Washington et ses alliés impérialistes ont réussi à inciter la Russie à envahir l’Ukraine et s’efforcent de faire dégénérer la crise en un conflit direct entre Moscou et l’OTAN. Les puissances impérialistes ont imposé des sanctions équivalentes à une guerre économique contre la Russie, ont organisé un renforcement sans précédent des troupes et des équipements militaires dans toute l’Europe de l’Est, et fournissent des armes de forte puissance à l’Ukraine dans le but de prolonger le conflit et de le rendre plus sanglant.
Des organisations de pseudo-gauche du monde entier s’avancent pour fournir une propagande justifiant les actions de la machine de guerre américaine. L’un de ces groupes est la Tendance Marxiste Internationale, qui renverse la réalité en affirmant que l’impérialisme américain est «faible» et sera forcé de faire des «concessions» à Vladimir Poutine, un représentant de «l’impérialisme russe» qui, selon la TMI, est le principal responsable du conflit actuel.
Le rôle de la TMI dans le cadre de la campagne de guerre actuelle consiste à reformuler, avec une phraséologie «marxiste», la propagande du département d’État américain et des autres pays de l’OTAN qui affirment n’avoir aucune intention d’intervenir militairement contre la Russie. Ils cherchent à endormir les travailleurs et les jeunes de gauche en entretenant des illusions sur la viabilité du système capitaliste.
La TMI a publié la dernière d’une série de déclarations sur la guerre en Europe le 1er mars, alors que des dizaines de pays de l’OTAN acheminaient des armes vers l’Ukraine pour soutenir la guerre par procuration de l’alliance militaire contre Moscou et deux jours seulement après que Poutine ait placé les systèmes d’armes nucléaires de la Russie en état d’alerte.
Dans une déclaration intitulée «La guerre ukrainienne: une position de classe internationaliste», la TMI a déclaré: «Il n’est absolument pas question d’une nouvelle guerre mondiale entre les États-Unis et la Russie, ni entre les États-Unis et la Chine, en partie, précisément, à cause de la menace de guerre nucléaire, mais aussi en raison de l’opposition résolue des masses à une telle guerre... une guerre nucléaire signifierait la destruction mutuelle des deux parties. Ils ont même inventé une expression pour décrire cela: MAD (destruction mutuellement assurée). Qu’une telle guerre ne soit pas dans l’intérêt des banquiers et des capitalistes est une évidence.»
Ces déclarations complaisantes, qui s’inspirent de la justification de la «dissuasion nucléaire» par l’anticommunisme de la guerre froide, révèlent la fraude du «marxisme» de la TMI. C’était une vérité élémentaire pour tous les grands dirigeants marxistes, de Lénine et Trotsky à Engels et Marx lui-même, que les guerres naissent des contradictions objectives du capitalisme mondial, et non des inclinations des politiciens et des hommes d’affaires bourgeois. Ces contradictions, entre le système d’État-nation dépassé et le caractère mondialisé des forces productives, et entre la propriété privée et la production socialisée, entraînent les grandes puissances dans une lutte sans fin pour le redécoupage du globe.
La profession de foi de la TMI selon laquelle les puissances impérialistes et le régime nationaliste russe réactionnaire de Poutine reviendront à la raison et trouveront un moyen «rationnel» de sortir de la crise actuelle ne rappelle rien d’autre que le révisionnisme antimarxiste d’Eduard Bernstein, qui proclamait à la veille du massacre de la Première Guerre mondiale: «Heureusement, nous nous habituons de plus en plus à régler nos différends politiques autrement que par l’utilisation d’armes à feu».
La déclaration du 1er mars de la TMI s’inscrit dans une série de déclarations visant à minimiser la menace de guerre et à mettre en valeur la stabilité du système capitaliste. Dans un article publié il y a un peu plus d’un mois, intitulé «La Russie va-t-elle envahir l’Ukraine?», la TMI spéculait encore sur une «réduction des forces en Europe de l’Est» par les États-Unis. «Le cours le plus probable des événements est donc la poursuite des pourparlers entre les États-Unis et la Russie, qui finiront par contraindre les États-Unis à une forme de concessions», prédisaient les sages de la TMI.
«Les États-Unis essaieront de garder les concessions qu’ils font dans les coulisses et de présenter ce qui en sortira comme une victoire. Cependant, ce que tout cela montre, c’est que les États-Unis ne sont certainement pas “de retour”, et Poutine, pleinement conscient de ce fait, profite pleinement de la situation.»
