Une mascarade politique s'est déroulée lundi soir au Parlement canadien suite à la présentation par le Nouveau Parti démocratique (NPD) d'une motion visant apparemment à critiquer l'assaut meurtrier des Forces de défense israéliennes (FDI) contre les Palestiniens. Après avoir passé des jours à vanter leur intention d'exprimer clairement leur opposition au massacre commis par Israël, certains députés du NPD ayant même évoqué le terme de « génocide », les sociaux-démocrates canadiens ont accepté une réécriture si importante de leur motion que son adoption représentait une déclaration de soutien au génocide soutenu par l'impérialisme à Gaza et perpétré par le régime sioniste d'extrême droit.
La motion de l'opposition présentée par Heather McPherson, porte-parole du NPD en matière d'affaires étrangères, était intitulée « Les actions du Canada pour promouvoir la paix au Moyen-Orient ».
Dans sa version originale, la motion du NPD demandait au gouvernement libéral, dont la majorité au Parlement repose sur le NPD, de « reconnaître officiellement » l'État de Palestine. En outre, elle demandait au gouvernement de « suspendre tout commerce de biens et de technologies militaires avec Israël ». Sur cette base, le chef du NPD, Jagmeet Singh, et McPherson ont proclamé dans les jours précédant le vote que le NPD se battrait pour la création d'un État palestinien et ferait pression pour mettre fin à la complicité du Canada dans l'assaut contre Gaza.
Après le dépôt de la motion au Parlement, le NPD a entamé des négociations en coulisses avec les libéraux pour en vider le contenu. Lorsque le gouvernement Trudeau a accepté de soutenir la motion avec le NPD, les Verts et le Bloc Québécois souverainiste pour garantir son adoption lundi soir par une majorité écrasante, son contenu politique n’avait presque rien à voir avec la version originale. Si les députés du NPD avaient voulu être politiquement honnêtes, ils auraient dû remplacer les keffiehs palestiniens dont ils s'étaient drapés par des uniformes des FDI pour le vote final.
La « reconnaissance officielle » du statut d'État palestinien a été transformée en une promesse vaguement formulée de « collaborer avec les partenaires internationaux pour poursuivre activement l’objectif d’une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient, y compris en vue de l’établissement de l’État de Palestine dans le cadre d’une solution négociée à deux États ». Cette formule creuse, que les puissances impérialistes répètent depuis 30 ans, depuis la signature des Accords d'Oslo, pourrait être acceptée par « Joe le génocidaire » Biden, dont l'administration fournit à Israël les bombes et autres armes pour mener à bien son massacre.
Pour que le Canada puisse continuer à soutenir à fond l'armée israélienne, « suspendre tout commerce de biens et de technologies militaires » est devenu « cesser l'approbation et le transfert d’autres exportations d'armes à destination d’Israël ». Puisque le gouvernement canadien exclut systématiquement les équipements militaires autres que les armes de la désignation « armes », cette formulation soigneusement choisie laisse les mains libres au gouvernement pour continuer à approvisionner les FDI, conformément à son approbation de plus de 28 millions de dollars d'exportations au cours des deux premiers mois du génocide. De plus, la motion n'étant pas contraignante, elle n'engage en fait le gouvernement à aucune action concrète, servant de simple façade politique alors que le génocide se poursuit sans entrave.
Un appel spécifique à soutenir le travail de la Cour internationale de justice (CIJ) et de la Cour pénale internationale (CPI) dans leurs enquêtes et poursuites des crimes de guerre israéliens, y compris l'affaire portée par l'Afrique du Sud accusant Israël de génocide, a été remplacé par de vagues promesses de soutenir la CIJ et la CPI dans leur travail en général, et « d’appuyer la poursuite en justice de tous les auteurs des crimes et des violations du droit international commis dans la région ».
Plus important encore, la motion a été réécrite de manière à régurgiter la propagande de guerre du gouvernement d'extrême droite de Netanyahou. Une clause a été insérée déclarant qu’Israël avait « le droit de se défendre », acceptant ainsi le mensonge scandaleux selon lequel le massacre d'hommes, de femmes et d'enfants sans défense à travers Gaza est un acte d'autodéfense. Même la demande de cessez-le-feu a été subordonnée à « la libération de tous les otages et le dépôt des armes par le Hamas », c'est-à-dire remettre le contrôle de Gaza aux FDI, une proposition que même Netanyahou lui-même pourrait accepter.
Cela n'a pas empêché le chef du NPD, Jagmeet Singh, de se vanter dans un message menteur lundi soir sur Twitter/X, après l'adoption de la motion par 204 voix contre 117, que le NPD avait forcé le gouvernement Trudeau à « cesser de vendre des armes au gouvernement israélien, à soutenir la CPI et la CIJ, à imposer des sanctions aux colons extrémistes, et bien d'autres choses encore [...] »
Le fait que le NPD ait non seulement participé à cette fraude politique, mais qu'il se soit même délecté de son résultat, montre que leur « opposition » au génocide est tout à fait malhonnête. Leur principale préoccupation était de tromper la masse de la population opposée au génocide à Gaza et de détourner l'indignation populaire vers le gouvernement libéral soutenu par les syndicats, que le NPD maintient au pouvoir par un accord formel de « confiance et d'approvisionnement » depuis les deux dernières années.
