Nuremberg: d'où vient la barbarie fasciste?

Le nouveau film de James Vanderbilt, Nuremberg, est axé sur le Tribunal militaire international qui a jugé 22 dirigeants nazis, le plus célèbre d'une série de procès intentés à de hauts responsables nazis après la Seconde Guerre mondiale.

Les responsables nazis furent jugés pour leur responsabilité dans une guerre d'agression et pour crimes contre l'humanité, notamment le génocide de six millions de Juifs européens. Le procès de Nuremberg débuta il y a presque exactement 80 ans, le 20 novembre 1945, et se termina le 1er octobre 1946. Dix-neuf des accusés furent reconnus coupables: douze furent condamnés à mort, trois à la prison à vie et quatre à des peines moins lourdes.

Nuremberg

Le nouveau film est largement basé sur le livre de Jack El-Hai paru en 2013, «Le nazi et le psychiatre», ouvrage non romanesque qui retrace l'enquête menée par le médecin de l'armée américaine Douglas Kelley sur l'état psychologique et l'aptitude à comparaître des accusés, en particulier Hermann Göring, le numéro deux du régime nazi après Adolf Hitler.

Un film qui tente de dépeindre les procès de Nuremberg est assurément le bienvenu à l'heure où le génocide et la dictature fasciste menacent à nouveau l'humanité. Nuremberg, en tant que représentation d'une partie cruciale de l'histoire du XXe siècle, est toutefois très inégal. Malgré ses graves lacunes, il convient de reconnaître plusieurs points forts importants.

Parmi les plus marquants, il y a les images d’archives du procès même, notamment ses derniers jours. Des reconstitutions de la salle d'audience alternent avec fluidité et rapidité avec des images d'archives en noir et blanc datant de 80 ans. Ces séquences incluent la projection d'images des camps de concentration récemment libérés. Alors que les noms de Bergen-Belsen, Buchenwald et d'autres apparaissent à l'écran, on aperçoit d'immenses amas de cadavres ainsi que quelques survivants agonisants. Le spectateur est horrifié, comme l'étaient les personnes présentes au procès initial. L'humanité n'avait jamais rien vu de pareil. Dès 1946, l'horreur de la barbarie nazie commença à s'imposer dans la conscience collective. Les procès de Nuremberg ont joué un rôle déterminant pour révéler au monde les crimes de l'impérialisme allemand.

Présenter cette histoire sans fard est une chose, une toute autre est de la comprendre. Le principal problème de Nuremberg est qu'il cherche la motivation de l'Holocauste nazi principalement dans la psychologie des dirigeants, et non dans les profondes contradictions sociales qui ont secoué l'Europe, et en particulier l'Allemagne, au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Par conséquent, Nuremberg ne peut expliquer pourquoi les dirigeants nazis ont été capables de tels crimes monstrueux. Le réalisateur Vanderbilt (issu de l'influente famille Vanderbilt) se contente, dans une interview, d'affirmer, au sujet de l'intrigue principale du film: «Kelley s'est vu offrir le plus haut dignitaire nazi encore en vie. C'était l'occasion d'explorer la nature du mal.»

Le Tribunal militaire international constituait à la fois une importante innovation juridique – la première tentative systématique de rendre les dirigeants politiques et militaires individuellement et juridiquement responsables du crime de guerre d’agression – et un instrument fortement compromis et partial des puissances impérialistes victorieuses, principalement les États-Unis.

Le Tribunal a rompu avec la pratique juridique antérieure en permettant, pour la première fois, que les personnes reconnues coupables d'avoir planifié et mené une guerre d'agression soient jugées par un tribunal. Comme l'a déclaré Robert H. Jackson (joué par Michael Shannon), juge à la Cour suprême des États-Unis et procureur principal à Nuremberg, dans son exposé liminaire: «Nous ne devons jamais oublier que le dossier sur lequel nous jugeons ces accusés aujourd'hui est celui sur lequel l'histoire nous jugera demain.»

Les procès étaient néanmoins indissociables du règlement d'après-guerre façonné par les Alliés victorieux. Les objectifs politiques et stratégiques de ces puissances, notamment des États-Unis, déterminaient quels crimes (et quels criminels) seraient poursuivis et lesquels ne le seraient pas. Comme l'expliquait le WSWS (article en anglais) il y a quelques années, les procès

ont gardé le silence non seulement concernant la cause profonde de la guerre, la crise historique du capitalisme, mais aussi concernant les nombreux crimes de guerre commis par l'impérialisme américain et britannique. En particulier, le largage des bombes atomiques sur les villes japonaises d'Hiroshima et de Nagasaki n'a jamais été condamné, ni même évoqué.

Nuremberg a servi plusieurs objectifs politiques immédiats: légitimer le règlement d'après-guerre et établir les conditions de la réhabilitation de l'impérialisme allemand, y compris la réhabilitation des anciens nazis, dans le cadre de ce qui allait devenir presque immédiatement la guerre froide contre l'Union soviétique et la lutte impérialiste contre la menace de la révolution socialiste.

Rami Malek et Russell Crowe dans Nuremberg

Le film de Vanderbilt se penche sur les rapports entre Göring et Kelley. Douglas Kelley (Rami Malek), fraîchement arrivé à Nuremberg (qui est en ruines dû aux bombardements alliés), revient d'une mission où il soignait des soldats américains souffrant de ce qu'on appellerait aujourd'hui le syndrome de stress post-traumatique. Il rencontre le sergent Howie Triest (Leon Woodall), qui le présente au colonel Burton Andrus (John Slattery), commandant d'un centre pénitentiaire. Andrus informe Kelley qu'il sera chargé d'évaluer l'aptitude psychologique de plusieurs hauts dignitaires nazis en vue de leur procès, Triest lui servant d'interprète.

