L'élection de la « guerre tarifaire » en Ontario et la crise de direction de la classe ouvrière

Les électeurs de l'Ontario se rendent aux urnes ce jeudi dans ce que Doug Ford, le premier ministre progressiste-conservateur de droite de la province, a cherché à présenter comme les élections de la « guerre tarifaire ».

Depuis un mois, Ford sillonne la province la plus peuplée et la plus industrialisée du Canada, affirmant que son gouvernement a besoin d'un mandat électoral fort pour protéger les travailleurs des droits de douane de 25 % que le président américain Donald Trump s'apprête à imposer sur les importations canadiennes et mexicaines le mardi 4 mars.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, au podium, entouré du président de la section locale 1285 d'Unifor, Vito Beato (à gauche), et du maire de Brampton, Patrick Brown [Photo: X/Doug Ford]

Le discours de Ford sur la « protection de l'Ontario » et les « emplois en Ontario » est une imposture et un mensonge. Son véritable programme consiste à défendre les profits et les intérêts géostratégiques de l'impérialisme canadien.

Face à une guerre commerciale imminente et aux menaces d'annexion pure et simple de la part de Washington, son gouvernement conservateur et la classe dirigeante canadienne dans son ensemble se préparent à :

  • embrigader les travailleurs dans une guerre commerciale réactionnaire qui se déroulera aux dépens des emplois et du niveau de vie des travailleurs des deux côtés de la frontière ;

  • forger une alliance militaro-sécuritaire plus étroite avec l'impérialisme américain ;

  • renforcer la position « compétitive » du capitalisme canadien en réduisant l'impôt sur les sociétés, en privatisant les services publics et en supprimant toutes les contraintes environnementales et réglementaires qui pèsent sur le capital.

Ford est un personnage largement méprisé, un émule de Trump, qui fréquente l'extrême droite, affiche son ignorance et proclame régulièrement son « amour » de la police.

Pourtant, si les sondages sont corrects, ses conservateurs remporteront une majorité parlementaire écrasante jeudi.

Il s'agit avant tout d'une condamnation de la bureaucratie syndicale et de ses alliés politiques traditionnels, les sociaux-démocrates du NPD. Ils ont systématiquement réprimé la lutte des classes, tout en soutenant le gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau, qui a criminalisé les grèves des débardeurs, des cheminots et des postiers, mené une guerre impérialiste contre la Russie en Ukraine, soutenu le génocide des Palestiniens par Israël et collaboré avec la Banque du Canada pour imposer aux travailleurs des baisses de salaires réels.

En novembre 2022, lorsque 55 000 travailleurs de l'éducation de l'Ontario se sont rebellés contre une loi anti-grève brutale galvanisant l'opposition de masse de la classe ouvrière à Ford, la bureaucratie syndicale a conspiré avec le gouvernement provincial conservateur pour mettre fin à la grève.

En décembre dernier, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, en étroite collaboration avec le Congrès du travail du Canada, a ordonné aux grévistes de Postes Canada de se soumettre à un ordre de grève manifestement illégal du gouvernement libéral, alors même que le gouvernement était en train d'imploser.

Alors que Ford préparait le terrain pour déclencher des élections anticipées le mois dernier, les partis d'opposition ont insisté sur le fait qu'ils préféraient que son gouvernement aille jusqu'au bout des 18 mois restants de son mandat. Pendant ce temps, la Fédération du travail de l'Ontario s'est présentée comme le « partenaire » de Ford, appelant à la création d'un groupe de travail tripartite sur la guerre tarifaire, composé de hauts représentants des entreprises, du gouvernement et des syndicats. Si l'opposition est incapable de se différencier de Ford, c'est parce que les libéraux, les néo-démocrates et les verts défendent la même chose : les intérêts du capital canadien.

L'élection frauduleuse de Ford

L'affirmation de Ford selon laquelle il a déclenché l'élection parce qu'il a besoin d'un mandat populaire pour « s'opposer » à Trump est une fraude évidente, et ce de multiples façons.