Ce dernier épisode souligne que la lutte contre le génocide de Gaza ne peut être menée que par la mobilisation de la classe ouvrière contre l'ensemble de l'establishment politique, en particulier l'alliance entre les libéraux, le NPD et les syndicats : le principal mécanisme de l'élite dirigeante pour étouffer la lutte des classes.
Malgré la transformation de la résolution en une déclaration de soutien au génocide israélien contre les Palestiniens, les conservateurs de l'opposition, dirigés par le démagogue d'extrême droite Pierre Poilievre, s'y sont unanimement opposés. Sa vice-présidente, Melissa Lantsman, a joué un rôle particulièrement odieux dans le débat parlementaire. Lantsman, sioniste convaincue et défenseure des crimes de guerre de Netanyahou, portait des plaques d'identité de soldats des FDI autour du cou tout en accusant le NPD et les libéraux de soutenir le terrorisme et en faisant la promotion du mensonge selon lequel le Hamas « tuait des bébés dans des fours ».
Le vote d'Ottawa a eu lieu alors que le régime de Netanyahou a réitéré son projet d'offensive sur la ville de Rafah, dans le sud du pays, où plus d'un million et demi de réfugiés sont confinés dans des conditions désespérées après un bombardement de plusieurs mois qui a détruit la majeure partie de la bande de Gaza. L'État sioniste, avec le soutien des États-Unis, du Canada et des puissances impérialistes européennes, met en œuvre sa « solution finale » de la question palestinienne, tout comme le régime nazi a mis en œuvre l'Holocauste contre les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Outre la destruction systématique de maisons, d'écoles, d'hôpitaux et d'infrastructures sociales, Israël bloque les livraisons de nourriture, poussant la population au bord de la famine.
À la veille du vote, le Premier ministre Justin Trudeau a eu un entretien avec le ministre israélien du cabinet de guerre, Benny Gantz, au cours duquel l'ancien chef d'état-major de Tsahal a clairement exprimé l'opposition de son gouvernement à la motion telle qu'elle a été rédigée par le NPD. « À la lumière du vote à venir au Parlement canadien, appeler à la reconnaissance unilatérale, en particulier après le 7 octobre, va à l'encontre de l'objectif commun de sécurité et de stabilité régionales à long terme et récompenserait en fin de compte le terrorisme », a écrit Gantz sur Twitter/X. « J'ai répété au Premier ministre que, dans l'intérêt de la région, toute action unilatérale devait être évitée. »
La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, est rentrée quelques jours avant le vote d'un voyage au Moyen-Orient, où elle a rencontré ses homologues d'Arabie saoudite et de l'Autorité palestinienne pour renforcer le soutien à Israël et discuter des prochaines étapes du génocide.
Le débat et le vote sur la résolution du NPD ont été présentés par les militants qui ont mené les manifestations contre le génocide à travers le Canada comme un véritable défi au soutien du gouvernement Trudeau à Israël. Les « Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient » ont fait campagne pour que les Canadiens envoient des courriels à leurs députés afin de les exhorter à voter « oui » à la motion.
Des milliers de Canadiens continuent de manifester semaine après semaine dans les villes du pays pour s'opposer au génocide et à la complicité du gouvernement canadien. Les manifestants pacifiques qui réclament l'arrêt des massacres ont été violemment dénoncés par l'ensemble de l'establishment politique comme étant antisémites. Le NPD a été le premier à intimider et à réduire au silence les opposants au génocide. En octobre, le parti a expulsé Sarah Jama, membre de l'assemblée législative de l'Ontario, de son caucus législatif parce qu'elle avait déclaré sa solidarité avec le peuple palestinien et dénoncé Israël comme un « État d'apartheid ».
La menace que représente pour l'élite dirigeante le développement d'une opposition de masse au génocide et à la guerre impérialiste au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse a joué un rôle majeur dans les querelles en coulisses autour de la motion de lundi. Une source libérale anonyme a déclaré à Radio-Canada que « les libéraux avaient fait valoir que la température politique devait être abaissée à un moment où les protestations publiques se multipliaient ».
Les événements de lundi au Parlement soulignent que l'orientation des organisateurs des manifestations contre le génocide et en faveur des Palestiniens, qui consiste à faire pression sur l'ensemble des libéraux, des néo-démocrates et des syndicats pour qu'ils changent de cap, est un cul-de-sac. La lutte pour mettre fin au génocide nécessite de se tourner non pas vers les pouvoirs en place qui permettent la souffrance et la mort de masse, mais vers la classe ouvrière, seule force sociale capable d'arrêter la guerre et le génocide. La lutte contre la guerre et la barbarie impérialiste doit s'attaquer à sa racine, le système capitaliste. La tâche urgente de ceux qui cherchent à mettre fin au génocide de Gaza est de construire un mouvement anti-guerre de masse dirigé par la classe ouvrière afin de lutter pour la transformation socialiste de la société.
(Article paru en anglais le 20 mars 2024)