Les 6 et 7 mai, le président chinois Xi Jinping s'est rendu en France pour un sommet avec Emmanuel Macron. Ce sommet marquait le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine, mais il était centré sur les demandes de l'OTAN à la Chine de couper les liens avec la Russie et l'Iran, à cause de la guerre en Ukraine et du génocide israélien à Gaza.
Le sommet s'est déroulé dans l'ombre de menaces françaises et britanniques d’envoyer des troupes en Ukraine et de lancer des frappes à longue portée sur la Russie. Alors que Moscou menace de riposter par des frappes éventuellement nucléaires, Macron a exigé que Xi coupe l'aide chinoise à la Russie. Cependant, Macron et Xi n'ont négocié que quelques gestes cosmétiques, comme l'appel à une trêve mondiale pendant les Jeux olympiques et la décision de la Chine de reporter les sanctions sur les exportations françaises de cognac.
Mais Xi a rejeté les demandes de Macron sur l'Ukraine, ainsi que les menaces européennes de sanctions visant les exportations chinoises de véhicules électriques et d'autres biens essentiels.
Lors d'une conférence de presse à Paris, Macron a averti sur «un tournant historique où les menaces sont à un niveau inédit et le risque de fragmentation du monde considérable». Il a dit que ce sommet visait à «'éviter justement toute logique de bloc, mais plutôt de bâtir des convergences.» Cependant, Macron a exigé que Xi se plie aux exigences du bloc de l'OTAN que la Chine coupe ses liens avec la Russie et l'Iran, les principaux fournisseurs d'énergie de la Chine.
Il a exigé que la Chine empêche la Russie de menacer l'Europe. «D'abord, nous avons évidemment abordé la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine», a-t-il dit, invitant les «autorités chinoises à s'abstenir de vendre toute arme, toute aide à Moscou» et de signaler aux autorités européennes toute entreprise chinoise violant cette règle. Il a aussi dénoncé «l'Iran, dont la fuite en avant nucléaire porte de nombreux risques» et a appelé la Chine à «pleinement nous coordonner sur ce sujet».
Ces exigences ont été répétées avec véhémence par la présidente de la Commission de l'Union européenne (UE), Ursula von der Leyen, qui s'était rendue en France. Elle a ordonné à Pékin «d'utiliser toute son influence sur la Russie pour mettre fin à sa guerre d'agression contre l'Ukraine» et aider l'Europe à «désamorcer les menaces nucléaires irresponsables russes».
Elle a appelé la Chine à cesser ses exportations vers la Russie de produits «à double usage» potentiellement militaire, comme les puces ou les machines de construction. Elle a dit: «Plus d’effort est nécessaire pour réduire la livraison de biens à double usage à la Russie qui se retrouvent sur le champ de bataille. … Vu la nature existentielle des menaces découlant de cette guerre pour l'Ukraine et l'Europe, cela affecte les relations UE-Chine.»
Dénonçant les exportations chinoises de véhicules électriques en tant que «production excédentaire de la Chine», von der Leyen a menacé d'imposer des taxes importantes sur les produits chinois: «L'Europe n'hésitera pas à prendre les décisions difficiles nécessaires pour protéger son économie et sa sécurité».
Xi a rejeté les demandes de Macron et de von der Leyen sur toute la ligne. Sur l'Ukraine, il a défendu les liens avec la Russie: « La Chine n'a pas déclenché la crise ukrainienne, et n'y est pas partie prenante ou participante. Loin d'être spectateurs, nous avons joué un rôle important pour la paix. Le représentant spécial du gouvernement chinois pour les affaires eurasiennes en est à sa troisième série de navettes diplomatiques. Mais la Chine s'oppose aussi aux tentatives d'utiliser la crise ukrainienne pour salir un pays tiers ou attiser une nouvelle guerre froide».
Xi n'a pas abordé l'Iran dans ses déclarations publiques, mais a critiqué le génocide à Gaza perpétré par Israël, qui est armé par les puissances de l'OTAN et bombarde l'Iran. Xi a dit: «Cette tragédie prolongée est un test pour la conscience humaine. La communauté internationale doit agir. Nous appelons toutes les parties à œuvrer pour un cessez-le-feu immédiat, global et durable à Gaza».
Xi a aussi rejeté l'affirmation de von der Leyen selon laquelle la Chine serait une menace économique pour l’Europe. «Le soi-disant 'problème de la surcapacité de la Chine n'existe pas », a-t-il dit.
Le conflit entre les puissances impérialistes de l'UE et la Chine dévoile une crise profonde et insoluble du capitalisme. Les grandes puissances ne peuvent trouver un accord pour éviter une guerre catastrophique qui pourrait éclater à travers l'Europe et le monde. Cela découle, très clairement dans ce cas, de l'incompatibilité de l'économie mondiale avec le système d’États-nation: la question de la répartition des marchés mondiaux des voitures, des semi-conducteurs ou d'autres produits manufacturés provoque des conflits acharnés.