Tout d'abord, le premier ministre, comme on le sait, cherchait depuis longtemps un prétexte pour se rendre aux urnes. Il craignait en effet que l'escalade de la lutte des classes qui accompagnerait l'arrivée au pouvoir à Ottawa d'un gouvernement d'extrême droite dirigé par Pierre Poilievre ne mette en péril sa future réélection. En outre, Ford tenait à ce que les élections soient terminées avant le dépôt probable d'accusations criminelles dans le cadre de l'enquête en cours de la GRC sur le «scandale de la ceinture de verdure » : le retrait par le gouvernement Ford de terrains protégés de la « ceinture de verdure » au nord de Toronto pour le développement d'entreprises de construction et immobilières liées aux conservateurs.

Deuxièmement, et plus important encore, Ford veut un « mandat fort » pour imposer des politiques à la Trump, c'est-à-dire une attaque massive contre les droits sociaux et démocratiques de la classe ouvrière.

On a entendu Ford dire dans un micro resté ouvert qu'il était heureux que le putschiste raté de 2021 et dictateur en puissance Trump ait été élu en novembre dernier. Sa seule objection et celle de la classe dirigeante canadienne est que Trump refuse de leur accorder ce qu'ils estiment être leur dû en tant que partenaires subalternes de l'impérialisme américain, y compris un accès garanti au marché lucratif des États-Unis.

Par le biais de voyages à Washington DC, d'articles d'opinion dans les journaux et d'apparitions répétées sur Fox News, Ford a lancé son appel pour que le Canada fasse partie d'une Forteresse Amérique du Nord dirigée par Trump, ou de ce qu'il a appelé une « Forteresse Am-Can » explicitement dirigée contre la Chine.

Le bilan du gouvernement conservateur de l'Ontario

Le bilan du gouvernement Ford démontre que sa seule préoccupation face à d'éventuels tarifs douaniers américains n'est pas de « protéger les emplois », mais de protéger la rentabilité et la position commerciale du capital canadien.

  • Entré en fonction en 2018, Ford a mis en œuvre des politiques à la Trump, notamment un recul du salaire minimum, un gel des embauches dans le secteur public et des coupes de 6 milliards de dollars dans les dépenses d'aide sociale et de soins de santé. Son gouvernement a également imposé à plus d'un million de travailleurs du secteur public un plafond salarial de trois ans et de 1 % par an, qui a ensuite été jugé illégal par les tribunaux, mais pour lequel les travailleurs n'ont jamais été pleinement indemnisés.

  • Le gouvernement Ford s'est attaqué aux droits démocratiques fondamentaux, notamment en invoquant ou en menaçant d'invoquer à plusieurs reprises la «clause dérogatoire », qui permet au gouvernement d'ignorer les droits fondamentaux censés être garantis par la Charte des droits et libertés de la Constitution canadienne. L'exemple le plus notoire a été donné en novembre 2022, lorsque Ford a invoqué la « clause dérogatoire » pour interdire de manière préventive une grève de 55 000 travailleurs du secteur de l'éducation.

  • À l'instar de l'ensemble de la classe dirigeante canadienne, la réponse de Ford à la pandémie de COVID-19 a été d'une négligence criminelle. Son adhésion, avec le gouvernement fédéral Trudeau, à une politique de « profits avant la vie » a coûté la vie à plus de 16 500 travailleurs et personnes âgées de l'Ontario, et à des dizaines de milliers d'autres dans tout le Canada. Ford a mis fin prématurément à toutes les mesures de santé publique et de sécurité liées au COVID-19 et à tout rapport sur la pandémie, malgré les épidémies répétées qui continuent de rendre les travailleurs malades et de les tuer.

  • Ford s'est d'abord allié aux manifestants d'extrême droite du « Convoi de la liberté » qui ont occupé de manière menaçante le centre-ville d'Ottawa et est resté pratiquement silencieux pendant que l'occupation se prolongeait pendant près d'un mois. Comme l'a écrit le WSWS en novembre 2022, « Ford a été démasqué dans une vidéo divulguée promettant à un éminent partisan du Convoi, alors qu'Ottawa était sous occupation, qu'il allait “retirer ces passeports (vaccinaux)” et “revenir à la normale” ».