Le film s'ouvre en réalité sur la reddition de Göring (Russell Crowe) aux troupes américaines. Homme corpulent vêtu d'un uniforme blanc impeccable, tenant son bâton de maréchal et accompagné d'un chauffeur et de plusieurs bagages, le chef nazi se tient à l'écart, contrastant fortement avec une file de réfugiés dépenaillés.

Göring est le plus haut dignitaire nazi à être tombé aux mains des Alliés, après le suicide d'Hitler, de Goebbels et d'Himmler. Proche d'Hitler et de son entourage depuis l'échec du putsch de la Brasserie de Munich en 1923, il fonda la Gestapo (la police secrète nazie) après la prise de pouvoir par les nazis en 1933 et est considéré comme responsable de l'incendie du Reichstag, utilisé par les nazis pour interdire toute opposition et instaurer une dictature brutale à parti unique qui allait mener directement à Auschwitz.

La prestation de Crowe dans le rôle de Göring, ainsi que celles de Malek et Shannon, sont particulièrement remarquables. Crowe campe un Göring intelligent, voire charmant jusqu'à un certain point, soucieux de ne pas s'incriminer, mais défendant également le régime nazi, qu'il jugeait nécessaire pour relever la nation allemande après la défaite dévastatrice de la Première Guerre mondiale et du traité de Versailles.

Michael Shannon dans le rôle de Robert H. Jackson à Nuremberg

Parmi les autres hauts dignitaires nazis du film figure Rudolf Hess (Andreas Pietschmann), l'ancien adjoint du Führer qui s'est rendu en Angleterre sans l'autorisation d'Hitler en 1941 pour tenter de conclure un accord de paix et une alliance contre l'URSS. Hess prétend souffrir d'amnésie, mais lève immédiatement le bras en signe de salut nazi dès qu'il aperçoit Göring.

Il y a aussi Julius Streicher (Dieter Riesle), le tristement célèbre rédacteur en chef de Der Stürmer, un torchon antisémite si abject que de nombreux hauts dignitaires nazis refusaient de le lire. Dans une conversation entre Göring et Kelley, Göring décrit Streicher, propriétaire de ce qui était peut-être la plus grande collection de pornographie au monde, comme un vieux pervers, le genre de personne qui importune les gens dans les parcs publics, une phrase presque mot pour mot tirée du reportage de Rebecca West sur les procès de Nuremberg, paru dans son livre A Train of Powder (1955).

Bien que Kelley ne manifeste aucune sympathie politique ou morale pour Göring, il accepte de transmettre la correspondance entre le nazi, sa femme et sa jeune fille. À partir de ce moment, le récit prend une tournure quelque peu romancée. Ces scènes, bien que fondées sur des faits réels, sont traitées avec une certaine sentimentalité, empreintes d'affection et de compassion.

Le but de cette scène reste obscur. S'agit-il d'humaniser le dirigeant nazi, de montrer qu'il avait une vie de famille normale? Ou bien Kelley est-il manipulé par Göring? Ce sont là quelques-uns des moments «psychologisants» du film qui ne nous éclairent guère sur la nature des dirigeants nazis et les raisons de leurs actes.

L'intrigue selon laquelle Kelley aurait divulgué des informations à un journaliste, puis aurait été dessaisi du procès après avoir remis de volumineuses notes à l'accusation, est encore plus romancée. En réalité, le véritable Kelley a été promu après son examen de Göring et d'autres. L'objectif est probablement de rendre l'histoire plus «dramatique» et donc plus rentable, mais ces modifications servent également à focaliser l'attention sur les facteurs personnels et psychologiques, au détriment d'une étude plus large du régime nazi.

À la fin du procès, Jackson et son collègue procureur britannique utilisent les notes de Kelley pour amener Göring à admettre qu'il serait resté fidèle à Hitler même s'il avait eu connaissance des atrocités, ce qu'il a toujours nié. Göring et les autres sont condamnés, Göring échappant à la pendaison en avalant une capsule de cyanure.

Russell Crowe dans Nuremberg

On accorde beaucoup trop d'importance aux spéculations sur l’influence que Göring a pu avoir sur Kelley. La dernière image du film nous apprend que Kelley, qui souffrait d'alcoolisme, s'est suicidé en 1958, lui aussi à l'aide d'une capsule de cyanure.

Kelley, ce qui est tout à son honneur, a apparemment reconnu que les nazis n'étaient pas simplement des produits spécifiques de la culture allemande ou les créations d'un «mal» abstrait. Lors d'une tournée de promotion de son livre 22 Cellules à Nuremberg, en 1947, un récit de son expérience au procès, Kelley a déclaré: «… Je suis absolument certain qu'il y a des gens, même en Amérique, qui seraient prêts à sacrifier la moitié de la population américaine pour contrôler l'autre moitié, et ce sont ces gens-là […] qui utilisent les droits de la démocratie de manière antidémocratique».

Il y a aussi une brève scène vers la fin du film où Kelley est renvoyé d'une station de radio, accusé de «dénigrer» l'Amérique, après avoir déclaré à l'antenne que les États-Unis n'étaient pas à l'abri de la montée du fascisme.

Ces images, ainsi que celles du procès même, ont une profonde résonance aujourd'hui. Il est difficile pour le spectateur d'entendre ces mots et de voir les images des camps de concentration sans penser aux scènes de Gaza de ces deux dernières années, et de regarder Crowe incarner l'escroc Göring sans penser à l'escroc fasciste occupant la Maison-Blanche.

(Article paru en anglais le 30 novembre 2025)

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