Après l’échec catastrophique de la «contre-offensive», le régime Zelensky est confronté à une situation politique désastreuse, avec une opposition populaire croissante à son gouvernement et une escalade des conflits avec les dirigeants militaires.
Un article récent de The Economist, citant des données de sondages internes du gouvernement ukrainien, a révélé que le soutien au président Volodymyr Zelensky s’est effondré à seulement 32 pour cent, à la suite de l’échec de la contre-offensive du pays au cours de l’été et du déclenchement d’une lutte politique ouverte avec l’armée dirigée par le général Valery Zaluzhnyi. The Economist a ensuite qualifié de «terribles» les relations entre Zelensky et Zaluzhnyi.
À l'inverse, le soutien à Zaluzhnyi s'élevait à 70 pour cent. Même le chef du renseignement militaire, Kirill Budanov, fait mieux que Zelensky, avec un taux d'approbation de 45 pour cent.
Jusqu’à présent, Zelensky et son entourage ont réagi à ces informations en accusant la «propagande russe». Cependant, lundi, le principal journal en ligne ukrainien, Ukrainska Pravda, a publié un article documentant le fossé grandissant entre Zelensky et les militaires, ainsi que ses craintes de voir Zaluzhnyi entrer en politique.
Selon cet article intitulé «Guerre contre politique: ce qui se passe vraiment entre Zelensky et Zaluzhnyi», Zelensky et son cabinet ont commencé à considérer Zaluzhnyi comme un problème au printemps de l’année dernière, alors que les sondages gouvernementaux continuaient à montrer un soutien croissant à l’armée et à Zaluzhnyi en particulier.
Des organisations «occidentales» anonymes citées dans l’article avaient clairement suivi le déclin de Zelensky et la montée de Zaluzhnyi. «Certaines organisations étrangères ont récemment organisé des groupes de discussion en Ukraine pour voir par elles-mêmes quels créneaux politiques sont apparus dans notre pays», a déclaré à Ukrainska Pravda un haut responsable ukrainien dont le nom n’a pas été précisé et qui a demandé à l’influent média de ne pas spécifier son nom ni sa fonction.
En avril, les relations s’étaient détériorées lorsque Zaluzhnyi avait tenté de créer sa propre organisation caritative pour soutenir l'effort de guerre, ce qui a suscité l'ire du chef du cabinet du président, Andriy Ermak. L'organe de presse détaille l'ingérence de Zelensky dans les décisions militaires et ses tentatives d'affaiblir Zaluzhnyi en créant des «voies parallèles» de communication avec d'autres responsables militaires rivaux tels qu'Alexander Syrsky, commandant des forces terrestres, et le commandant de l'armée de l’air, Nikolay Oleshchuk.
Les tensions entre Zelensky et les dirigeants de l’armée s’étaient encore accrues lorsque, au début du mois d’août, Zelensky avait démis de leurs fonctions les commandants régionaux de la conscription, à la suite d’un scandale de corruption où des responsables militaires auraient accepté des pots-de-vin allant jusqu’à 10.000 dollars pour échapper à la conscription. Depuis, la conscription et les effectifs avaient fortement diminué, aggravant ce qui était déjà une grave pénurie d’effectifs sur le front.
Aujourd’hui, l’Ukraine envisagerait un nouveau plan de mobilisation qui inclurait la conscription d’adolescents, d’hommes âgés et de femmes, ainsi que le retour forcé depuis toute l’Europe d’hommes ukrainiens en âge de servir, qui ont fui le pays pour éviter de participer à la guerre sanglante soutenue par l’OTAN.
En octobre, Zaluzhnyi a publié un essai et accordé une grande interview à The Economist, admettant que l’Ukraine se trouvait dans une situation militaire désastreuse et que la guerre avait atteint une «impasse».
Peu après, Zelensky et son entourage ont décidé d’annuler les élections présidentielles prévues pour l’année prochaine. Approuvant ouvertement des formes dictatoriales de régime, Zelensky a déclaré à l’époque: «Et si nous devons mettre fin à un conflit politique et continuer à travailler dans l’unité, il existe des structures dans l’État qui sont capables d’y mettre fin et de donner à la société toutes les réponses nécessaires».
Le jour même où Zelensky a annoncé l'annulation des élections, l'un des plus proches assistants et amis de Zaluzhnyi s'est fait exploser avec une grenade qui lui avait été livrée à son domicile comme 'cadeau d'anniversaire' par un militaire. Zelensky a également lancé une autre purge dans l'armée.
