La 97e cérémonie des Oscars se tenait dimanche soir au Dolby Theatre de Los Angeles. De grandes questions se posent aux artistes, réalisateurs et autres acteurs concernés, ainsi qu'au reste de la population.
Après cinq semaines, on voit clairement ce que Donald Trump et sa bande de réactionnaires cruels ont en tête. Ils ont l’intention d’établir une dictature policière, renforcée par des camps de concentration, qui comprend une répression à grande échelle des immigrés et des attaques contre les droits démocratiques de toute la population, ainsi que des préparatifs pour de nouvelles guerres plus catastrophiques. La santé publique et l’éducation publique doivent être détruites et, en fait, toute entrave à l’accumulation des profits des entreprises et de la richesse personnelle est considérée comme une «restriction» inacceptable et «inefficace» par les oligarques au pouvoir. Pendant ce temps, l’armée, la CIA, le FBI et toutes les autres agences de répression recevront tout l’argent qu’ils réclament.
Trump a proclamé un nouvel «âge d’or» culturel en se plaçant à la tête du Kennedy Center for the Performing Arts et, en substance, déclarant la guerre à «l’art dégénéré» en accord avec les préceptes d’Hitler et de Goebbels. Après avoir nommé un groupe de has-been et d’imbéciles comme ses ambassadeurs spéciaux auprès de l’industrie du cinéma et de la télévision, «un endroit formidable mais très troublé, Hollywood», Trump a également menacé que ce dernier connaîtrait, «comme les États-Unis d’Amérique eux-mêmes, l’âge d’or… !»
L’opposition au régime Trump-Musk se développe parmi les fonctionnaires fédéraux et les postiers et dans toutes les sections de la classe ouvrière, et va se transformer en tempête. Mais cette résistance a besoin d’une plus grande clarté, profondeur et meilleure compréhension de la politique. Les artistes ont un rôle à jouer à cet égard.
Les organisateurs de la cérémonie des Oscars ont mis l’accent sur le fait que «pas de politique» serait le mot d’ordre dimanche et que l’événement serait aussi «sans controverse» et inoffensif que possible. Les présentateurs et les lauréats potentiels auront été prévenus qu’ils ne devraient pas ouvrir la bouche. Les faux pas dans ce domaine, leur auront-ils rappelé, peuvent mettre fin à une carrière.
Il n’est pas encourageant de constater que le présentateur Conan O’Brien évite généralement les sujets politiques et a déploré les blagues sur… Donald Trump, comme le fait remarquer Forbes. Rien ne terrifie davantage l’establishment hollywoodien – dont la plupart des personnalités de premier plan sont identifiées au Parti démocrate – que la possibilité d’une agitation politique de masse, qui remettrait également inévitablement en question la légitimité de son emprise mortelle sur la production cinématographique, télévisuelle et musicale.
Quant aux films eux-mêmes, seuls quelques-uns d’entre eux peuvent être approuvés sans réserve. Dans les deux catégories, meilleur film et meilleur long métrage international, le film brésilien I’m Still Here (article en anglais), de Walter Salles, dont le WSWS a fait la critique à la mi-février, est un «portrait sérieux de la vie sous la dictature militaire au Brésil» qui a touché «un large public». Fernanda Torres a reçu une nomination pour la meilleure actrice dans un rôle principal pour le film de Salles.
No Other Land, le film qui dénonce la violence et l’oppression sionistes en Cisjordanie et que le public américain n’a pas pu voir, a remporté le prix du meilleur long métrage documentaire. Le WSWS a décrit Soundtrack to a Coup d’Etat (Johan Grimonprez), qui traite de l’assassinat de Patrice Lumumba, le premier président de la République démocratique du Congo nouvellement indépendante en 1960, comme contenant «des éléments précieux et éducatifs», ainsi que de graves faiblesses. Il était également en lice pour le prix du meilleur long métrage documentaire.
The Apprentice (Ali Abassi), qui raconte les débuts de Donald Trump et sa relation avec le réactionnaire Roy Cohn, a également eu du mal à trouver un distributeur aux États-Unis, en raison des menaces de poursuites judiciaires et des tentatives d’intimidation du président actuel, qui a décrit le film comme un «travail de sape dégoûtant». Sebastian Stan (dans le rôle de Trump) et Jeremy Strong (dans celui de Cohn) ont été nommés respectivement dans les catégories acteur principal et acteur secondaire.
