Le plan du Parti québécois en matière d’immigration: la normalisation de l’extrême droite

Dans un projet dévoilé à la fin du mois d’octobre sous le titre «Un Québec libre de ses choix: pour un modèle viable en immigration», le Parti québécois (PQ), qui trône en tête des intentions de vote, s’engage à réduire drastiquement l’immigration au Québec s’il devait former le prochain gouvernement provincial.

Cet engagement positionne le PQ à l’extrême-droite de l’échiquier politique comme promoteur le plus débridé du chauvinisme québécois anti-immigrants que la classe dirigeante en son ensemble a adopté depuis plus d’une décennie dans le but de diviser la classe ouvrière et de camoufler ses propres brutales mesures d’austérité capitaliste.

De plus, en mettant cet engagement au cœur de son argumentaire pour l’indépendance du Québec, le PQ met définitivement au rancart les vieilles prétentions «progressistes» associées à ce qu’il appelait autrefois son «projet de société» – l’idée frauduleuse qu’un Québec devenu indépendant du Canada serait un véhicule pour le progrès social dans une société «ouverte» et «inclusive».

Dorénavant, sous la direction de son chef Paul St-Pierre Plamondon, le PQ place ouvertement son appel séparatiste sur le socle ultra-réactionnaire de l’exclusivisme national. Le séparatisme québécois laisse tomber son discours mielleux et son masque «démocratique» pour parler le langage grossièrement brutal de la xénophobie.

Le message est clair: une nouvelle république capitaliste du Québec signifierait non seulement le démantèlement accéléré des services publics et la participation accrue aux crimes de l’impérialisme en tant que membre de l’OTAN et de NORAD (Défense aérospatiale de l'Amérique du Nord), mais aussi la chasse-aux-sorcières fasciste contre les migrants et les réfugiés.

Cette affiche du PQ pour promouvoir son programme indépendantiste montre une photo de son chef, Paul St-Pierre Plamondon, surimposée sur une carte du Québec.  [Photo: St. Pierre Plamondon/Facebook]

Sous le nouveau plan du PQ en matière d’immigration, le nombre d’immigrants temporaires présents sur le territoire québécois – une catégorie qui comprend les travailleurs étrangers, les étudiants internationaux et les demandeurs d’asile – passerait de 600.000 à entre 250.000 et 300.000 au cours du premier mandat de quatre ans d’un gouvernement péquiste.

Le PQ propose aussi la réduction des seuils de l’immigration permanente à 35.000 par année (les seuils actuels sont d’environ 50.000) et un moratoire de quatre ans sur les immigrants économiques (les travailleurs permanents).

Au-delà des chiffres, le plan du PQ est avant tout un manifeste politique qui continue les efforts de la classe politique pour diaboliser les immigrants. Préparé par les instances du PQ et signé par son chef, il inscrit dans un document politique officiel des théories jusqu’alors confinées aux cercles d’extrême droite et aux chroniqueurs ultranationalistes du Journal de Montréal, un tabloïd qui appartient au milliardaire et ancien chef du PQ Pierre-Karl Péladeau.

Le plan du PQ est bâti autour d’une version québécoise de la théorie fasciste et antisémite du Grand remplacement: le gouvernement fédéral utiliserait l’immigration «massive» pour assimiler les Québécois et diminuer le pouvoir politique du Québec. En mettant ce mensonge de l’avant, le PQ reprend à son compte les idées du chroniqueur vedette du JdM Mathieu Bock-Côté, un extrémiste de droite qui ne cache pas son admiration pour les politiciens fascistes d’Europe.

En mars 2023, le JdM a publié un «dossier spécial» initié par Bock-Côté sur l’Initiative du siècle – une proposition d’un groupe de lobbyistes pour faire augmenter la population canadienne au moyen de l’immigration que le gouvernement Trudeau nie vouloir implanter. Dans ce dossier, le JdM affirmait que le gouvernement fédéral cherchait à «noyer» le Québec francophone dans une «mer» d’immigrants anglophones.

Le plan péquiste, qui porte le sous-titre «Réplique à l’Initiative du siècle» et consacre tout un chapitre à ce sujet, incorpore explicitement ce canular de la droite radicale dans le programme politique du PQ. Il décrit ainsi l’augmentation du nombre d’immigrants au Canada comme un «pur délire idéologique» du gouvernement fédéral dont l’«immigrationnisme» (un néologisme de l’extrême droite française adopté par Bock-Côté) viserait à «saboter» le modèle québécois au profit de «l’identité canadienne».

