Les grèves organisées la semaine dernière par plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public québécois ont fourni une démonstration impressionnante de l’immense pouvoir social de la classe ouvrière. Les travailleurs des secteurs de la santé, de l’éducation et des autres secteurs publics et parapublics bénéficient d’un soutien massif de la population dans leur lutte contre le gouvernement de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ) pour défendre les services publics, obtenir d’importantes augmentations de salaire et mettre fin aux horaires de travail pénibles.
La bureaucratie syndicale – qu’il s’agisse de l’alliance intersyndicale du Front commun, de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui négocie au nom de 80.000 infirmières, ou du syndicat indépendant des enseignants, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) – s’efforce de limiter la grève à un conflit provincial de «négociation collective» et au cadre réactionnaire de la politique de l’establishment québécois.
Mais les travailleurs sont confrontés à une lutte politique, non seulement contre un gouvernement particulièrement à droite, mais aussi contre l’ensemble de l’élite dirigeante canadienne et son programme de guerre de classe d’austérité pour les travailleurs afin de payer les renflouements massifs, les subventions et les réductions d’impôts pour les grandes entreprises au pays et la guerre impérialiste dans le monde entier. Pour l’emporter, comme l’a expliqué le World Socialist Web Site, les travailleurs du secteur public québécois doivent lier leur lutte à celle des travailleurs de tout le Canada confrontés à des attaques similaires contre leurs salaires et leurs conditions de travail, ainsi qu’aux centaines de milliers de personnes qui participent aux manifestations de masse contre le génocide israélien des Palestiniens à Gaza. L’impérialisme canadien, tout comme son allié américain, soutient ce génocide jusqu’au bout.
Le premier ministre de la CAQ, François Legault, et son gouvernement droitier chauvin insistent depuis un an pour que les travailleurs obtiennent des réductions substantielles de leurs salaires réels dans le cadre d’une convention quinquennale. En même temps, ils font pression pour obtenir des «droits de gestion» accrus afin de parvenir à une plus grande «efficacité» et «flexibilité», c’est-à-dire une nouvelle aggravation du régime punitif sur le lieu de travail qui a entrainé le départ de milliers de personnes du secteur public depuis le début de la pandémie de COVID-19. Cette campagne de réduction des dépenses publiques est inséparable de la détermination de l’élite dirigeante canadienne à appliquer l’austérité «post-pandémique» pour payer l’explosion des dépenses militaires mises en œuvre au cours des six dernières années par le gouvernement libéral Trudeau et les milliards qu’il gaspille actuellement pour financer son rôle majeur dans la guerre impérialiste menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine.
En 2017, le gouvernement libéral s’est engagé à augmenter de plus de 70 % les dépenses de défense, ce qui équivaut à plus de 13 milliards de dollars par an de fonds supplémentaires pour l’armée d’ici 2026. Ces sommes énormes s’ajoutent aux plus de 2 milliards de dollars d’aide militaire et aux 9 milliards de dollars de soutien financier total fournis par Ottawa au régime d’extrême droite de Zelensky à Kiev, qui, en collaboration avec des forces fascistes, envoie des centaines de milliers de jeunes Ukrainiens à la mort pour le compte de l’impérialisme. Il n’inclut pas non plus les 40 milliards de dollars promis par le gouvernement libéral de Trudeau au cours des deux prochaines décennies pour «moderniser» le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Cette «modernisation» vise à mettre l’impérialisme américain et canadien en position de mener une guerre nucléaire «gagnable» et de contrôler les matières premières et les routes commerciales qui deviennent accessibles dans la région arctique en raison du changement climatique.
Le soutien sans faille apporté par le gouvernement Trudeau, tous les partis du Parlement fédéral et les partis de l’Assemblée nationale du Québec au génocide perpétré par Israël contre les Palestiniens de Gaza démontre que la classe dirigeante canadienne, à l’instar de son allié américain, est prête à recourir à tous les moyens nécessaires pour défendre ses intérêts. Ottawa espère, en soutenant l’État sioniste et la campagne de pression économique et militaire croissante de Washington sur l’Iran, contribuer à renforcer la domination impérialiste américaine sur le Moyen-Orient, riche en énergie et important sur le plan géostratégique, face à leurs rivaux communs, principalement la Russie et la Chine.
Au début du mois, alors que l’assaut israélien contre la population de Gaza durait déjà depuis plus de neuf semaines, le gouvernement Trudeau a cyniquement appelé à un «cessez-le-feu humanitaire», afin de couvrir son soutien au régime sioniste et les plans de Washington visant à étendre la guerre. Mais même cet appel symbolique à la fin de la terreur israélienne contre la population de Gaza a été trop fort pour la CAQ. Elle a déclaré publiquement qu’elle se tenait aux côtés de Washington et du régime de Netanyahou pour s’opposer à la «résolution de cessez-le-feu» adoptée à une écrasante majorité par l’Assemblée générale de l’ONU le 12 décembre.