Selon le Guardian, Stan a rapporté que
Hollywood a été tellement intimidé par Trump qu’aucun de ses pairs n’a voulu apparaître face à lui [Ali Abassi] dans la série annuelle Actors on Actors de Variety, dans laquelle les nominés s’interrogent entre eux en vidéo.
«Nous n’avons pas pu passer outre les attachés de presse ou les personnes qui les représentaient parce qu’ils avaient trop peur de parler de ce film», a-t-il déclaré. Variety a vérifié ses dires.
Plusieurs médias affirment que la grande majorité des nominés pour le prix du meilleur film font preuve d’«anti-Trumpisme». C’est placer la barre trop bas et cela revient souvent à confondre la politique identitaire de la classe moyenne supérieure sous l’une de ses formes avec une véritable opposition. The Guardian, par exemple, affirme que
Le roman fantastique à succès Wicked pourrait être considéré comme une critique incisive du racisme et du fascisme via une sorcière à la peau verte et des animaux parlants.
Ce dernier film (réalisé par Jon M. Chu) est un exercice tiède, alambiqué et libéral, les seuls moments d’amusement venant d’Ariana Grande, Jeff Goldblum et quelques autres dans des rôles plus secondaires. L’auteur du Guardian continue en mentionnant Emilia Perez, «une comédie musicale française sur un gangster mexicain trans» et
Le space opéra Dune: Deuxième partie [qui] met en garde contre la colonisation; The Brutalist est cinglant dans son portrait de la façon dont les États-Unis traitent les immigrants. Nickel Boys aborde de front le meurtre institutionnalisé de jeunes hommes noirs dans le sud du pays soumis aux lois Jim Crow. Anora examine l’exploitation sexuelle et la fracture des richesses; The Substance satirise l’obsession de la téléréalité pour la jeunesse éternelle…
Et, pourrait-on ajouter, Conclave plaide également faiblement et fadement en faveur de la «tolérance» et de l’«incertitude», y compris de nature sexuelle, dans l’Église catholique.
Il est vrai, cependant, que la logique de représentation honnête de la vie, qui implique toujours un élément de protestation, oppose objectivement les artistes de fond aux plans et aux ambitions de Trump et de sa cohorte nazie. Des collisions majeures sont inévitables.
Les dirigeants des studios, de leur côté, ont, comme on pouvait s’y attendre, tendu la main au dictateur en puissance à la Maison-Blanche. La question posée par Variety en janvier n’a guère besoin de réponse: «De nombreux acteurs du show-business se demandent dans quelle mesure Hollywood va se rapprocher de Trump dans cette nouvelle ère.» Comme le soulignait la publication elle-même, «tout aussi stupéfiant que le silence de la ville face à l’effet Trump est le cortège de magnats des médias – du président exécutif d’Amazon [Jeff] Bezos au PDG de Disney Bob Iger – qui font le pèlerinage à Mar-a-Lago, pour régler des poursuites embêtantes ou faire des dons au fonds d’investiture de Trump.» Il n’y a rien de «stupéfiant» là-dedans. Ce sont des dirigeants milliardaires, et les affaires sont les affaires.
L’industrie cinématographique n’opposera aucune résistance, pas plus que le Parti démocrate ou les syndicats, y compris ceux du spectacle. Ni la Writers Guild, ni la SAG-AFTRA, ni l’IATSE, ni la section locale 399 des Teamsters, ni aucun autre syndicat d’Hollywood n’ont publié de déclaration, et encore moins organisé de grève, face à la plus grande menace pour les droits de la classe ouvrière de l’histoire américaine moderne.
