À l’appel des principales centrales syndicales du Québec, plus de 50.000 travailleurs et leurs familles ont manifesté samedi dans les rues de Montréal contre l’austérité capitaliste et les mesures autoritaires du gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec) dirigé par l’ex-PDG multimillionnaire François Legault.
Des travailleurs de partout au Québec, et certains du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario, étaient présents. Le cortège comprenait, entre autres, des travailleurs de la construction, des postiers, des paramédics, des travailleurs de l’agroalimentaire, des enseignants et des travailleurs de la santé.
Le désir des travailleurs de lutter contre le démantèlement des services publics et les attaques du gouvernement Legault sur les droits démocratiques – y compris le droit de grève sévèrement restreint par la loi 14 – contrastait vivement avec l’attitude de la bureaucratie syndicale. L’hostilité envers le gouvernement était palpable, plusieurs travailleurs tenaient des pancartes écrites à la main pour dénoncer telle ou telle mesure réactionnaire de Legault.
Comme l’a averti le Parti de l’égalité socialiste dans une déclaration largement diffusée à la manifestation, la bureaucratie syndicale n’a pas organisé le rassemblement pour lancer une contre-offensive des travailleurs face à l’assaut combiné de Legault et du Premier ministre canadien Mark Carney contre la classe ouvrière.
C’était plutôt conçu comme un exercice de «défoulement» contre les «mauvaises décisions» d’un gouvernement en particulier – le gouvernement Legault au Québec – en passant complètement sous silence le fait que ce dernier applique en réalité le programme de guerre de classe qu’exige toute l’élite dirigeante en Amérique du Nord et à l’échelle internationale.
Cela s’est exprimé particulièrement dans les discours donnés à la fin de la manifestation. Tour à tour, les chefs syndicaux ont chacun parlé moins de trois minutes. Leur but n’était pas d’expliquer la cause objective des mesures antidémocratiques de Legault, de son «traitement choc» contre les services publics et de son chauvinisme anti-immigrants – à savoir la crise du capitalisme. Tous leurs propos visaient à canaliser la colère sociale montante contre Legault derrière les préparatifs de la classe dirigeante pour un gouvernement capitaliste de droite qui pourrait remplacer celui de la CAQ tout en intensifiant ses attaques contre les travailleurs.
Les bureaucrates syndicaux étaient encore moins intéressés à tracer une perspective de lutte pour les travailleurs. Leur objectif était plutôt de semer la démoralisation parmi les travailleurs en gardant leur discours dans les paramètres les plus étroits possibles. Ils ont tout fait pour limiter les horizons des travailleurs à seulement ce qui se passe dans la province, sur la base de la perspective nationaliste québécoise de la bureaucratie syndicale qui sert à diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada et dans le monde afin de mieux les attacher à la classe dirigeante.
Aucune référence n’a été faite aux nombreuses luttes ouvrières qui ont éclaté à travers la province et dans tout le pays au cours des dernières années, entre autres par les postiers, les enseignants albertains, les agents de bord d’Air Canada et les employés de la STM (Société de transport de Montréal). Aucune référence non plus à l’augmentation du coût des choses essentielles comme le logement, la nourriture et le transport.
Aucune explication sérieuse n’a été tentée pour expliquer les mesures anti-ouvrières de Legault qui, somme toute, représentent l’intensification des attaques menées par ses prédécesseurs du Parti québécois (PQ) et du Parti libéral du Québec (PLQ), et sont tout à fait comparables à ce que ses homologues font ailleurs: Carney au niveau fédéral, Trump aux États-Unis, Macron en France, etc.
Aucune référence n’a été faite à la guerre commerciale mondiale déclenchée par l’administration Trump, ni au tournant de la classe dirigeante, au Québec et partout ailleurs, vers la guerre et le génocide.
Rien n’a été dit sur le transfert massif des richesses produites par la classe ouvrière dans les poches des mieux nantis, ni sur l’augmentation en flèche du budget militaire du Canada. Les chefs syndicaux ont plutôt lancé des appels futiles à Legault pour qu’il soit «à l’écoute de la population» tout en restant très évasifs sur le contenu de ses attaques contre les travailleurs.
Mélanie Hubert de la FAE (Fédération autonome de l’enseignement) a fait une brève référence aux mesures de la CAQ qui ont visé les communautés issues de l’immigration, en particulier celles de confession musulmane. Ces mesures chauvines ont été au centre des deux mandats de la CAQ et ce dernier les renforce à mesure que la lutte de classe gagne en intensité. Alors que les efforts de Legault pour rendre les immigrants responsables de la profonde crise sociale produite par la crise capitaliste ne récoltent aucun appui notable parmi les travailleurs, les chefs syndicaux ont soigneusement évité de s’y attarder, encore moins de s’y opposer de façon claire et nette.
Car cela nuirait aux discussions de coulisses que mènent les bureaucrates syndicaux en vue des prochaines élections provinciales avec leur allié de longue date qu’est le PQ, un parti de la grande entreprise qui critique la CAQ de la droite pour son supposé manque de vigueur dans la promotion du chauvinisme anti-immigrants et dans le démantèlement de ce qui reste des services publics.