De plus, le document reprend et intensifie les accusations de la classe politique que les immigrants représentent une menace existentielle pour la nation québécoise et sont responsables de tous les maux sociaux et économiques. Le plan du PQ les accuse ainsi de causer le déclin de la langue française et de la culture québécoise, la crise du logement, l’augmentation des coûts de l’aide sociale, l’effondrement des services sociaux et des réseaux publics de santé et d’éducation, la détérioration des infrastructures publiques et le manque d’hydro-électricité.

En réalité, ces problèmes qui s’accumulent depuis des décennies, et gagnent aujourd’hui en intensité, sont le résultat de la crise du système capitaliste et des politiques draconiennes d’austérité mises en place par les différents paliers de gouvernement au Canada, toutes étiquettes politiques confondues, y compris ceux dirigés par le PQ au niveau provincial.

Les attaques réactionnaires contre les immigrants que contient le plan du PQ et sa normalisation des politiques d’extrême droite s’inscrivent dans une tendance nationale et internationale.

Sur la scène fédérale canadienne, le gouvernement Trudeau, que ses alliés du NPD et dans les bureaucraties syndicales cherchent à présenter comme «ouvert» et «progressiste», a annoncé dans les derniers mois une série de mesures pour restreindre l’immigration. Quelques jours avant le dévoilement du plan du PQ, le gouvernement Trudeau a annoncé une diminution de 21% du nombre d’immigrants permanents pour 2024 et d’autres baisses importantes en 2025 et 2026.

Contraints de vivre dans des conditions semblables à celles d'un baraquement, les travailleurs agricoles migrants ont été durement touchés par les multiples vagues de la pandémie de COVID-19. [Photo: Migrant Workers Alliance for Change ]

Aux États-Unis, le président élu Donald Trump a basé sa campagne électorale sur la diabolisation des immigrants et la promesse d’en déporter au moins 10 millions. Ses premières nominations démontrent qu’il entend donner suite à cette promesse.

En réponse à l’arrivée probable aux frontières canadiennes de milliers d’immigrants fuyant la répression de Trump, le Premier ministre québécois François Legault de la CAQ (Coalition avenir Québec) a promis de déployer des policiers si le gouvernement fédéral n’assume pas sa «responsabilité» de «protéger nos frontières».

Tout cela montre comment l’agitation anti-immigration est utilisée pour renforcer les pouvoirs répressifs de l’État en vue d’une utilisation contre l’ensemble de la classe ouvrière dans un contexte d’intensification de la lutte des classes – marquée notamment par une vaste grève des 600.000 travailleurs du secteur public québécois en décembre dernier et une grève nationale en cours des 55.000 travailleurs de Postes Canada.

Dans la «Forteresse Europe», les classes dirigeantes déploient de violentes forces de sécurité aux frontières, enferment les migrants dans de sordides camps de concentration ou les laissent se noyer par milliers dans la Méditerranée et dans la Manche pendant que les politiciens démonisent les immigrants en utilisant un langage associé à l’extrême droite.

En visite en France au début du mois d’octobre, Legault a demandé au gouvernement fédéral de s’inspirer des brutales politiques européennes et de forcer l’expulsion vers d’autres provinces canadiennes de la moitié des demandeurs d’asile qui se trouvent au Québec.

Endossant complètement ces politiques brutales, le plan du PQ cite avec approbation plus d’une dizaine de pays européens, y compris l’Italie, la France, l’Allemagne et la Pologne où l’extrême droite est au pouvoir ou dicte les politiques en immigration, pour la façon dont ils ont restreint l’immigration.

Pour camoufler la véritable nature des politiques européennes dont il veut s’inspirer, le PQ ne souffle pas mot de la violence et de la répression dans son plan. Il va même jusqu’à minimiser les émeutes anti-immigrants déclenchées par l'extrême droite en Angleterre en juillet. Le plan les décrit comme de simples manifestations ayant dégénéré en «flambée de violence» dont les «contre-manifestants», c’est-à-dire les travailleurs et les jeunes qui se sont opposés aux attaques contre les immigrants, seraient autant responsables que les «manifestants».

Ignorant complètement la violence contre les immigrants, le PQ critique cependant l’Europe pour ne pas avoir un discours sur l’immigration aussi «serein» que celui ayant cours au Québec. Cette description à l’eau de rose exige d’effacer de la mémoire collective la date fatidique du 29 janvier 2017, lorsqu’un jeune extrémiste de droite muni d’un AK-47, Alexandre Bissonnette, a ouvert le feu à la mosquée de Québec sur les fidèles présents et abattu six musulmans innocents. La nature toxique et haineuse du «débat» québécois sur la place (supposément excessive) des minorités religieuses dans la société était ainsi exposée à la face du monde.