Les puissances impérialistes jouent un rôle criminel en renfort au génocide à Gaza et en menaçant une escalade de la guerre en Ukraine qu'elles ont provoquée avec la Russie.
Quant à la Chine, elle a sans aucun doute vécu une expansion économique historique au cours des trois dernières décennies en s’intégrant dans l'économie mondiale. Cependant, son régime stalinien n'a pas de réponse viable à l'escalade militaire implacable de l’impérialisme contre la Russie, l'Iran, ou la Chine elle-même dans le détroit de Taïwan. Ayant abandonné ses prétentions anti-impérialistes dans les années 1980 en restaurant le capitalisme, il ne peut faire appel à l’opposition de masse à la guerre dans la classe ouvrière internationale.
La lettre publiée par Xi dans Le Figaro lundi illustre la faillite de sa perspective nationale. Saluant la «vision stratégique» du général Charles de Gaulle, qui a rétabli les relations avec la RPC en 1964, Xi a proposé un «partenariat global stratégique sino-français» pour «la coopération dans le monde», ajoutant : «Depuis la fondation de la Chine nouvelle il y a plus de 70 ans [lors de la révolution de 1949], la Chine n'a jamais déclenché de guerre ».
Ce n’est pas une base viable pour la paix mondiale. Washington, mais aussi les puissances impérialistes de l'UE comme la France poussent à la guerre avec la Russie; Macron menace d’envoyer des troupes en Ukraine. De plus, les calculs qui ont conduit de Gaulle à la détente avec le gouvernement soviétique en 1960, puis à reconnaître la RPC en 1964, sont à présent rejetés par la classe dirigeante et l'establishment politique français.
Il convient de rappeler les discours prononcés par de Gaulle, à une époque où l'impérialisme français, après l'expérience de la Seconde Guerre mondiale et de l'occupation nazie, faisait des clins d’œil au soutien de masse de la classe ouvrière aux révolutions russe et chinoise. Appelant en 1960 à la détente avec l'URSS, il a souligné le danger de guerre nucléaire:
Deux camps se dressent face à face dans des conditions telles qu'il ne dépend que de Moscou ou de Washington qu'une grande partie de l'Humanité ne soit écrasée en quelques heures. Devant cette situation, la France juge qu'il n'y a pas de litige territorial ni de querelle doctrinale qui comptent, qui tiennent en comparaison de la nécessité de conjurer ce péril monstrueux.
Il a appelé à limiter les tensions OTAN-URSS, «excluant les actes et les discours provocants» et ainsi le risque que «pour un motif quelconque, le monde se trouverait en guerre.» Il a aussi appelé à une «mesure catégorique de désarmement contrôlé appliquée de préférence aux engins capables de porter des bombes aux distances dites stratégiques».
Macron et l'ensemble de l'establishment politique français a répudié de tels sentiments. Il y a un soutien écrasant dans les milieux dirigeants pour armer l'Ukraine dans la poursuite d'objectifs territoriaux, renforcer l'arsenal nucléaire français et dénoncer Poutine de manière provocatrice. Tout cela a amené l'Europe au bord de la guerre totale.
En 1964, pour justifier la reconnaissance de la RPC, de Gaulle a fait appel à la sympathie des Français, juste deux décennies après l'Occupation, pour la lutte chinoise contre l'occupation japonaise dans la IIe Guerre mondiale. Soulignant ce conflit, qui a coûté la vie à 20 millions de Chinois, ainsi que les guerres coloniales précédentes contre la Chine, il a dit:
L’entrée en contact de ce pays avec les nations modernes a été très dure et très couteuse. Les multiples sommations, interventions, expéditions, invasions européennes, américaines, japonaises lui ont été autant d’humiliations et de démembrements. Alors, tant de secousses de nationales et aussi la volonté des élites de transformer coûte que coûte leur pays pour qu’il atteigne à la condition des peuples qui l’avaient opprimé ont conduit la Chine à la révolution.
De Gaulle était un politicien bourgeois qui, de 1958 à 1962, a dirigé une guerre coloniale française sanglante en Algérie. Il n'avait pas de sympathies révolutionnaires ou anticoloniales. Mais dans l'intérêt de la poursuite de la politique étrangère impérialiste française, il pouvait faire des déclarations soigneusement calibrées sur l'importance d'éviter une guerre nucléaire, ou sur l'héroïsme de la révolution chinoise.
Macron et la bourgeoisie française aujourd'hui, imposant un régime dégénéré, plongent vers la guerre nucléaire, tout en maniant l'affirmation non étayée et fausse selon laquelle la Chine commettrait un génocide des Ouïghours – alors même que l'OTAN soutient un véritable génocide à Gaza.
Cela souligne une réalité politique fondamentale : il n'y a pas de moyen d'avancer dans la lutte contre le génocide et la guerre sur une perspective nationale, faisant appel aux Etats-nation capitalistes. La voie à suivre est l'unification de la classe ouvrière dans un mouvement révolutionnaire international contre la guerre impérialiste et le génocide, et pour le socialisme.