogues». [5]
69. La pandémie – qui a démasqué l’obsolescence et le caractère irrémédiablement réactionnaire du système capitaliste mondial, de ses institutions politiques et de sa structure de classe – est une catastrophe. Elle provoque non seulement des grèves et d’autres formes de protestation sociale, mais elle modifie aussi profondément la conscience de la classe ouvrière et de la jeunesse. La classe dirigeante se plaint hypocritement de la fermeture d’écoles qui depuis des décennies sont sous-financées, manquent de personnel et sont surchargées. Ce n’est pas l’absence d’éducation formelle qu’elle craint. Les gouvernements capitalistes savent que pendant qu’ils ont été absents des écoles, les jeunes n’ont pas cessé de penser. La pandémie leur a donné une éducation à elle, mettant à nu la nature de la société capitaliste.
70. Mais alors que la conscience subit un profond changement, il reste la question de la direction révolutionnaire. La conscience socialiste – c’est-à-dire la compréhension scientifique de la société capitaliste et le programme politique nécessaire à la transformation de la société – ne surgit pas spontanément ou automatiquement. La transition de la crise objective à un mouvement politique conscient pour le socialisme est le grand défi de notre temps.
71. Lorsque l’humanité est confrontée à de grandes questions sociales, rien n’est plus futile, pour ne pas dire inutile, que la spéculation passive sur ce qui peut ou ne peut être réalisé. Il n’y a jamais eu de période de crise où la voie du progrès était semé de roses. Dans ces moments historiques, comme l’a fait remarquer Lincoln, «l’occasion est remplie de difficultés». Se plaindre de l’impuissance et de la trahison pure et simple des syndicats et des vieux partis capitalistes ex-réformistes et ex-libéraux détourne des tâches sérieuses à accomplir. Ces organisations, leurs représentants et leurs complices sont pourris jusqu’à la moelle.
72. Il n’y a pas d’issue au désastre actuel, sans parler des catastrophes imminentes que sont le fascisme, la guerre et les dommages écologiques irréversibles infligés à la planète, si ce n’est à travers une lutte déterminée et inflexible.
73. Le marxisme, fondé sur le matérialisme historique, comprend très bien les processus régis par des lois qui donnent naissance à de véritables mouvements révolutionnaires de masse. Mais cette compréhension des processus objectifs et de la nécessité de l’action des masses n’a jamais été une excuse pour la passivité individuelle. Les individus prennent des décisions, y compris celle de s’opposer à l’inégalité, à l’injustice et à l’oppression. Il n’y a jamais eu et il ne pourra jamais y avoir de grand mouvement révolutionnaire de masse sans que des individus ne prennent la décision consciente de se battre.
74. Par conséquent, alors que nous entrons dans la nouvelle année, nous appelons les travailleurs et les jeunes à tirer les leçons politiques nécessaires et inéluctables des deux dernières années de crise – et en fait de l’histoire. Le capitalisme s’est condamné lui-même. L’avenir de l’humanité dépend de la victoire du socialisme. Rejoignez ce combat. Construisez l’Alliance internationale ouvrière des comités de base! Participez à l’Enquête ouvrière mondiale sur la pandémie de COVID-19! Développez la diffusion du World Socialist Web Site! Et surtout, prenez la décision de rejoindre les Partis de l’égalité socialiste et de construire le Comité international de la Quatrième Internationale en tant que Parti mondial de la révolution socialiste!
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Notes de bas de page :
[1] “Social Stress and Mental Disease from the Eighteenth Century to the Present: Some Origins of Social Psychiatry,” dans The Milbank Memorial Fund Quarterly, Jan. 1959, Vol, 37, No. 1, p. 9 (uniquement en anglais)
[2] Léon Trotsky, La révolution permanente (marxistes.org Qu’est-ce que La révolution permanente?), Thèse 10
[3] Spider Web: The Birth of American Anticommunism, par Nick Fischer (Urbana: University of Illinois Press, 2016), p. 8 (uniquement en anglais)
[4] Workers League Internal Bulletin: 10thPlenum of the ICFI, May 1990, Remarks by David North, p. 13 (uniquement en anglais)
[5] Histoire de la Révolution russe. Vol 1- Février (1930) Préface, Léon Trotsky. Prinkipo, le 14 novembre 1930. Collection ÉTUDES
(Article paru d’abord en anglais le 4 janvier 2022)