  • Ford a joué un rôle majeur dans le soutien inconditionnel de l'impérialisme canadien au génocide israélien contre les Palestiniens de Gaza. Il a attaqué et vilipendé le mouvement de solidarité avec les Palestiniens, interdit le keffieh à la législature de l'Ontario, qualifié les manifestants pacifiques d'« antisémites » et fait pression pour que la police intervienne contre eux.

Le sale rôle de la bureaucratie syndicale et du NPD

Ford ne pourrait pas mettre en œuvre son programme antidémocratique et de guerre de classe sans la complicité et l'aide de la bureaucratie syndicale et du NPD.

La campagne du NPD a été pratiquement invisible, et ses maigres propositions, «embaucher plus de médecins, réparer les écoles, construire des maisons et défendre les emplois en Ontario », servent simplement de couverture à au programme anti-ouvrier qu'un gouvernement NPD imposerait si le parti arrivait au pouvoir, comme il l'a fait dans tous les gouvernements provinciaux qu'il a dirigés au cours des 35 dernières années. Le NPD a du culot de promettre un chèque de « remboursement de frais d'épicerie », venant de la part d'un parti qui vient d’annuler une promesse similaire en Colombie-Britannique avant même qu'elle ne soit lancée, au nom de la «recherche de dollars » pour soutenir les grandes entreprises canadiennes dans la guerre commerciale avec les États-Unis.

Compte tenu de la situation politique désastreuse du NPD et des libéraux, d'importantes sections de la bureaucratie syndicale, y compris de nombreux syndicats des métiers du bâtiment et des sections d'Unifor, se prononcent désormais en faveur d'un vote pour Ford et ses conservateurs.

En janvier, Laura Walton, présidente de la Fédération du travail de l'Ontario (pro-NPD), a proposé la création d'un « groupe de travail anti-tarifaire syndicats-entreprises-communautés » en collaboration avec le gouvernement provincial. Lorsque Ford a répondu à sa proposition par un silence de marbre, Walton a rampé devant la presse, déclarant : « Je ne vais pas utiliser cela comme une excuse pour abandonner une bonne idée. Son bureau a mon numéro de portable et nous sommes prêts à retrousser nos manches et à nous mettre au travail. »

Ford a bien le numéro de Walton.

Walton a été catapultée à la tête de l'OFL par ses collègues bureaucrates après avoir joué, en tant que responsable du Conseil des syndicats des conseils scolaires de l'Ontario (CSCSO), un rôle essentiel dans le sabordage de la grève « illégale » de 55 000 travailleurs de soutien à l'éducation de l'Ontario, prévue pour novembre 2022. La grève, lancée au mépris de l'invocation par Ford de la « clause dérogatoire » pour l'interdire, menaçait d'échapper au contrôle étouffant de la bureaucratie et de devenir le catalyseur d'une offensive plus large de la classe ouvrière.

La grève a débuté un vendredi et a immédiatement galvanisé le soutien de la classe ouvrière, les enseignants, les étudiants et d'autres travailleurs rejoignant les piquets de grève du CSCSO. Pendant le week-end, les travailleurs se sont rendus en masse aux rassemblements de soutien à la grève, dont beaucoup avaient été organisés spontanément. Les sondages révélaient un puissant soutien aux grèves de solidarité. Le mouvement de grève menaçait de se transformer en une grève générale politique contre le gouvernement et pour la défense des services publics. Comme l’avait noté le WSWS,

Cette perspective a terrifié le gouvernement Trudeau, les directions syndicales du Canada et le NPD. Ils ont réagi en prenant des mesures coordonnées pour étrangler le mouvement et imposer une capitulation.

