Au cours des deux dernières années, les gouvernements de la région nordique ont systématiquement transformé leurs pays en États de première ligne de la guerre que l’OTAN mène contre la Russie. La Finlande et la Suède ont rejoint l’OTAN, et une série d’accords bilatéraux avec l’impérialisme américain a entraîné une expansion massive de sa présence militaire dans la région.
Les élections européennes du mois dernier ont donné une expression déformée de l’opposition croissante à cette éruption de militarisme et de guerre. Les partis dits « de gauche» voient leur soutien augmenter aux dépens de l’establishment de droite et des organisations d’extrême droite, actuellement au pouvoir en Finlande et en Suède.
Ces partis ont bénéficié des protestations généralisées dans les pays nordiques contre le génocide soutenu par l’impérialisme israélien, de l’hostilité croissante à l’idée que les ressources de la société soient subordonnées à la guerre contre la Russie et de l’aliénation politique à l’égard des partis sociaux-démocrates traditionnels. Les représentants danois, finlandais et suédois de la pseudo-gauche et des partis ex-staliniens sont tous des partisans convaincus de la guerre impérialiste contre la Russie et ont, au mieux, adopté une position ambiguë sur le génocide de Gaza.
Le Parti populaire socialiste (SF), ex-stalinien, également connu sous le nom de Gauche verte, est devenu le parti le plus populaire au Danemark, avec 17,4 pour cent des voix. Le SF a devancé les sociaux-démocrates au pouvoir, qui ont obtenu un piètre score de 15,5 pour cent, et les libéraux, le principal parti de droite du Danemark, qui ont obtenu 14,7 pour cent. L’Alliance rouge-verte pseudo-de gauche, qui comprend le Parti socialiste des travailleurs pabliste, a vu sa part des voix augmenter d’environ un tiers pour atteindre environ 7 pour cent.
Le SF est né d’une scission d’avec le Parti communiste danois (DKP) stalinien dirigé par Aksel Larsen, un stalinien de longue date, après l’écrasement de la révolution hongroise par l’Union soviétique en 1956. Conformément aux idées associées plus tard à l’eurocommunisme, le SF a d’abord prétendu poursuivre une «troisième voie» entre le soutien ouvert des sociaux-démocrates à l’impérialisme américain et l’alignement du DKP sur l’URSS pendant la guerre froide. Mais il a contribué à soutenir un gouvernement social-démocrate dès 1966, et est ensuite apparu comme un soutien essentiel aux gouvernements dirigés par les sociaux-démocrates qui ont imposé des programmes d’austérité et augmenté les dépenses militaires.
L’an dernier, SF s’est associé au mouvement de masse qui s’est développé contre la décision du gouvernement social-démocrate d’abolir un jour férié afin de lever des fonds pour l’armée danoise. Une grande manifestation de 50.000 personnes à Copenhague en février 2023 a souligné la profondeur de l’opposition à cette décision, qui faisait partie du plan de la Première ministre Mette Frederiksen pour atteindre l’objectif de l’OTAN de consacrer au moins 2 pour cent du PIB à la défense d’ici 2030. Frederiksen dirige une coalition tripartite qui comprend les libéraux de droite et les modérés. C’est la première fois depuis plus de quatre décennies que des partis de la «gauche» et de la «droite» officielles de la politique bourgeoise forment un gouvernement au Danemark.
Le soutien de SF aux manifestations était d’une hypocrisie extrême. Il s’agissait de l’un des nombreux partis qui avaient soutenu en mars 2022 un accord de défense transpartisan visant à porter les dépenses militaires danoises à 2 pour cent du PIB d’ici 2033. Après avoir conclu son accord de coalition avec les partis de droite à la suite des élections nationales de novembre 2022, Frederiksen a accéléré le calendrier à 2030.
Bien que le parti ait refusé de condamner Israël pour ses crimes de guerre et son agression génocidaire contre les Palestiniens de Gaza, la dirigeante du parti SF, Pia Olsen Dyhr, a critiqué le régime sioniste dans un discours au congrès national de son parti en mars pour une réponse «hors de toute proportion» à l’attaque du Hamas du 7 octobre.