Pendant ce temps, la destruction d'emplois dans le sud de la Californie et dans le secteur du divertissement dans son ensemble se poursuit à un rythme soutenu, une situation considérablement aggravée par la récente vague d'incendies. Le New York Times a souligné fin janvier que
Sous la pression des réductions budgétaires des studios et de la concurrence d'autres États et pays, la production cinématographique et télévisuelle dans la région de Los Angeles était déjà tombée à un plancher presque record l'année dernière, mettant en péril les moyens de subsistance non seulement des acteurs et des équipes, mais aussi des traiteurs, des chauffeurs et de bien d'autres qui dépendent de l'industrie du divertissement. […]
Puis la dévastation des incendies a porté un nouveau coup à une région et à une industrie qui avaient été secouées ces dernières années par une pandémie, puis par des grèves qui ont interrompu la production dans un paysage du divertissement en évolution rapide.
La cérémonie des Oscars revêt une importance particulière dans ces circonstances. Malgré la baisse de l’audience et les nombreuses contradictions (ou pires) inhérentes à sa mise en scène et aux récompenses elles-mêmes, elle reste un événement culturel d’importance. Environ vingt millions d’Américains continueront de la regarder, en plus de plusieurs millions d’autres dans le monde.
L’événement devrait rappeler aux artistes du cinéma la nécessité de vivre selon les meilleures traditions démocratiques et radicales du cinéma américain, et non selon ses pires traditions, les plus égocentriques, triviales et nationalistes.
L’histoire du cinéma aux États-Unis est longue et complexe. Le «système hollywoodien», qui consiste à concentrer la production dans des studios de type industriel, «et à intégrer verticalement tous les aspects de l’activité, de la production à la publicité, de la distribution à l’exploitation», domine le monde à partir de 1925, «de la Grande-Bretagne au Bengale, de l’Afrique du Sud à la Norvège et à la Suède». (The Oxford History of World Cinema)
Mais le cinéma n’a jamais été uniquement une activité lucrative. Il a aussi apporté du drame et de l’excitation à un grand nombre de personnes – aux États-Unis, beaucoup d’entre eux étaient des immigrants entassés dans les villes et ne connaissaient pas l’anglais. En 1909, la fréquentation des cinémas américains était estimée à 45 millions de personnes par semaine.
Léon Trotsky a brillamment soutenu en 1923 que la passion mondiale pour le cinéma était
enracinée dans désir de se distraire, le désir de voir quelque chose de nouveau et d’improbable, de rire et de pleurer, non pas de son propre malheur, mais du malheur des autres. Le cinéma satisfait ces exigences de manière très directe, visuelle, pittoresque et vitale, sans rien demander au spectateur; il ne lui demande même pas de savoir lire et écrire. C’est pourquoi le spectateur éprouve un amour si reconnaissant pour le cinéma, cette source inépuisable d’impressions et d’émotions.
Au milieu des années 1910, l’acteur comique et réalisateur Charlie Chaplin était considéré comme l'homme le plus célèbre du monde. Et ce n'est pas pour rien.
Dans les années 1910 et 1920, le Charlot de Chaplin, combattant avec insolence et courage un monde hostile et peu gratifiant, a offert un talisman et un défenseur aux millions de défavorisés qui ont constitué le premier public de masse du cinéma. (David Robinson)
Contrairement à de nombreux exemples européens, l’émergence du cinéma aux États-Unis a coïncidé avec nombre des plus importantes réalisations culturelles du pays. De plus, en toute franchise, malgré les protestations des auteurs et réalisateurs en question dans de nombreux cas, une grande partie de l’énergie et de l’imagination artistiques du pays s’est consacrée à ce nouveau média (et non au théâtre, par exemple). Il était possible, du moins de manière générale, d’évaluer l’état de la vie aux États-Unis en prêtant attention à ses films les plus importants.
Non seulement des chefs-d’œuvre comme Les Temps modernes, Les Raisins de la colère et Citizen Kane, mais aussi d’innombrables œuvres plus modestes et moins ambitieuses, réalisées entre le milieu des années 1930 et le début des années 1950, ont dépeint la vie américaine de manière indélébile. L’attention que les chasseurs de sorcières maccartistes portaient sur les scénaristes, les réalisateurs et les acteurs de cinéma n’était pas un acte de paranoïa insensé. Parallèlement à l’élimination de l’influence anticapitaliste dans les syndicats, la criminalisation de la pensée de gauche au cinéma et sa prévention dans le nouveau domaine de la télévision étaient une priorité absolue de l’establishment politique américain.
