Vendredi, d’un trait de plume, six juges non élus ont mis fin au droit à l’avortement, modifiant de façon spectaculaire le paysage juridique et social du pays. Pour la première fois dans l’histoire américaine, la Cour suprême a éliminé un droit constitutionnel fondamental largement reconnu et soutenu par l’écrasante majorité de la population du pays.
La décision de 6-3 dans Dobbs contre «Jackson Women’s Health Organization» est effective immédiatement. L’avortement est maintenant ou va bientôt devenir illégal dans au moins 21 États qui représentent une population totale de 135 millions de personnes. Pour la grande majorité des femmes qui travaillent, ce ne sera pas possible de se rendre dans les États côtiers où l’avortement reste légal.
Telle est la nouvelle réalité: beaucoup mourront dans des opérations bâclées dans des ruelles. Les médecins qui pratiquent des avortements ou prescrivent des médicaments pour interrompre une grossesse seront envoyés en prison. Souvent, il n’y a aucune exception à l’interdiction de l’avortement dans les cas où la personne est une enfant s’est retrouvée enceinte à la suite d’un viol ou d’un inceste.
Cette décision est la première salve d’une attaque sans précédent dans l’histoire de la classe dirigeante contre tous les droits démocratiques. L’opinion concordante de Clarence Thomas annonce que la Cour va maintenant commencer à réexaminer toutes les affaires antérieures dans lesquelles la Cour suprême a protégé les droits substantiels de la population à une procédure régulière. «Dans les affaires futures, écrit Thomas, nous devrions reconsidérer tous les précédents de cette Cour en matière de procédure régulière substantielle, y compris Griswold, Lawrence et Obergefell». Ces décisions, respectivement, ont protégé le droit aux contraceptifs, annulé les lois qui criminalisent la sodomie, et légalisé le mariage homosexuel.
Bien que ces décisions soient les premières sur le billot, la décision exprimée par Thomas indique clairement qu’elles ne sont que le point de départ. «Après avoir annulé ces décisions manifestement erronées, il resterait à savoir si d’autres dispositions constitutionnelles garantissent la myriade de droits que nos affaires de procédure régulière substantive génèrent», a-t-il écrit.
Parmi ces affaires, citons: Brown contre le Conseil de l’éducation (Board of Education) (interdisant la ségrégation à l’école); Gideon contre Wainwright (établissant le droit à un avocat gratuit en matière pénale); Loving contre Virginia (interdisant les lois contre le mariage interracial); West Coast Hotel Cie. contre Parish (qui confirme le salaire minimum et les restrictions relatives au travail des enfants), et bien d’autres encore. La veille du jour où elle a rendu sa décision dans l’affaire Dobbs, la Cour a rendu une décision distincte qui réduit considérablement les protections contre la violation par la police des droits des personnes en état d’arrestation.
Cette décision n’est pas juridiquement légitime. Elle fait partie d’une conspiration politique d’extrême droite. Elle est la dernière d’une longue série de décisions réactionnaires qui légitiment la surveillance étatique, la violence policière, les déportations massives et la domination du système électoral par la grande entreprise. Elle a été rendue par un tribunal qui ne constitue pas une division démocratique du gouvernement, mais un bélier pour le cléricalisme et la bigoterie médiévale.
La cour est maintenant dominée par des idéologues fascistes. Trois des juges qui ont voté avec la majorité dans Dobbs (Gorsuch, Kavanaugh et Coney Barrett) ont été nommés par Donald Trump, l’aspirant dictateur qui a conspiré avec deux des juges (Alito et Thomas) pour orchestrer une tentative de coup d’État le 6 janvier 2021, annuler les résultats de l’élection de 2020 et établir une dictature.
Dobbs est la continuation judiciaire de la tentative de coup d’État de Trump. Elle est sauvagement célébrée par l’extrême droite à travers le pays, qui la considère comme un témoignage de son pouvoir et de ses perspectives d’avenir.
Trump a publié un communiqué pieux qui déclare que «Dieu a pris la décision». Au Texas, le procureur général de l’État, Ken Paxton, favorable à Trump, a déclaré le 24 juin férié et a fermé les bureaux de l’État «en l’honneur des près de 70 millions de bébés à naître tués dans l’utérus depuis 1973», année de l’arrêt Roe contre Wade.
Le Parti républicain poursuivra sa lutte pour abolir l’avortement, même dans les États où il reste légal. Marjorie Taylor Greene, membre fasciste du Congrès et co-conspiratrice du 6 janvier, a déclaré: «Nous avons fait un pas de plus vers la fin du génocide de masse qu’est l’avortement en Amérique», mais elle a prévenu que «ce n’est pas complètement terminé». L’ancien vice-président Mike Pence a déclaré: «Nous ne devons pas nous reposer. Nous ne devons pas relâcher nos efforts tant que le caractère sacré de la vie ne sera pas rétabli au centre de la loi américaine dans tous les États du pays».
La réponse du Parti démocrate confirme sans l’ombre d’un doute que la défense des droits démocratiques les plus fondamentaux est impossible dans le cadre de la politique capitaliste à deux partis.