La progression du soutien à l’Alliance de gauche finlandaise a été encore plus importante. Après avoir obtenu seulement 7,1 pour cent des voix aux élections générales de l’année dernière, l’organisation qui a succédé au Parti communiste stalinien de Finlande, autrefois influent, a recueilli 17,3 pour cent des voix. Même avec une participation nettement inférieure à celle des élections nationales de l’an dernier, l’Alliance de gauche a obtenu environ 100.000 voix de plus.
La dirigeante de l’Alliance de gauche Li Andersson a remporté le plus grand nombre de voix de tous les candidats aux élections européennes en Finlande, avec près de 250.000 voix. Le parti a gagné du soutien dans un contexte d’attaques généralisées contre les services publics, les prestations sociales et les droits de négociation collective de la part du gouvernement de droite finlandais, qui vise à économiser 6 milliards d’euros au cours de son premier mandat de quatre ans pour investir dans la défense.
L’Alliance de gauche n’offre aucune alternative à ce programme de militarisme et de guerre pro-impérialiste. A l’approche des élections européennes, Andersson a dénoncé toute accalmie dans l’escalade du bain de sang soutenu par l’impérialisme en Ukraine. Elle a attaqué l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) en Allemagne pour son plaidoyer en faveur d’un cessez-le-feu et d’une fin des livraisons d’armes à l’Ukraine, affirmant que son parti ne siégerait pas dans le même groupe au Parlement européen que les membres de BSW.
Le BSW allie un soutien ferme à la remilitarisation allemande à un programme anti-immigrés virulent. Cependant, contrairement aux sections dominantes de la classe dirigeante allemande, il défend l’idée que Berlin devrait orienter ses opérations militaires davantage contre les États-Unis et l’OTAN en apaisant les tensions avec la Russie. Andersson a déclaré: «Mon parti et la gauche verte nordique ne sont pas disposés à siéger dans le même groupe que les Wagenknecht». La gauche verte nordique comprend l’Alliance de gauche finlandaise, la RGA et la SF danoises et le Parti de gauche suédois. Des partis politiques dans des États non membres de l’UE comme l’Islande, la Norvège, les îles Féroé et le Groenland en sont également membres.
Une croissance similaire, quoique moins spectaculaire, du soutien aux partis de la «gauche» a été observée en Suède, où le Parti de gauche, ex-stalinien, a obtenu l’un de ses meilleurs résultats depuis des années, avec plus de 11 pour cent des voix. Les Verts ont également gagné du terrain, remportant 13,9 pour cent des voix. Les sociaux-démocrates sont restés le plus grand parti, avec une part des voix en légère hausse à 24,7 pour cent.
La subordination des travailleurs et des jeunes à la social-démocratie
Jonas Sjöstedt, du Parti de gauche, a réagi à la progression des partis de la «gauche» dans la région nordique et à la baisse de popularité des partis d’extrême droite nordiques en qualifiant les résultats de «lueur d’espoir» pour l’Europe dans le contexte de la montée de la droite fasciste. Rien n’est plus faux. La réalité est que le rôle des partis pseudo-de gauche dans la répression de la classe ouvrière en la maintenant politiquement liée à la social-démocratie a contribué de manière significative au renforcement de l’extrême droite.
Sjötstedt a dirigé le Parti de gauche de 2012 à 2020. À partir de 2014, son parti a assuré la majorité parlementaire au gouvernement minoritaire social-démocrate de Stefan Löfven. Le gouvernement de Löfven a réalisé le cadre budgétaire des partis de droite suédois et adopté le programme anti-immigrés des Démocrates de Suède, d’extrême droite. Le Parti de gauche a justifié son soutien politique à cet arrangement en faisant valoir que c’était le seul moyen de bloquer la montée des Démocrates de Suède, qui sont issus du mouvement néonazi suédois. Au contraire, cela a permis aux fascistes de prendre l’initiative politique.
L’opposition populaire s’est accrue lorsque les sociaux-démocrates, soutenus par les Verts et le Parti de gauche, ont imposé une politique d’«immunité collective» meurtrière pendant la pandémie, qui a vu la Suède connaître un taux de mortalité bien plus élevé que ses voisins nordiques. Les sociaux-démocrates ont également augmenté les dépenses militaires et ont lancé la candidature de la Suède à l’adhésion à l’OTAN. Après la défaite des sociaux-démocrates aux élections de 2022 en raison de l’hostilité croissante à leur politique de droite, le chef du Parti modéré Ulf Kristersson a formé un gouvernement minoritaire de coalition de droite s’appuyant sur le soutien des Démocrates de Suède.
