Le gouvernement du Premier ministre français Michel Barnier est tombé mercredi, sur une motion de censure déposée par le Nouveau Front populaire (NFP) de Jean-Luc Mélenchon et soutenue par le Rassemblement national (RN) d'extrême droite.
Lundi, Barnier avait invoqué l'article 49.3 de la Constitution française pour tenter d'imposer le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) sans vote à l'Assemblée nationale. LFI (La France Insoumise de Mélenchon) et le RN de Marine Le Pen ont alors toutes deux déposé des motions de censure à l'Assemblée. Le Pen et d'autres responsables du RN s’étaient engagés à voter pour la motion de censure de LFI, et Barnier est tombé après le vote sur cette motion.
Les députés de la coalition Nouveau Front populaire – LFI (77 sièges), Parti communiste français (17 sièges), Parti socialiste (66 sièges) et Verts (38 sièges) – ainsi que le RN (124 sièges) devaient donner à la motion de censure LFI une majorité de 332 voix sur les 577 sièges de l'Assemblée.
Il faut mobiliser les travailleurs dans la lutte pour faire chuter Barnier et le président Emmanuel Macron et les avertir que la censure de Barnier ne résoudra pas à elle seule les problèmes auxquels ils sont confrontés. Deux tiers des Français souhaitent la chute de Macron. Cependant, la censure de Barnier ne ferait pas chuter Macron et ne donnerait pas plus de pouvoir aux travailleurs. Au contraire, la censure intensifierait les luttes au sein de l'élite dirigeante pour savoir qui remplacera Barnier tout en poursuivant ses attaques contre la classe ouvrière.
Les rivaux de Barnier à l'Assemblée n'ont pas une politique fondamentalement différente de la sienne sur les grands conflits internationaux qui motivent ses politiques d'austérité et de répression à l'intérieur de la France. Aucun d'entre eux ne se bat pour mettre fin aux guerres de l'OTAN contre la Russie et le Moyen-Orient ou pour briser le diktat des aristocrates financiers qui spéculent sur la dette française sur les marchés financiers internationaux en expropriant leurs fortunes.
Après que Barnier a invoqué l'article 49.3, la présidente du groupe parlementaire LFI, Mathilde Panot, a déclaré qu'elle avait déposé une motion de censure LFI, citant le « chaos politique » et le « déshonneur total du macronisme ». Elle a dénoncé ses « pourparlers avec le Rassemblement national », notant la décision de Barnier de réduire l'aide médicale d'État (AME) pour les réfugiés dans une tentative finalement infructueuse de gagner le RN pour soutenir son budget.
Peu après, Le Pen a tenu sa propre conférence de presse à l'Assemblée et a annoncé : «Nous déposerons, au moment où je vous parle, une motion de censure, et que nous voterons la censure du gouvernement. [...] D'où que viennent ces motions de censure, qu'il y en ait une ou plusieurs, nous voterons ces censures, et en premier lieu la nôtre.»
Le débat politique officiel en France est totalement irréel. À l'exception de quelques figures des partis de gouvernement, l'ensemble du spectre politique, de LFI au RN, dénonce les réductions de pensions, les augmentations de prix des médicaments et des services publics, et d'autres mesures impopulaires et réactionnaires dans le budget de Barnier. Un observateur superficiel du débat sur le budget pourrait être pardonné de conclure que l'establishment capitaliste français est en train de basculer rapidement vers la gauche.
Ce n'est toutefois pas un glissement à gauche qui est en train de se produire. Aucun des partis impliqués ne propose d'augmenter massivement les impôts des super-riches, de répudier l'énorme dette française de 3000 milliards d'euros ou d'annuler les augmentations des dépenses militaires pour l'« économie de guerre » française. Pour eux, la guerre et l'enrichissement de l'aristocratie financière doivent continuer. Mais leurs critiques de l'austérité ne sont que de la pure démagogie, à laquelle ils peuvent se livrer parce qu'il est évident que le budget de Barnier ne sera pas adopté. Aucun de leurs amendements ou commentaires sur le budget ne les engage concrètement à quoi que ce soit.
Mais tout en critiquant l'une ou l'autre réduction sociale particulièrement impopulaire, les dirigeants du RN se prononcent de plus en plus ouvertement en faveur d'une politique dure de « réforme structurelle » visant à réduire le déficit. Si cela se fait sans augmentation massive des impôts sur les riches, cela ne peut signifier que des réductions sociales ou des augmentations d'impôts dévastatrices pour les travailleurs. D'ailleurs, de l'autre côté de l'Atlantique, les alliés de Le Pen au sein de la future administration Trump s'engagent à réduire les dépenses publiques de 2000 milliards de dollars.