Certes, l’art ne peut sauver le monde ni même lui-même, mais l’art et les artistes ont des responsabilités particulières. Comme le montre l’exemple de Chaplin et d’autres, les artistes du cinéma ne sont pas venus sur cette terre simplement pour toucher un chèque ou pour bien paraitre. Ils ont le devoir de veiller à ce que leur travail ne soit pas simplement un jouet pour leur propre divertissement ou celui de l’élite dirigeante. Les plus grandes figures de l’histoire du cinéma se sont orientées vers les souffrances, les espoirs et les luttes de larges couches de la population. Le cinéma et la télévision ne sont pas une entreprise technique et organisationnelle, une machine vide de sens pour faire étalage de son talent, mais un moyen essentiel de communiquer des vérités importantes sur la vie et la réalité.
Hollywood a été le théâtre de luttes politiques acharnées pratiquement depuis sa création, de la lutte des scénaristes et autres travailleurs pour se syndiquer dans les années 1930, à la tentative d’après-guerre de créer un syndicat industriel, combattue avec acharnement par les studios avec l’aide de responsables syndicaux anticommunistes, jusqu’à la Peur rouge des années 1950 et au-delà. Les Oscars eux-mêmes ont été le théâtre d’importantes interventions. Marlon Brando, Michael Moore et, l’année dernière, Jonathan Glazer ont organisé ou enregistré des protestations devant un public mondial. Tilda Swinton, tout à son honneur, a récemment, au festival du film de Berlin, dénoncé «les meurtres de masse perpétrés par l’État et soutenus au niveau international [qui] terrorisent activement plus d’une partie de notre monde en ce moment».
L’expression la plus significative de l’opposition politique dans l’histoire des Oscars a émergé, de manière appropriée et nécessaire, du mouvement trotskiste, le marxisme moderne.
En avril 1978, alors que l'actrice Vanessa Redgrave était membre du Workers Revolutionary Party (WRP), alors section britannique du Comité international de la Quatrième Internationale, elle a utilisé la tribune offerte par les Oscars pour faire une déclaration politique forte.
Honorée par les votants de l'Académie pour son interprétation d'une combattante antifasciste finalement assassinée par les nazis dans Julia de Fred Zinnemann, Redgrave a été critiquée dans les semaines précédant la cérémonie pour avoir figuré dans un documentaire, The Palestinian, produit par le WRP.
La Ligue de défense juive (JDL), un mouvement fasciste dirigé par le célèbre militant de droite Meir Kahane, a organisé des manifestations contre Redgrave et les projections du film The Palestinian à Los Angeles, et a fait exploser une bombe artisanale dans le cinéma où le documentaire devait être projeté.
Dans son discours d'acceptation, Redgrave a parlé des personnages principaux de Julia
qui ont donné leur vie et qui étaient prêts à tout sacrifier dans la lutte contre l’Allemagne nazie fasciste et raciste. […] Je pense que vous devriez être très fiers d’avoir tenu bon ces dernières semaines et d’avoir refusé de vous laisser intimider par les menaces d’un petit groupe de voyous sionistes dont le comportement est une insulte à la stature des Juifs du monde entier et à leur grand et héroïque bilan de lutte contre le fascisme et l’oppression.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’un «petit groupe» de personnages sinistres, mais d’un puissant État israélien dirigé par des meurtriers de masse sionistes. Le grand avantage de Redgrave était bien sûr qu’elle avait une perspective politique élaborée et cohérente.
Quoi qu’il en soit de ce qui sera dit et fait ou non dit et fait dimanche soir, les scénaristes, réalisateurs, interprètes et membres des équipes de cinéma et de télévision doivent considérer avec le plus grand sérieux comment l’opposition au fascisme et à la guerre peut être construite, et leur rôle dans ce processus.
La stagnation politique des dernières décennies, qui a contribué à la régression artistique générale et à l’état déplorable actuel des opérations de production de films à grand spectacle à Hollywood, cède la place de manière explosive à une nouvelle période de mobilité radicale de dizaines de millions de travailleurs. Cela créera des conditions plus favorables à une production cinématographique et télévisuelle importante et durable, une production qui influencera la pensée et le sentiment de ces dizaines de millions de personnes. Le WSWS fera tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à ce processus.
(Article paru en anglais le 27 février 2025)