Passant aux États-Unis dans une section intitulée «La faiblesse des États-Unis», la TMI écrit: «L’affaiblissement relatif de l’impérialisme américain, dans ce cas démontré par sa réticence à engager des troupes terrestres [en Ukraine], le conduit à la retraite, ce qui aggrave encore sa faiblesse... Du point de vue de l’impérialisme américain, les divisions avec ses alliés européens ne devraient pas être exprimées au grand jour. Cependant, en raison de la faiblesse des États-Unis, ils ne sont pas en mesure de forcer l’OTAN à adopter une ligne unie pour affronter la Russie.»
Compte tenu des expériences de ces dernières semaines, commenter davantage ces lignes diminuerait leur effet comique involontaire.
La TMI déclare que Poutine est un représentant de «l’impérialisme russe». Dans leur déclaration du 1er mars, ils vont jusqu’à suggérer que «l’impérialisme russe» possède le pouvoir d’imposer une sorte d’équilibre d’après-guerre basé sur sa capacité à résister aux sanctions occidentales et au refus de Washington de s’engager militairement.
«Aucune personne sensée ne peut nier que la Russie est une puissance impérialiste régionale qui a des ambitions en Asie centrale, dans le Caucase, au Moyen-Orient, en Europe de l’Est et dans les Balkans», écrit la TMI, faisant écho à de nombreux politiciens bourgeois de droite qui affirment que Poutine a l’intention de conquérir toute l’Europe. «La Chine a clairement conclu un accord avec la Russie pour compenser les effets des sanctions (une autre raison pour laquelle elles échoueront). L’affaire ukrainienne conduira sans aucun doute à un bloc plus étroit entre les impérialistes russes et chinois dans la période à venir: un développement que Washington doit craindre comme le Diable craint l’eau bénite.»
La TMI prend ses lecteurs pour des imbéciles, ne tentant même pas de rendre compte du fait que la Russie est soumise à une guerre économique sans précédent par les puissances impérialistes. Si Moscou possède des intérêts impérialistes aussi vastes que ceux que la TMI voudrait nous faire croire, comment se peut-il que ses banques soient exclues du commerce mondial, que ses actifs étrangers, y compris ceux de sa banque centrale, soient saisis et que sa monnaie soit écrasée dans le but d’affamer la population russe?
La référence désinvolte de la TMI à «l’impérialisme chinois» est également absurde. Malgré la croissance économique rapide de ce pays ces dernières années, il reste dépendant des investissements étrangers et est la cible d’une offensive diplomatique, économique et militaire menée par l’impérialisme américain.
Quant à l’Europe, la TMI affirme avec assurance: «Dès que le conflit actuel prendra fin (ce qui, d’une manière ou d’une autre, doit arriver), ces sanctions, et bien d’autres, seront tranquillement abandonnées, car leur effet néfaste sur l’économie européenne – en premier lieu sur l’Allemagne – serait trop douloureux à supporter.»
Après avoir déclaré que les capitalistes ne sont pas intéressés par une guerre mondiale, qu’une conflagration militaire entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie est totalement exclue, et que l’«impérialisme» de Poutine et Xi Jinping a la force de repousser des États-Unis «faibles» et de créer un nouvel équilibre capitaliste, la déclaration de la TMI arrive à la conclusion suivante: «En fin de compte, le capitalisme, dans son époque de déclin sénile, signifie guerre et crise économique. La seule façon de mettre fin à ses horreurs est que la classe ouvrière prenne le pouvoir, dans un pays après l’autre, et balaie ce système pourri. Pour cela, il faut une direction révolutionnaire: une direction qui s’appuie fermement sur les principes de l’internationalisme socialiste.»
Les origines anti-trotskistes de la TMI
La dissimulation de politiques de droite et pro-impérialistes derrière des engagements formels de «lutte pour le marxisme» et la «révolution socialiste» a été la marque de commerce de la TMI depuis sa fondation au début des années 1990.
Ted Grant, qui a cofondé la TMI avec Alan Woods, a rompu avec le trotskisme à la fin des années 1940 en rejetant explicitement la classe ouvrière en tant que force révolutionnaire. Grant, anticipant les arguments révisionnistes qui seront développés plus tard par Michel Pablo, affirmait qu’une faction révolutionnaire de la bureaucratie stalinienne émergerait en Union soviétique pour diriger la transition vers le socialisme – définissant le régime stalinien comme une forme de «bonapartisme soviétique». Il voyait les partis sociaux-démocrates et les syndicats dans les principaux pays impérialistes, et les nationalistes bourgeois dans les pays coloniaux, comme les leaders naturels des mouvements de masse, qui pouvaient créer des «États ouvriers» sans la participation active de la classe ouvrière.