La crise politique du régime Zelensky est le symptôme d’une crise beaucoup plus large de l’ensemble de la classe dirigeante ukrainienne et de la guerre désastreuse menée contre la Russie par les puissances impérialistes dans ce pays. Les premiers signes d’une opposition croissante à la guerre sont apparus alors que des manifestants exigent dans tout le pays qu’on fixe une limite de temps pour le déploiement au front. La quasi-totalité des foyers étant touchés et le bilan humain de la guerre étant effarant, il devient impossible de nier la répugnance croissante et généralisée de la population ukrainienne pour la guerre.
La semaine dernière, l’ancien conseiller politique de Zelensky, Alexey Arestovich, a révélé qu’entre 200.000 et 300.000 soldats ukrainiens avaient été tués pendant la guerre, alors qu’il discutait de l’échec d’une proposition d’accord de paix conclue à Istanbul au printemps 2022. Un accord qui avait été ensuite rejeté par le Premier ministre britannique Boris Johnson. Arestovich a déclaré qu’il était peu probable que l’OTAN propose à l’Ukraine de devenir membre à part entière dans un avenir proche, alors que l’Ukraine subit le fardeau des combats et des morts. «Où est l’OTAN? Nous accepte-t-elle ou non? Et nous acceptera-t-elle?… Alors, les 200.000 [militaires ukrainiens] ou quelque chose comme ça, 300.000, seraient encore en vie».
Jamais auparavant une personne aussi proche du régime Zelensky qu’Arestovich n’avait admis les pertes massives de vies humaines subies par les forces ukrainiennes au cours de la guerre. Les chiffres semblent confirmer ceux cités par le Kremlin, qui affirme que plus de 125.000 soldats ont perdu la vie depuis le début de la contre-offensive en juin seulement. La population ukrainienne d’avant-guerre s’élevait à environ 40 millions d’habitants. Les 300.000 morts représentent 0,75 pour cent de la population totale; un nombre bien plus important de personnes sont blessées et handicapées à vie.
Arestovich a également laissé entendre que 4,5 millions d’hommes ukrainiens, soit près de la moitié de la population masculine ukrainienne, avaient fui à l’étranger pour éviter le service militaire et que 30 à 70 pour cent des unités militaires étaient composées de «refusniks» qui avaient déserté. Une femme ukrainienne a déclaré au WSWS que certaines unités du front ne comptaient que deux ou trois soldats au lieu des 30 requis.
Au début du mois d’octobre, le Centre de recherche sur les politiques économiques en Europe a publié un rapport intitulé : «L’impact de la guerre sur le capital humain et la productivité en Ukraine », détaillant les énormes pertes socio-économiques résultant de la guerre et dont la société ukrainienne ne se remettra peut-être jamais.
Le rapport indique que «la reconstruction des infrastructures physiques endommagées et détruites est estimée entre 130 pour cent et 330 pour cent du PIB de l’Ukraine avant la guerre civile.... Il pourrait être encore plus long et plus difficile de compenser les conséquences négatives de la guerre sur le capital humain de l’Ukraine». Le rapport ajoute: «Pour l’Ukraine, les pertes en capital humain devraient culminer d’ici 2035 à environ 3,6 pour cent (0,9 pour cent en raison des pertes d’apprentissage et 2,7 pour cent en raison des pertes de compétences des travailleurs). L’effet durera environ 35 ans et diminuera jusqu’à ce que la dernière cohorte concernée prenne sa retraite à l’âge de 65 ans, en 2085».
Ces chiffres sont d’autant plus stupéfiants qu’ils ont été calculés sans connaître le nombre réel de victimes, qui est un secret bien gardé au sein de la classe dirigeante ukrainienne. Des chiffres tels que ceux cités par Arestovich, qui tente cyniquement de construire sa propre marque politique en opposition au régime de plus en plus impopulaire de Zelensky, ne donnent qu’une vague idée du nombre réel des victimes du conflit.
Les affirmations d’Arestovich, ajoutées à un article dévastateur publié cette semaine par le Washington Post et détaillant l’échec de la contre-offensive de l’été, sont néanmoins des preuves patentes de la situation militaire désastreuse et de la criminalité de la guerre impérialiste menée par l’OTAN contre la Russie en Ukraine.
Face à l’escalade des luttes intestines au sein de la classe dirigeante ukrainienne et à l’extension au Moyen-Orient de ce qui est un nouveau conflit mondial, la classe ouvrière ukrainienne doit développer son opposition à cette guerre sur la base de ses propres intérêts de classe indépendants. Elle doit le faire comme partie d’un mouvement international grandissant des travailleurs et de la jeunesse contre la guerre impérialiste et le génocide à Gaza.
(Article paru d’abord en anglais le 8 décembre 2023)