Le même problème politique fondamental a été soulevé au Danemark et en Finlande par les actions des partis de la pseudo-gauche qui bénéficient désormais de l’opposition au militarisme et à l’extrême droite. Le SF et le RGA ont soutenu une série de gouvernements sociaux-démocrates en faisant valoir que c’était la seule façon de stopper le Parti populaire danois (DF) d’extrême droite. Après quatre ans de gouvernement du Parti libéral de droite soutenu par le DF de 2015 à 2019, le SF et le RGA ont soutenu le gouvernement minoritaire social-démocrate de Frederiksen, qui a adopté le programme anti-immigrés de l’extrême droite et a mis en œuvre d’importantes augmentations des dépenses militaires. Loin de stopper la droite, cette politique a ouvert la voie, après les élections de 2022, à la première coalition des sociaux-démocrates avec des partis de droite depuis plus de quatre décennies.
En 2019, l’Alliance de gauche d’Andersson en Finlande a rejoint le gouvernement social-démocrate dirigé par Sanna Marin. À l’époque, Andersson avait fait semblant d’insister pour que la participation de l’Alliance de gauche soit conditionnée à ce que la question de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN ne soit pas évoquée durant la législature. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, provoquée par les États-Unis, en février 2022, Andersson et la grande majorité de la direction de l’Alliance de gauche ont opéré un virage à 180 degrés Ils ont déclaré que la candidature de la Finlande à l’OTAN ne serait pas une question qui les ferait quitter le gouvernement. Lors d’une réunion conjointe du conseil du parti et du groupe parlementaire en mai 2022, Andersson et ses camarades bellicistes ont obtenu une majorité écrasante pour cette ligne pro-OTAN, qui a transformé ce pays ayant une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie, en État garnison intégré aux plans de guerre impérialistes américains.
Les travailleurs et les jeunes de la région nordique qui veulent vraiment s’engager dans la lutte contre la guerre et la menace fasciste ne peuvent pas faire un seul pas en avant en soutenant l’un des partis « de gauche» de la région. En subordonnant la classe ouvrière à la social-démocratie et en soutenant avec enthousiasme la guerre impérialiste contre la Russie et l’austérité, ces partis portent la responsabilité, avec le reste de l’establishment politique, de la montée des forces fascistes.
En outre, la tentative de présenter «l’exception scandinave» comme une «lueur d’espoir» pour l’Europe est une fraude et politiquement. Elle empêche les travailleurs de voir que la crise capitaliste mondiale pousse la politique officielle des pays nordiques vers la droite tout autant à droite qu’en Grande Bretagne, en France et en Allemagne, les principaux pouvoirs impérialistes européens. La région nordique compte deux gouvernements, la Finlande et la Suède, auxquels participent directement la droite fasciste ou qui sont soutenus par elle ; et les élites dirigeantes de tous les pays de la région ont subordonné l’ensemble de leurs sociétés aux intérêts de la machine de guerre impérialiste nord-américaine et européenne.
Dans tous les pays nordiques, les sociaux-démocrates ont transformé des sociétés relativement peu inégalitaires et dotées de services publics étendus en avant-postes de la guerre impérialiste, où l’écart entre riches et pauvres se creuse plus rapidement que dans le reste de l’Europe. Pourtant, ce sont précisément ces sociaux-démocrates que les partis de la pseudo-gauche ne cessent de présenter comme leurs alliés dans la lutte contre la droite politique. Ce dont les travailleurs danois, finlandais, norvégiens et suédois ont besoin, c’est d’une orientation politique en direction de leurs frères et sœurs de classe à travers l’Europe et le monde, qui sont confrontés aux mêmes menaces de guerre, d’austérité et de formes de gouvernement autoritaires. Cela exige l’adoption d’un programme socialiste et internationaliste, et non pas le maigre gruau d’une Scandinavie «progressiste», qui a depuis longtemps dépassé sa date limite de vente.
(Article original publié en anglais le 3 juillet 2024)