Les principaux bureaucrates syndicaux du Congrès du travail du Canada, d'Unifor, de la Fédération du travail de l'Ontario et du SCFP ont répondu au mouvement naissant de la classe ouvrière en appelant Ford et ses principaux collaborateurs pour les supplier de conclure un accord. Ils l'ont supplié de retirer son interdiction de grève afin que l'appareil syndical puisse l'appliquer dans la pratique. Dès que Ford a annoncé le retrait du projet de loi 28, le matin du 7 novembre, les dirigeants syndicaux ont ordonné aux travailleurs de l'éducation, sans aucune consultation démocratique, de « démanteler » leurs piquets de grève et de reprendre le travail sans qu'une seule revendication n'ait été satisfaite.

Un mois plus tard, Walton et le CSCSO, affilié au SCFP, ont fait adopter à toute vapeur un contrat truffé de reculs qui imposait une réduction de salaire réel aux travailleurs de soutien à l'éducation déjà mal rémunérés.

C'est loin d'être le seul service rendu au gouvernement Ford par la bureaucratie.

Après que le régime israélien d'extrême droite a lancé son génocide contre les Palestiniens, la bureaucratie syndicale et le NPD ont été ouvertement de connivence avec Ford pour diaboliser la députée provinciale de Hamilton-Centre Sarah Jama en la qualifiant d'« antisémite ». La chef du NPD Ontario, Marit Stiles, a capitulé et s'est adaptée aux calomnies du gouvernement Ford, l'expulsant du caucus du NPD et préparant le terrain pour que Ford la censure au Parlement, qui lui a interdit de s'exprimer sur quelque sujet que ce soit. Le NPD a ensuite empêché Jama de se présenter comme candidate pour le parti lors du vote de jeudi.

En 2024, Walton et l'OFL ont tout fait pour confiner le mouvement de masse des jeunes et des étudiants contre l'attaque génocidaire d'Israël contre les Palestiniens à des appels moraux pathétiques dirigés contre la classe dirigeante. Lorsque le campement de solidarité des étudiants a été confronté aux menaces violentes des sionistes fascistes, les principaux bureaucrates syndicaux ont fait des déclarations creuses : « Nous serons vos boucliers humains. » Mais ils ont refusé de mobiliser les travailleurs pour s'opposer à Ford et au soutien de l'élite dirigeante au génocide, permettant ainsi à la police d'expulser violemment les étudiants peu de temps après.

Un nouveau parti de masse de la classe ouvrière est nécessaire !

Les intérêts objectifs de la classe ouvrière en Ontario ne trouvent aucune expression dans la vie politique officielle. La « forteresse Am-Can » de Doug Ford sera construite sur le dos de la classe ouvrière. Avec l'aide de la bureaucratie syndicale, il a l'intention d'imposer des coupes sombres sur les salaires, les conditions de travail et les services publics afin de rendre le capital canadien « plus compétitif ».

Les travailleurs de l'Ontario et de tout le pays ne se laisseront pas faire. Une période d'immenses luttes sociales et politiques, de manifestations de masse et de grèves commence. Ces luttes exigent une direction politique armée d'une perspective qui a assimilé les leçons des luttes passées, et d'un programme qui fait avancer les intérêts réels de la classe ouvrière.

Les travailleurs de l'Ontario ne peuvent pas défendre leurs intérêts fondamentaux et s'opposer au programme de guerre de classe de Ford à l'intérieur des frontières de la province. Rejetant le nationalisme toxique colporté par Ford, Trudeau, les bureaucrates syndicaux et Trump, les travailleurs doivent entreprendre une lutte pour la mobilisation industrielle et politique de la classe ouvrière à travers le Canada, en alliance avec leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique et à l'échelle internationale, contre l'assaut de l'élite dirigeante sur les droits démocratiques et sociaux des travailleurs. Cela exige une rupture politique et organisationnelle complète avec l'alliance étouffante des syndicats, du NPD et des libéraux, et une orientation vers un programme socialiste et internationaliste. Pour défendre cette stratégie, un nouveau parti – le Parti de l'égalité socialiste – doit être construit pour diriger politiquement les luttes de la classe ouvrière nord-américaine. Nous encourageons vivement tous les travailleurs et les jeunes qui sont d'accord avec cette stratégie à prendre la décision aujourd'hui de rejoindre et de construire ce parti.