Les efforts des chefs syndicaux pour subordonner les travailleurs au PQ et aux autres partis de l’establishment se sont reflétés dans l’invitation lancée par la FTQ (de loin la plus grande centrale syndicale du Québec) aux chefs du PLQ, du PQ et de Québec solidaire (QS) pour qu’ils prennent la parole à son récent congrès qui a pris fin seulement deux jours avant la manifestation du 29 novembre. Le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon a décliné l’invitation après que la FTQ a dénoncé le projet de loi 3 du gouvernement Legault qui remet notamment en cause les cotisations syndicales et soulevé de manière démagogique la possibilité d’une «grève sociale».
Lors de la manifestation du 29 novembre, une organisation qui a brillé par sa quasi-absence est QS avec son petit contingent formé seulement d’une dizaine de drapeaux. Cela reflète sa véritable nature en tant que parti des classes moyennes privilégiées qui est organiquement hostile à la lutte de classe des travailleurs et dont le rôle politique est de donner une couverture «de gauche» au programme réactionnaire de l’indépendance du Québec. C’est pourquoi QS persiste et signe que le PQ n’est «pas raciste» et qu’aucune comparaison ne peut être faite avec la xénophobie des forces d’extrême-droite comme Trump aux États-Unis ou Marine Le Pen en France. Et ce, alors même que le PQ attise le plus virulent chauvinisme envers les immigrants.
Les sympathisants du Parti de l’égalité socialiste (Canada) ont mené une importante intervention tout au long de la manifestation afin de mettre de l’avant une nouvelle stratégie de classe. Pour combattre l'austérité et les mesures anti-démocratiques de l’élite dirigeante, ont-ils expliqué, il faut unir toutes les différentes sections de travailleurs – au Québec, au Canada et dans toute l’Amérique du Nord – dans une lutte politique commune contre le système de profit capitaliste.
Près de 2.000 copies d’une déclaration intitulée, Pour l’unité des travailleurs nord-américains dans la lutte commune contre Legault, Carney et Trump, ont été distribuées par le PES. La déclaration commence ainsi:
Ce rassemblement se déroule à peine un mois après la tenue de manifestations de masse aux États-Unis contre les mesures dictatoriales de Trump. Il suit une série de grèves menées à travers le Canada par d’importants contingents de la classe ouvrière : agents de bord d’Air Canada, postiers, chauffeurs et employés d’entretien à la STM, pour ne citer que ces exemples.
Cela démontre le potentiel pour une puissante contre-offensive ouvrière, pan-canadienne et nord-américaine, contre le programme d’austérité capitaliste et d’agression impérialiste appliqué à l’unisson à Québec, Ottawa et Washington.
Mais un avertissement doit être lancé : ce potentiel ne pourra être réalisé sans une rupture avec la stratégie nationaliste des centrales syndicales qui organisent la manifestation d’aujourd’hui. (...)
Les travailleurs doivent prendre les choses en main par la formation de comités de base, indépendants des syndicats et capables de mobiliser la colère sociale montante pour la défense des conditions de travail et de vie.
Mais avant tout, les travailleurs doivent comprendre qu’ils sont engagés dans un combat politique, une lutte de classe contre tout l’ordre social existant. Celle-ci doit être menée en dehors des partis et institutions de l’establishment, y compris les syndicats pro-capitalistes.
Pour s’opposer à l’austérité, à l’autoritarisme et à la guerre, il faut un programme socialiste qui s’attaque de front à la source du problème: le contrôle absolu qu’exerce l’oligarchie financière sur des richesses produites par le travail collectif de la classe ouvrière internationale. Cette clique de milliardaires parasites doit être expropriée afin de libérer les ressources nécessaires pour répondre aux besoins sociaux des masses.
Des reporters du World Socialist Web Site se sont entretenus avec des manifestants.
Milena, travailleuse du milieu communautaire, et Cédric, qui travaille dans le domaine des arts, ont dit: pourquoi il y a plein d’itinérance au Québec alors qu’on est une société riche? Milena a ajouté: «On a besoin de services publics de qualité».
Nous avons aussi discuté avec Chris, un travailleur de la construction originaire d’Haïti. Il était d’accord que ce sont les travailleurs qui produisent toutes les richesses. «On est exploité et ce sont les plus riches et les patrons qui ont tout». Dénonçant la loi 14 pour son attaque sur le droit de grève, il a dit: «Pourquoi on devrait se battre pour nos droits démocratiques alors qu’on est au Canada?» Les sympathisants du PES ont expliqué que les immenses inégalités sociales sont incompatibles avec les droits démocratiques.
Zineb, une enseignante originaire du Maroc, a été attirée par le slogan défendant les immigrants au kiosque du PES. Elle a fait part de son expérience en tant qu'immigrante portant le hidjab et comment la loi 94 (qui étend les mesures discriminatoires de la loi 21) menaçait sa sécurité d'emploi. Elle a noté l'ironie qu'elle avait en partie quitté le Maroc pour le caractère antidémocratique de cet État. Elle s'est dite d'accord avec le fait que les attaques contre les immigrants et contre les minorités sont utilisées pour diviser la classe ouvrière. Elle était fortement d'accord que les attaques contre les immigrants étaient reliées à la crise du capitalisme, et avec la nécessité de mener une lutte unifiée des travailleurs de l'Amérique du Nord.
