Allemagne : l'attentat du marché de Noël de Magdebourg est le fruit amer de l'extrémisme de droite et de l'agitation anti-réfugiés

Les scènes qui se sont déroulées vendredi dernier à Magdebourg sont atroces. Un gros SUV BMW a foncé sur plusieurs centaines de mètres dans une foule de gens qui fêtaient dans un marché de Noël bondé, tuant cinq personnes et en blessant deux cents, dont 40 grièvement.

Des policiers patrouillent sur le marché de Noël désert où une voiture avait la veille foncé dans la foule, à Magdebourg, en Allemagne, le samedi 21 décembre 2024. [AP Photo/Michael Probst]

Ce massacre rappelle l'attaque du Breitscheidplatz de Berlin il y a huit ans, où un camion avait foncé sur un marché de Noël, tuant 12 personnes et en blessant 48. Sauf que cette fois, l'auteur n'est pas un djihadiste, mais un islamophobe et partisan du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD).

L'assassin était bien connu des autorités. Plusieurs avertissements avaient été reçus à son sujet, il avait eu des démêlés avec la justice à plusieurs reprises, avait laissé une large trace sur les réseaux sociaux, avait fait allusion à son acte et l'avait soigneusement préparé. Mais comme il n'avait pas crié «Allahou akbar», mais s'était élevé contre la prétendue islamisation de l'Allemagne, les avertissements n'ont pas été pris au sérieux.

Taleb Jawad al-Abdulmohsen, âgé de 50 ans, est arrivé en Allemagne en 2006 depuis l'Arabie saoudite pour terminer ses études de médecine par une spécialisation. Depuis, il vit en Allemagne. Il a travaillé dans plusieurs villes, et depuis mars 2020, il est spécialiste en psychiatrie et psychothérapie à la clinique publique Salus de Bernburg, près de Magdebourg. Il y encadre des délinquants toxicomanes en traitement obligatoire.

En 2016, Abdulmohsen a obtenu l’asile politique. Il a justifié sa demande en expliquant qu’il était persécuté en Arabie saoudite parce qu’il s’était détourné de l’islam et avait aidé des femmes à fuir le pays. Un attaché culturel de l’ambassade saoudienne l’avait averti qu’il était menacé d’exécution dans son pays d’origine.

D'après les recherches du Spiegel, le tribunal de district de Rostock l'avait déjà condamné trois ans plus tôt à une peine de 90 jours/amendes pour «trouble à l'ordre public par menaces de délits». La raison en serait des menaces proférées parce que sa formation médicale n'était que partiellement reconnue.

En mai 2019, le quotidien FAZ a eu une conversation téléphonique de deux heures et demie avec Abdulmohsen. Bien qu’il fût évident, comme l’écrit aujourd’hui ce journal, que c’était « un homme possédé» et qu’il passait du coq à l’âne – «sa profonde aversion pour l’islam, la situation dramatique des femmes saoudiennes, sa famille qui l’avait rejeté» – le journal a publié en juin 2019 une longue interview de lui sous le titre: «Je suis le critique le plus agressif de l’islam dans l’histoire».

Abdulmohsen s’est présenté comme un défenseur des droits des femmes arabes et a raconté des histoires d’horreur sur des pères qui maltraitent et assassinent leurs filles. La FAZ ne semble pas avoir vérifié ce qui était vrai ou était inventé. Quoi qu’il en soit, l’interview s’inscrivait parfaitement dans une atmosphère politique où tous les partis attisent le ressentiment contre les réfugiés et les musulmans, et où l’ouverture à court terme des frontières à l’été 2015 fut proclamée péché originel de la politique allemande.

Le compte Twitter/X d'Abdulmohsen, qui comptait déjà 15 000 follower en 2019, a évolué en conséquence. Alors qu'il s'en prenait initialement à l'islam et aux autorités saoudiennes, il se sentait de plus en plus persécuté par les autorités allemandes, qu'il accusait d'islamiser l'Allemagne.

«L’Allemagne traque les demandeurs d’asile saoudiens à l’intérieur et à l’extérieur de l’Allemagne pour détruire leur vie. L’Allemagne veut islamiser l’Europe», peut-on lire dans la courte biographie en anglais de son compte X. Il s’en est également pris violemment aux organisations de réfugiés qui cherchent à aider les personnes persécutées pour des raisons religieuses. Il a par exemple accusé «Secular Refugee Aid Germany» de détournement de dons et de corruption.

«Les traces laissées par Abdulmohsen sur Internet ces dernières années donnent un aperçu inquiétant d’un monde déconnecté de la réalité», rapporte Der Spiegel. «Abdulmohsen a pour modèles Elon Musk, l’agitateur américain Alex Jones, l’extrémiste de droite britannique Tommy Robinson. Il sympathisait ouvertement avec l’AfD et rêvait d’un projet commun avec ce parti majoritairement d’extrême droite: une académie pour ex-musulmans.» Il a réclamé la peine de mort pour l’ancienne chancelière Angela Merkel.