Le PQ réserve ses compliments les plus enthousiastes pour les pays européens qui se sont attaqués aux réfugiés: les immigrants les plus vulnérables qui fuient les guerres et la misère causées par les interventions de l’impérialisme américain et de ses alliées européens et canadien. Le PQ souligne l’efficacité des mesures visant à les emprisonner dès leur arrivée sur le territoire national, à les déporter sans délai et à les empêcher de bénéficier des services sociaux.

Un policier armé monte la garde dans le nouveau centre de détention pour migrants et réfugiés du village de Zervou, sur l'île grecque de Samos, le 1er octobre 2021.

Reprenant à son compte un autre mensonge qui émane de l’extrême droite, le PQ accuse la majorité des demandeurs d’asile au Québec de ne pas être de véritables réfugiés, mais des criminels qui «détournent» le droit d’asile. En réponse, il promet l’implantation de politiques similaires à celles de l’Europe pour «resserrer» le droit d’asile.

Déplorant le fait qu’une province n’aurait pas assez de pouvoirs dans le cadre du système fédéral canadien pour appliquer son propre programme d’immigration (en l’occurrence, une féroce campagne de répression contre les réfugiés et les migrants calquée sur le «modèle européen»), le PQ s’engage s’il forme le prochain gouvernement provincial à tenir dès son premier mandat un nouveau référendum sur l’indépendance du Québec qui lui donnerait les coudées franches en cas de victoire.

Le dépôt du nouveau plan du PQ sur l’immigration est l’occasion pour les travailleurs conscients de tracer un bilan définitif du nationalisme québécois, et en particulier de ses promoteurs les plus assidus au sein de la «famille souverainiste» où se côtoient le PQ, la bureaucratie syndicale et les organisations de classe moyenne supposément «de gauche» comme Québec solidaire.

Le mensonge nationaliste que les travailleurs du Québec ont plus à commun avec leurs patrons francophones de la province qu’avec les travailleurs anglophones du reste du pays est, aux côtés de l’anglo-chauvinisme longtemps prôné par l’establishment du Canada anglais, au cœur du mécanisme historiquement déployé par la classe dirigeante québécoise et canadienne pour assurer son emprise politique sur une classe ouvrière divisée.

Lors de la dernière vague de luttes révolutionnaires de la classe ouvrière internationale à la fin des années 60 du siècle dernier, qui a pris sa forme la plus explosive au Canada dans la province du Québec, le nationalisme québécois a servi à garder les travailleurs militants du Québec isolés de leurs frères et sœurs de classe d’Amérique du Nord.

Leurs revendications de classe ont été canalisées vers le cul-de-sac du séparatisme québécois. Le PQ de René Lévesque, porté au pouvoir en 1976 avec l’appui des appareils syndicaux et de nombreux groupes pseudo-marxistes, allait rapidement étouffer les appels au changement social en faveur du programme nationaliste de la souveraineté du Québec. Ce fut associé, avec la récession du début des années 1980, à l’imposition d’une brutale austérité capitaliste qui allait caractériser la politique de tous les gouvernements péquistes subséquents.

Cette amère expérience des profondes coupes sociales du PQ, couplée à la vaste expansion et intégration de l’économie mondiale qui a objectivement miné la base même de tout programme national, a eu pour conséquence de discréditer le programme indépendantiste québécois parmi de vastes couches de la classe ouvrière, causant une véritable hémorragie de son vote dans l’électorat ouvrier. La réponse du Parti québécois a été un virage «identitaire» de plus en plus prononcé vers la droite, qui l’amène aujourd’hui à adopter ouvertement le type de programme xénophobe historiquement associé au fascisme.

Alors que l’effondrement de l’ordre capitaliste mondial met à l’ordre du jour une nouvelle période de luttes révolutionnaires qui pose l’alternative «capitalisme ou barbarie», comme en témoigne le génocide israélien à Gaza soutenu par Washington et Ottawa, les travailleurs et les jeunes du Québec doivent définitivement rejeter le poison du nationalisme québécois ainsi que le piège mortel que représente encore le projet indépendantiste.

Ils doivent plutôt adopter une perspective internationale qui correspond au caractère intégré de l’économie mondiale, ce qui signifie au point de vue politique l’unité de tous les travailleurs du Canada – francophones, anglophones et immigrants – dans la lutte commune, aux côtés de leurs frères et sœurs de classe du reste de l’Amérique du Nord et d’outremer, contre le capitalisme en faillite et pour le socialisme.

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