Toutes les factions de l’élite dirigeante et de l’establishment politique du Canada – fédéralistes et souverainistes québécois, des conservateurs ouvertement de droite et du Bloc Québécois aux libéraux de Turdeau, en passant par le NPD soutenu par les syndicats – sont d’accord pour dire que les vastes sommes d’argent dilapidées pour la guerre impérialiste doivent être récupérées en les soutirant à la classe ouvrière. Le gouvernement Trudeau a suivi les traces de son prédécesseur Harper en imposant des contrôles stricts sur les soins de santé et les transferts sociaux aux provinces, en veillant à ce que le financement ne parvienne pas à suivre le rythme de l’inflation et les coûts supplémentaires générés par une population qui grossit et qui vieillit. Les gouvernements de toutes tendances politiques, de la CAQ de Legault au NPD de la Colombie-Britannique, en passant par le régime ultra-conservateur du PCU dirigé par Danielle Smith en Alberta et le gouvernement progressiste-conservateur de droite de Doug Ford en Ontario, ont réagi en instaurant leurs propres programmes de réduction des coûts et de privatisation sans pitié.
L’expérience récente des travailleurs du secteur public en Ontario montre que la subordination des ressources de la société à la poursuite de la guerre et à l’octroi de subventions aux super-riches a le même impact partout. Le gouvernement Ford a annoncé des milliards de dollars de coupes dans le système éducatif au cours de la prochaine décennie, alors même que la population d’âge scolaire et la pénurie d’enseignants augmentent. Il a également pris des mesures importantes pour privatiser une grande partie du système de santé. Si le gouvernement peut faire avancer ce programme anti-travailleurs, c’est uniquement parce que le SCFP, la Fédération du travail de l’Ontario et d’autres grands syndicats ont saboté un mouvement de grève générale à l’échelle de la province en novembre 2022, mouvement précipité par la courageuse attitude de défiance de 55.000 travailleurs du secteur de l’éducation contre une loi anti-grève brutale.
Les revendications légitimes soulevées par les travailleurs du secteur public du Québec dans leur lutte pour des augmentations de salaire supérieures à l’inflation ainsi que la fin des horaires de travail pénibles et de la campagne de privatisation de la CAQ sont incompatibles, que les travailleurs en soient conscients ou non, avec l’insistance de l’élite dirigeante pour que les ressources de la société soient massivement détournées afin de financer la machine de guerre du Canada. La politique de la classe dirigeante n’offre rien d’autre qu’une aggravation de la misère et de l’effondrement social pour la classe ouvrière. Pendant ce temps, l’élite patronale tente, de manière toujours plus effrénée, de s’assurer de nouvelles matières premières, de nouveaux marchés et de nouvelles sphères d’influence à travers le monde, dans un nouveau partage du monde entre les impérialistes. Les travailleurs du Québec et du reste du Canada n’ont aucun intérêt à être utilisés comme chair à canon pour augmenter les marges de profit des banques canadiennes et renforcer la position des grandes entreprises du pays face à leurs rivaux sur la scène mondiale.
C’est pourquoi les travailleurs doivent lier la lutte pour leurs revendications à l’opposition à la guerre impérialiste s’ils veulent l’emporter. La lutte pour des services publics de qualité fournis par une main-d’œuvre bien payée et disposant d’un personnel adéquat, bénéficiant de la sécurité de l’emploi et d’avantages sociaux décents, est incompatible avec un ordre social qui donne la priorité au pillage impérialiste à l’échelle mondiale. De même, les travailleurs et les jeunes qui sont sortis dans la rue pour manifester leur hostilité au génocide soutenu par l’impérialisme à Gaza ne peuvent faire un seul pas en avant sans le soutien actif de la classe ouvrière, dont les travailleurs du secteur public sont une composante clé. L’idée qu’il est possible de contraindre des représentants de la classe dirigeante comme Trudeau au Canada et Biden aux États-Unis à voir la lumière et à faire campagne pour un «cessez-le-feu» au Moyen-Orient s’est avérée désastreuse. Il a facilité la poursuite de l’assaut israélien pendant plus de deux mois, tuant plus de 20.000 Palestiniens, en blessant plus de 50.000 et en déplaçant de force près de 2 millions de personnes de leur domicile. Ce qu’il faut d’urgence, c’est la mobilisation des travailleurs au niveau international pour arrêter la fourniture et la production de tout ce qui pourrait être utilisé par l’armée israélienne, et préparer une grève générale politique internationale pour stopper net le génocide et les gouvernements impérialistes qui le soutiennent.
Les travailleurs du secteur public québécois peuvent donner une impulsion puissante à une telle lutte, qui renforcerait en même temps considérablement leur position dans leur propre lutte contractuelle. Pour ce faire, ils doivent rejeter le cadre étouffant de la «négociation collective» imposé à leur lutte par la bureaucratie syndicale. Ils doivent au contraire exiger que les milliards affectés à la guerre militaire et impérialiste dans le monde soient réorientés vers des programmes sociaux, y compris l’éducation, les soins de santé et les services sociaux accessibles à tous dès qu’ils en ont besoin. Cela nécessite une rupture consciente avec la perspective provincialiste et nationaliste québécoise inculquée par les appareils syndicaux pour renforcer leurs liens corporatistes avec le gouvernement et maintenir les travailleurs québécois séparés de leurs collègues du reste du Canada et au-delà. Plutôt, la stratégie directrice de la lutte des travailleurs du secteur public québécois doit être un programme socialiste et internationaliste.