Ce week-end, alors qu'elle changeait de position pour censurer définitivement Barnier, Le Pen a appelé à de profondes « réformes structurelles » pour équilibrer le budget. « Les dernières annonces de Michel Barnier ne sont pas financées par des économies structurelles. […] En l'état, le budget de M. Barnier va précipiter la crise financière » et « aggravera un déficit déjà abyssal », a-t-elle tweeté.
Au sein de l'establishment politique, des mesures désespérées sont discutées pour résoudre la crise budgétaire, intensifier les guerres et transférer davantage de richesses aux marchés financiers. L'une des questions qui se posent est celle du budget qui pourra être voté en 2025. Étant donné que Macron a dissous le Parlement en juin, il ne peut pas le dissoudre avant juin 2025 et devra rédiger un budget avec l'Assemblée actuelle, divisée entre les factions du NFP, des pro-Macron et du RN.
La menace d'une dictature est réelle. L'Assemblée, profondément divisée, dispose de moins d'un mois pour élaborer un nouveau budget avant le début de l'année 2025 ou pour voter la prolongation du budget 2024 en 2025. Cependant, le budget 2024, avec son énorme déficit, se heurterait à une forte opposition des marchés financiers. Si l'Assemblée ne parvient pas à voter un nouveau budget ou à prolonger l'ancien, les médias spéculent sur le fait que Macron pourrait invoquer l'article 16 de la Constitution pour suspendre le Parlement et gouverner par décret.
Toute politique de ce type se heurterait à une opposition explosive de la part de la classe ouvrière. Cependant, dans un contexte d'aggravation de la guerre mondiale et de la crise financière, il est clair – avec les menaces de Trump selon lesquelles les récentes élections américaines pourraient être les dernières, ou la tentative de coup d'État militaire mardi en Corée du Sud – que la classe dirigeante envisage activement la dictature. Le devoir élémentaire de toute tendance marxiste est d'avertir la classe ouvrière sur la nécessité de se mobiliser contre Macron-Barnier sur la base d'un programme d'opposition à la guerre impérialiste, à l'austérité, à la dictature et au capitalisme.
Mélenchon, quant à lui, tente d'endormir les travailleurs et les jeunes. Arguant que les négociations budgétaires ont montré que l'Assemblée nationale soutient certaines des augmentations des retraites et d'autres mesures sociales limitées contenues dans le programme électoral de LFI en juin, Mélenchon exige que Macron démissionne pour qu'un gouvernement progressiste puisse être formé. Dans une déclaration qu'il a lue sur X/Twitter, Mélenchon a déclaré :
Dans le débat qui vient d’avoir lieu, les insoumis et le Nouveau Front populaire ont présenté et fait adopter de nombreux amendements, de nombreuses propositions. Elles venaient d’un programme, celui qui a été préféré par les Français en juin dernier, et elles ont été souvent adoptées par l’Assemblée nationale elle-même. Ces propositions, c’étaient une rupture avec les politiques pratiquées par Monsieur Macron depuis qu’il est au pouvoir. Des politiques qui passent leur temps à enrichir les plus riches et à appauvrir les plus démunis. […]
Nous vivons dans une ambiance crépusculaire dont il est temps de sortir. Puisque le pays n’a pas voulu donner de majorité au parti de Monsieur Macron, puisque l’Assemblée n’a pas donné sa confiance au gouvernement qu’il a nommé, puisqu’il n’y a pas de majorité pour adopter son budget, alors le responsable de cette situation doit prendre ses responsabilités. Nous devons rendre la parole au peuple. Il n’y a pas d’autre issue que celle-là dans une démocratie. Et on doit le faire dans le respect des règles qui nous sont imposées par la Constitution. […] Que le président démissionne.
Mais l'Assemblée, dont près des deux tiers sont constitués de législateurs néo-fascistes ou pro-Macron, ne se bat pas pour un programme de réformes sociales. Elle est organiquement une Assemblée de répression policière, d'austérité et de guerre impérialiste. Présenter ses critiques démagogiques à l'encontre de Barnier comme de la bonne monnaie et la base d'un gouvernement progressiste si seulement un nouveau président peut être élu, c'est tromper la classe ouvrière.
Quelle que soit la manière dont le personnel dirigeant de la bourgeoisie française sera réorganisé après le vote de censure, il ne produira pas un régime véritablement démocratique. Un tel régime ne peut émerger que d'une lutte internationale de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste et le génocide à Gaza, et pour la nationalisation des actifs de l'aristocratie financière : c'est-à-dire d'une lutte pour le socialisme.