La perspective de Grant et Pablo rendait inutile la construction d’un parti révolutionnaire dans la classe ouvrière, puisqu’ils ne considéraient plus que celle-ci avait un rôle progressiste à jouer. Bien que les partisans de Grant se séparent de Pablo en 1964, sa perspective politique ne diffère pas fondamentalement de celle du Secrétariat unifié. Comme l’a fait remarquer le World Socialist Web Sitedans une nécrologie de Grant en 2006, «la politique de Grant pourrait être caractérisée comme un pablisme sans Pablo».
Grant a poursuivi cette politique en Grande-Bretagne en tant que chef de la Militant Tendency entriste en maintenant une loyauté indéfectible envers le Parti travailliste. Contrairement aux trotskistes de la Socialist Labour League, qui sont intervenus dans la base du Parti travailliste au cours des années 1950 et 1960 dans le but de briser les illusions des travailleurs sur la social-démocratie et de les gagner à une perspective socialiste révolutionnaire, la Militant Tendency de Grant a utilisé la rhétorique «trotskiste» pour maintenir les travailleurs et les jeunes de gauche confinés dans les bureaucraties ouvrières et syndicales, en prétendant qu’elles pouvaient être poussées à mettre en œuvre le socialisme.
Les changements objectifs dans la structure du capitalisme mondial, surtout la mondialisation de la production, ont prouvé la faillite politique de la politique poursuivie par Grant et les pablistes. Le Parti travailliste britannique et d’autres partis sociaux-démocrates nationaux dans le monde entier se sont fortement déplacés vers la droite au cours des années 1980 et 1990, devenant ainsi les outils ouverts des grandes entreprises et de l’élite dirigeante.
En Union soviétique, la bureaucratie stalinienne, comme Trotsky l’avait souligné dans les années 1930, a consciemment travaillé à dissoudre tous les acquis de la Révolution d’Octobre, surtout les relations de propriété nationalisées, pour s’établir comme une nouvelle classe dirigeante capitaliste.
Grant et ses partisans ont répondu à ces changements en intensifiant leurs efforts pour couvrir les bureaucraties travaillistes et syndicales. La TMI est née d’une scission avec une faction dirigée par Peter Taafe, qui allait former le Militant Labour puis le Socialist Party, sur la question tactique de savoir s’il fallait persister à travailler au sein du Parti travailliste comme forme prédominante d’activité politique ou mettre en place une organisation plus «indépendante» fermement ancrée dans la bureaucratie syndicale.
La tendance de Grant, connue en Grande-Bretagne sous le nom de son journal Socialist Appeal, insistait sur le fait que le travail à l’intérieur du Parti travailliste devait être maintenu à tout prix.
L’apologétique du stalinisme et l’apparition soudaine de «l’impérialisme russe»
Grant et Woods étaient tellement attachés à l’orientation qu’ils ont adoptée pendant des décennies en faveur du stalinisme et de la social-démocratie qu’ils ne pouvaient se résoudre à admettre que le capitalisme avait été restauré en Union soviétique grâce à une politique consciente menée par la bureaucratie. À ce jour, chaque fois que la TMI écrit sur la liquidation de l’URSS, elle affirme que l’Union soviétique s’est «effondrée», une tournure de phrase qui donne l’impression qu’il y avait quelque chose d’imprévu ou d’accidentel dans tout le processus.
Même plus de quatre ans après la dissolution stalinienne de l’URSS, alors que les conséquences horribles de la «thérapie de choc» économique étaient évidentes, le niveau de vie des travailleurs s’effondrant dans toute l’ex-URSS tandis qu’une clique d’oligarques s’enrichissait par la destruction des relations de propriété nationalisées et le vol des biens de l’État, Grant et Woods ont mis en garde quiconque tenterait d’imposer une «solution finale» à des «processus inachevés» en discutant de la nature de classe de l’État russe.
Plaçant leurs espoirs dans les factions de l’armée et la classe capitaliste nouvellement établie sous Eltsine, Grant et Woods ont écrit dans un long article de 1996, «L’effondrement du stalinisme et la nature de classe de l’État russe»: «Le processus n’est pas terminé. Sur la base de l’effroyable effondrement économique et social, non seulement la classe ouvrière, mais aussi une partie de la bureaucratie commencent à basculer dans l’autre sens. Il est possible que ce processus conduise finalement à une guerre civile. Cette perspective dépend en partie de la direction que prendra la caste des officiers. Il est tout à fait probable que la section décisive des officiers ira dans le sens du bonapartisme prolétarien qui, après tout, garantit leurs privilèges bien mieux que le régime actuel.»
L’analyse de la TMI a connu un changement spectaculaire avec l’arrivée au pouvoir de Poutine et une stabilisation relative de l’économie russe grâce aux prix élevés de l’énergie. Pratiquement du jour au lendemain, la Russie est passée pour le TMI du statut de «société en transition» où le capitalisme n’avait pas encore été restauré à celui de puissance «impérialiste» aux ambitions mondiales.