En août 2023, il a menacé de tuer des Allemands sans discrimination sur son compte X, dont la couverture est décorée d’un fusil automatique: «Questionnaire purement philosophique: me blâmeriez-vous si je tuais 20 Allemands sans discrimination parce que l’Allemagne prend des mesures contre l’opposition saoudienne?» Le message a été supprimé – probablement par lui-même – mais des copies ont été conservées.

En mai 2024, il a évoqué en arabe sur X une «guerre» avec les autorités allemandes et a annoncé qu’il était probable «que je meure pour cela plus tard cette année». Il a également répété cela dans des messages privés avec d’autres utilisateurs de X, que Der Spiegel a pu consulter.

Récemment, Abdulmohsen a écrit jusqu’à 250 messages par semaine sur X, dans lesquels il se présente comme un fervent partisan de l’AfD et publie des extraits vidéo d’un compte islamophobe. Dix jours avant le crime, il avait menacé en arabe que l’Occident ne comprenait que «le carnage et la violence». Il avait ajouté: «Ceux qui ne font pas d’attentats et ne tuent pas ne sont pas respectés par les Allemands.»

Huit jours avant le crime, un blog américain islamophobe avait publié une interview vidéo d’Abdulmohsen. Celui-ci y accusait l’État allemand de mener une «opération secrète» pour « traquer et détruire la vie des ex-musulmans saoudiens dans le monde entier». Dans le même temps, les djihadistes syriens obtenaient l’asile en Allemagne.

Selon le Spiegel, les services secrets saoudiens ont alerté le Service fédéral de renseignement (BND) du danger représenté par Abdulmohsen, à trois reprises en 2023 et en 2024. L’avertissement aurait concerné le message dans lequel il menaçait que l’Allemagne paierait un «prix». L’avertissement est également parvenu à la police. Selon le quotidien Die Welt, l’Office de police criminelle du Land de Saxe-Anhalt et son homologue fédéral étaient toutefois arrivés à la conclusion qu’il «ne représentait aucun danger concret».

Abdulmohsen a apparemment soigneusement préparé lui-même l'attaque. Quelques jours auparavant, il avait séjourné dans un hôtel de Magdebourg, probablement pour explorer les lieux. Pour commettre l'attaque, il avait loué une lourde et puissante BMW. Il a emprunté la seule voie d'accès au marché de Noël, non sécurisée par des barrières et qui n'était accessible que par une zone piétonne. Après l'attaque, il est revenu dans la rue à circulation normale, où il a été arrêté par la police.

Avant que les détails de l’attaque ne soient connus, les extrémistes de droite ont tenté de l’exploiter à leurs propres fins.

Elon Musk, qui avait appelé quelques heures avant l’attaque à soutenir le parti d’extrême droite en déclarant «Seule l’AfD peut sauver l’Allemagne», a exigé la démission immédiate, en réponse à l’attaque, du chancelier Olaf Scholz qu’il a qualifié d’«idiot incompétent». Il a également partagé un article liant les événements de Magdebourg à «l’immigration de masse ».

Même si l'auteur de l'attentat a été identifié et que son attitude extrémiste de droite et islamophobe a été rendue publique, l'AfD tente d'exploiter cette terrible attaque à des fins réactionnaires. La cheffe du parti Alice Weidel a participé à une manifestation anti-immigration de son parti à Magdebourg ce lundi.

Sahra Wagenknecht, dont le parti n’a rien à envier à l’AfD en matière de mobilisation contre les réfugiés et de ‘loi et ordre’, a appelé le gouvernement allemand à «présenter enfin un plan de sécurité convaincant, clairement axé sur la protection de la population».

Le contexte politique de l’attentat de Magdebourg montre qu’extrémisme de droite, agitation anti-réfugiés et violence terroriste contre la population vont de pair. Bien sûr, la personnalité de l’auteur joue un rôle dans de tels massacres épouvantables. Mais la haine politique et la paranoïa ne peuvent conduire à un crime aussi monstrueux que dans une société malade où la violence et le meurtre sont devenus la norme.

La politique inhumaine de fermeture des frontières de l'Union européenne a fait rien qu'en Méditerranée 2 000 morts entre janvier et novembre de cette année, soit six par jour. Sans compter les morts non déclarées, ce sont près de 31 000 morts au cours des dix dernières années. À Gaza, plusieurs massacres de Magdebourg ont lieu tous les jours depuis 14 mois, alors que les avions de chasse israéliens bombardent les immeubles d’habitation et les camps de réfugiés, tuant sans discrimination femmes et enfants. Et en Ukraine, des centaines de milliers d’hommes jeunes sont sacrifiés pour une guerre au service des puissances impérialistes de l'OTAN.

Les partis politiques établis, responsables de cette politique, portent également la responsabilité du désastre de Magdebourg. Ils défendent un système social capitaliste malade qui ne peut survivre que par la guerre, l’oppression, les coupes sociales et l’intensification de l’exploitation. En conséquence, les fusibles disjonctent de plus en plus souvent, comme aux États-Unis, où les fusillades dans les écoles sont devenues monnaie courante.

Cette évolution ne peut être stoppée qu’en construisant un mouvement qui unisse la classe ouvrière au-delà de toutes les frontières et qui lutte pour une société humaine, c’est-à-dire socialiste.

(Article paru en allemand le 23 décembre 2024)

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