Lors d’une conférence de presse vendredi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a lu un poème et a déclaré solennellement: «Nous espérons que la Cour suprême ouvrira les yeux.» Les démocrates de la Chambre se sont rassemblés sur les marches du Capitole et ont chanté «God Bless America» alors que des manifestants scandaient en arrière-plan. Le président Joe Biden a prononcé un discours superficiel de 11 minutes dans lequel il a qualifié la décision de «triste». Il a exhorté «le Congrès à rétablir les protections de Roe contre Wade en tant que loi fédérale», ce qui, comme chacun sait, n’arrivera jamais.
Biden n’a pas annoncé que le Parti démocrate utiliserait les derniers mois de sa majorité à la Chambre et au Sénat pour renverser l’obstruction parlementaire, nommer d’autres juges à la Cour suprême, ou lancer une procédure de destitution contre Clarence Thomas pour son rôle dans le coup d’État de Trump. Au lieu de cela, Biden s’est déchargé de toute responsabilité, déclarant qu’«aucune action du président» ne peut protéger l’avortement. Après avoir admis que le Parti démocrate ne fera rien pour protéger juridiquement l’avortement au niveau fédéral, il a ensuite exhorté les gens à voter pour les démocrates lors des prochaines élections de mi-mandat.
Biden a également fait part de la principale inquiétude du Parti démocrate, qui craint que l’opposition massive à la décision ne produise une explosion sociale, et a averti les manifestants de ne pas «intimider» l’extrême droite. «Gardez toutes les protestations pacifiques. Pas d’intimidation. La violence n’est jamais acceptable. Les menaces et les intimidations ne sont pas des discours.» Alors que Biden parlait, une phalange de la police du Capitole s’est déployée pour répondre à une manifestation qui avait éclaté devant le bâtiment de la Cour suprême. En contraste avec le 6 janvier 2021, les policiers portaient une tenue antiémeute complète et des tireurs d’élite étaient déployés sur le toit du palais de justice.
La veille de la décision de la Cour suprême, alors que se déroulait le cinquième jour d’audiences qui montrent que le Parti républicain était pleinement engagé dans le projet de coup d’État de Trump le 6 janvier, Biden a fait référence au Parti républicain lors d’une conférence de presse en parlant de «mes amis républicains». Dans les mêmes remarques, Biden a accusé le président russe Vladimir Poutine d’être responsable de la hausse des prix du gaz et a affirmé que l’envoi massif d’armes en Ukraine était nécessaire pour répandre la «démocratie» et combattre «les méthodes meurtrières de Poutine».
Biden et les démocrates s’appuient sur leurs «amis républicains» pour mener la guerre néocoloniale de l’impérialisme américain contre la Russie, qui vise à ouvrir l’Europe de l’Est et toute l’Eurasie à la domination effrénée des sociétés américaines, et qui risque la guerre nucléaire. Mais ce bipartisme légitime l’extrême droite, donne du vent dans les voiles à un Parti républicain de plus en plus fasciste, et ouvre la voie au saccage des droits démocratiques par la Cour suprême.
La décision Dobbs a le caractère d’une «décision de guerre civile», semblable à la décision de la Cour suprême de 1857 dans l’affaire Sanford contre Dred Scott, qui a accéléré le déclenchement de la guerre civile américaine de 1861-1865 en décidant que les esclaves du Sud restaient une propriété privée lorsqu’ils étaient emmenés dans les États libres du Nord et que tous les individus d’origine africaine ne possédaient aucun droit, car ils n’étaient pas des citoyens.
Aujourd’hui, Biden joue le rôle du président démocrate de l’époque, James Buchanan, dont l’investiture avait eu lieu deux jours avant l’arrêt Dred Scott et dont le gouvernement avait été marqué par ses efforts de conciliation avec ses «amis» esclavagistes, dans la conviction réactionnaire et condamnée d’avance qu’un accommodement avec la droite préserverait l’union.
Dred Scott a choqué la population du Nord et a contribué à la prise de conscience croissante que la démocratie était incompatible avec l’«institution particulière» de l’esclavage qui permettait à une minuscule élite esclavagiste de dominer les lois du pays tout entier. Le conflit sur l’esclavage a fini par être vu comme «irrépressible», et la question a été résolue par la guerre révolutionnaire d’émancipation.
Aujourd’hui, des millions de personnes arrivent à des conclusions similaires sur le capitalisme, où une poignée d’oligarques réactionnaires dominent le système politique, tentent d’établir des dictatures, mènent des guerres aux conséquences potentiellement catastrophiques, permettent la mort de millions de personnes par la propagation évitable de maladies comme le SRAS-CoV-2, détruisent l’environnement pour le profit et supervisent l’expansion de niveaux massifs d’inégalité sociale et de pauvreté.
La décision «Dobbs» montre que la défense des droits démocratiques fondamentaux dépend aujourd’hui entièrement du développement d’un mouvement de masse de la classe ouvrière, indépendamment du système corrompu du bipartisme. Un tel mouvement est en train de se développer aux États-Unis et dans le monde, stimulé par l’augmentation du coût de la vie qui conduit des millions de personnes à des niveaux de difficultés économiques encore plus élevés.
Pour défendre la démocratie et arrêter la guerre impérialiste, ce mouvement doit avoir pour objectif l’abolition du système capitaliste. Cela signifie la saisie et la redistribution de la richesse de l’aristocratie financière et la transformation socialiste du système économique mondial pour répondre aux besoins de la classe ouvrière internationale.
(Article paru en anglais le 25 juin 2022)