Comme le dit un récent article de la TMI marquant les 30 ans de l’«effondrement» de l’Union soviétique à propos de la période qui a entouré l’arrivée au pouvoir de Poutine en 1999, «les puissances occidentales ont supposé, à tort, que la Russie reviendrait au capitalisme en tant que colonie de l’Ouest... la nouvelle oligarchie russe avait ses propres intérêts et commençait à trouver sa confiance. La Russie est réapparue sur la scène de la politique mondiale, non pas comme une nation appauvrie, mais comme une puissance impérialiste, avide de reconquérir ses sphères d’influence perdues avec l’effondrement de l’Union soviétique.»
Le revirement soudain de la TMI est d’autant plus remarquable qu’à l’époque, il n’y a pas eu de débat public sur ce qui avait si radicalement changé pour justifier de qualifier la Russie de puissance impérialiste. Leur site Internet, In Defence of Marxism, a été fondé en 1998 mais n’a publié aucun article ou déclaration faisant référence à l’«impérialisme russe» pendant de nombreuses années.
En fait, le principal document du site web de la TMI sur «l’impérialisme russe», intitulé «L’impérialisme aujourd’hui dans le caractère de la Russie et de la Chine», date de 2016. Le document, qui ne manque pas d’abstractions stériles de la grande œuvre de Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, pour donner à la nouvelle découverte de la TMI un air d’autorité «marxiste», admet ouvertement que deux facteurs majeurs dans la décision du groupe de juger la Russie impérialiste ont été l’annexion de la Crimée par Poutine en 2014 et l’intervention militaire pour soutenir le régime Assad en Syrie en 2015.
Il ne pourrait y avoir de cas plus clair d’un groupe de pseudo-gauche d’imposteurs «marxistes» ajustant leur ligne pour répondre aux besoins politiques des impérialismes américain et européen. Grant et Woods n’ont pas jugé nécessaire de modifier leur description de la Russie en tant que «société de transition» entre le capitalisme et le socialisme après la liquidation juridique de l’Union soviétique, qui a mis fin aux relations de propriété nationalisées établies par la Révolution d’Octobre, plongé des dizaines de millions de personnes dans le chômage et la misère, et transféré les vastes ressources de la troisième plus grande économie du monde entre les mains d’une cabale d’oligarques ex-staliniens.
Mais au moment où Poutine s’est engagé dans un programme de politique étrangère fondé sur le nationalisme réactionnaire de la Grande Russie, qui va à l’encontre des intérêts des impérialismes américain et européen en Syrie et en Ukraine, la TMI s’est empressée de proclamer que l’ancien agent du KGB avait, du jour au lendemain et à lui seul, transformé la Russie d’une société où le capitalisme n’était pas encore restauré en une puissance impérialiste!
Pour Grant et la TMI, la classe ouvrière n’a jamais eu un rôle politique indépendant à jouer en tant que force révolutionnaire. Ses sections nationales, comme Fightback (La Riposte) au Canada, Socialist Appeal en Grande-Bretagne, et Der Funke en Allemagne, sont restées enfouies dans des partis pro-impérialistes et pro-austérité au cours des trois dernières décennies. Fightback continue de décrire le Nouveau Parti démocratique du Canada comme un parti de la «classe ouvrière», malgré son soutien inconditionnel à chaque guerre d’agression menée par les États-Unis depuis le bombardement de la Serbie par l’OTAN en 1999. Der Funke continue d’opérer au sein du Parti de gauche allemand, anciennement stalinien, qui a déclaré qu’il approuvait fermement le programme fou de réarmement militaire de l’impérialisme allemand.
La propagande pro-impérialiste de la TMI sur l’intention de Washington d’éviter un conflit militaire avec la Russie et ses espoirs d’une sorte de nouvel arrangement de «paix» basé sur le renforcement d’un bloc Russie-Chine sont tout à fait conformes à ses antécédents. Elle parle au nom des sections privilégiées de la classe moyenne qui adhèrent pleinement à ces politiques pro-guerre. Leur but est de désarmer la classe ouvrière dans les conditions de la plus grave crise capitaliste depuis des décennies et de fournir une couverture de «gauche» à la campagne de guerre des puissances impérialistes qui menace de plonger le monde entier dans une conflagration mondiale catastrophique.
En opposition à la marche insouciante vers la guerre, les travailleurs du monde entier doivent s’atteler à la tâche de construire un mouvement anti-guerre international. La seule base sur laquelle un tel mouvement peut être construit est la lutte politique consciente pour le socialisme. Un élément clé de cette lutte est la dénonciation implacable des groupes de pseudo-gauche comme la TMI.
(Article paru en anglais le 10 mars 2022)
