Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a annoncé dimanche qu’il remplaçait le ministre de la défense, Oleksii Reznikov, au moment même où l’offensive estivale de Kiev soutenue par l’OTAN est un échec.
Malgré la mort de dizaines de milliers de soldats ukrainiens au cours des 89 jours qui ont suivi le début de l’offensive, les forces de Kiev n’ont progressé que de quelques kilomètres.
Le mois dernier, le Washington Post a rapporté que les agences de renseignement américaines avaient conclu que l’offensive n’atteindrait pas ses principaux objectifs, à savoir atteindre la mer d’Azov afin de couper le «pont terrestre» vers la péninsule de Crimée.
En annonçant la démission de Reznikov, Zelensky a appelé à de «nouvelles approches» dans la conduite de la guerre.
Le New York Times, citant des fonctionnaires ukrainiens qui se sont exprimés officieusement, a déclaré que «l'Ukraine aura besoin de nouveaux dirigeants alors que la guerre s'éternise».
Le remplaçant de Reznikov, Rustem Umerov, est le coprésident de la Plate-forme pour la Crimée, une initiative diplomatique fondée en 2021 pour obtenir un soutien international aux efforts de l’Ukraine, qui visent à reconquérir la péninsule de Crimée, qui a été annexée par la Russie en 2014.
La nomination d'Umerov, originaire de Crimée, signale que, face à une débâcle militaire, Kiev redouble d’efforts pour reconquérir la péninsule. Il n’est pas surprenant que Umerov ait des liens étroits avec l’État américain, ayant participé lors de ses études au programme Future Leaders Exchange financé par le département d'État américain.
Umerov est par ailleurs banquier d’affaires, ce qui permettra un alignement encore plus lucratif entre la guerre et les intérêts financiers internationaux et nationaux qui profitent du conflit.
Le départ de Reznikov a eu lieu dans le contexte d’une longue crise gouvernementale liée à une série de scandales de corruption impliquant notamment le ministère de la Défense. En janvier, un vice-ministre de la Défense et le responsable des achats du ministère ont été limogés à la suite de révélations selon lesquelles le ministère avait surpayé la nourriture fournie aux troupes. À l’époque, il avait été largement annoncé que Reznikov serait démis de ses fonctions, mais il est resté à son poste. À l’époque, le gouvernement Zelensky a lancé la purge la plus importante depuis le début de la guerre en février 2022. Aujourd’hui, une nouvelle purge de l’appareil d’État est en cours.
Dans une déclaration au Washington Post qui commentait l’éviction de Reznikov, le ministère de la Défense a déclaré que «plusieurs hauts fonctionnaires du ministère de la Défense ont été démis de leurs fonctions et ont fait l’objet d’une enquête».
Un jour avant le limogeage de Reznikov, le service de sécurité intérieure de l’Ukraine a arrêté l’oligarque ukrainien, Ihor Kolomoisky, soupçonné de fraude et de blanchiment d’argent. Kolomoisky était étroitement associé avec Zelensky pendant la carrière télévisuelle de ce dernier et a été l’un de ses premiers soutiens politiques. En mai, on a arrêté le président de la Cour suprême du pays pour corruption. Vendredi, un ancien vice-ministre de l’Économie accusé d’avoir détourné de l’argent destiné à des besoins humanitaires a eu sa caution fixée à 25.000 dollars.
Avec plus de 100 milliards de dollars d’argent américain et international qui affluent en Ukraine, la corruption est largement répandue. Le New York Times a rapporté que des armes d’une valeur de près d’un milliard de dollars avaient été payées, mais n’avaient pas été livrées. Ce n’est sans doute qu’un aperçu des profits de guerre et du pillage auxquels se livre l’oligarchie ukrainienne, qui envoie des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs ukrainiens vers une mort quasi certaine dans la guerre. La corruption est la seconde nature d’une classe dirigeante et d’un appareil d’État issus de la destruction stalinienne de l’Union soviétique en 1991 et de l’orgie de pillage lors de la restauration capitaliste qui a suivie.
Le remaniement au ministère de la défense ukrainien intervient dans un contexte de commentaires généralisés dans les médias américains préparant le public américain à ce que la guerre dure plusieurs années.
Dans une tribune du Washington Post, Max Boot a écrit que «L’Ukraine pourrait avoir une meilleure chance de gagner en 2024». Il s’agit du même Max Boot qui, moins de trois mois auparavant, avait interviewé le général David Petraeus, disant qu’il s’attendait à ce que «les Ukrainiens fassent des percées significatives et accomplissent beaucoup plus que ce que la plupart des analystes prédisent».
Cette fois, Boot cite un autre général à la retraite, le général de brigade de l’armée américaine, Mark Arnold, qui s’est déclaré «plus optimiste quant aux perspectives d’opérations décisives l’année prochaine». Il cite Arnold: «Je reste très sceptique quant à l’éventualité d’une bataille décisive cette année qui aurait un effet matériel sur la victoire ukrainienne. Cela pourrait se produire l’été prochain, lorsque la majorité des équipements de manœuvre arriveront de l’OTAN en Ukraine».
Dans un autre article du même ordre paru dans le Wall Street Journal, intitulé «Comment aider l’Ukraine à gagner la guerre d’usure», Walter Russell Mead déclare: «Deuxièmement, la stratégie américaine actuelle ne fonctionne pas bien». Il écrit que la «victoire» nécessitera un engagement américain dans une autre guerre sans fin. Il a déclaré: «S’il s’agit d’une guerre d’usure, les États-Unis et leurs partenaires sont bien placés pour gagner. Il suffit de se décider et de se retrousser les manches».
Dans une autre variation de ce thème, l’ancien général de l’armée britannique, Richard Barrons, écrit dans le Financial Times: «L’Ukraine ne peut pas gagner contre la Russie maintenant, mais la victoire d’ici 2025 est possible». Il poursuit: «La contre-offensive actuelle de l’Ukraine n’éliminera pas la Russie — et personne ne s’y attendait. Elle n’est pas non plus susceptible de réduire l’occupation de moitié avant l’hiver, ce qui aurait pu être l’un des objectifs les plus optimistes. Elle a cependant montré comment l’armée russe peut être battue. Pas en 2023, mais en 2024 ou 2025».
Le général poursuit: «Il faudra à l’Ukraine jusqu’à la mi-2024 pour reconstituer une force aérienne suffisamment puissante et elle manque cruellement d’équipements clés pour le déminage. Pour remédier à tout cela, la guerre se poursuivra au moins jusqu’à l’année prochaine».
En janvier, le président de l'état-major interarmées américain, Mark Milley, a déclaré que le plan américain consistait à «passer à l’offensive pour libérer l’Ukraine occupée par la Russie» et à «libérer les zones occupées». Les responsables ayant promis de soutenir l’objectif général de reprendre la Crimée et le Donbas, les médias américains se sont mis à proclamer que l’offensive de printemps de l’Ukraine conduirait à l’effondrement des troupes russes dans l’équivalent du débarquement de Normandie le jour J.
Maintenant que l’offensive a provoqué un désastre sanglant, les responsables américains préparent l’opinion publique à un conflit de plusieurs années, dans lequel le nombre de morts, qui se chiffre actuellement en centaines de milliers, pourrait bien atteindre des millions.
(Article paru d’abord en anglais le 5 septembre 2023)