À la suite du cyclone Ditwah, qui s'est désormais dirigé vers l'Inde, le Sri Lanka est en proie à une catastrophe humanitaire qui s'aggrave rapidement. Le bilan officiel dépasse les 410 morts, et plus de 330 personnes sont toujours portées disparues. L’augmentation du nombre de corps retrouvés laisse penser que l'espoir de trouver des survivants s'amenuise, faisant craindre que le bilan final dépasse le millier.
Selon le Centre de gestion des catastrophes (DMC), mardi matin (à 10 h), 1 466 615 personnes issues de 407 594 familles avaient été touchées. Quelque 233 015 personnes issues de 64 483 familles déplacées sont actuellement hébergées dans environ 1441 centres de sécurité improvisés. Le DMC rapporte également que 565 maisons ont été complètement détruites et 20 271, partiellement endommagées. Bien qu'aucun bilan officiel des blessés n'ait été publié, les estimations suggèrent que le nombre de blessés pourrait se chiffrer en milliers.
Les enfants et les femmes sont parmi les plus touchés. Dans un communiqué, l'UNICEF a indiqué que plus de 275 000 enfants font partie des 1,4 million de personnes touchées par Ditwah. Il a mis en garde contre l’aggravation du risque d'épidémies, de malnutrition, de conditions de vie dangereuses et de traumatismes émotionnels graves chez les enfants.
La plupart des décès et des disparitions officiellement enregistrés proviennent des districts montagneux du centre les plus touchés : Kandy (88 morts), Nuwara Eliya (75) et Badulla dans la province d'Uva (83), où un grand nombre de travailleurs des plantations de thé vivent dans des logements délabrés datant de l'époque britannique.
Des scènes déchirantes rappelant le tsunami de 2004 se déroulent actuellement à travers le Sri Lanka. Des témoignages choquants continuent d'émerger des zones dévastées par les inondations et les glissements de terrain, à mesure que les survivants commencent à accéder aux régions auparavant coupées du monde.
Des proches décrivent des dizaines de corps retirés des décombres, tandis que plusieurs grands hôpitaux ont discrètement demandé aux familles de cesser d'apporter des cadavres, les morgues étant pleines et le personnel, débordé. Dans certains cas, la décomposition a rendu les corps méconnaissables, et des restes, tels que des têtes ou des doigts, ont été retrouvés sectionnés.
Dans ces conditions désastreuses, les communautés ont été contraintes d'enterrer immédiatement les victimes, souvent dans des fosses communes et sans examen médical, ce qui a attisé la colère et la frustration des familles.
Les corps continuant d'être retrouvés et l'accès à de nombreuses régions étant bloqué, le nombre réel de victimes reste incertain. La comparaison avec les registres de population des zones touchées pourrait être le seul moyen de déterminer à terme l'ampleur de la tragédie. La télévision et les réseaux sociaux montrent des habitants creusant les décombres à la pelle et à mains nues, en raison d'une grave pénurie de bulldozers et d'équipement lourd.
Bien que les eaux se retirent dans certaines zones, des centaines de routes principales et une grande partie du réseau ferroviaire de la province centrale restent submergées ou gravement endommagées, paralysant les transports et entravant les efforts de sauvetage. De nombreux villages sont coupés des villes voisines, les routes secondaires et étroites s'étant effondrées, ayant été emportées ou restant bloquées par les eaux et les coulées de boue.
En outre, les coupures d'électricité et de télécommunications persistent dans de nombreuses régions, empêchant les survivants d'appeler à l'aide. Les appels répétés pour obtenir de la nourriture, de l'eau potable et une évacuation soulignent l'absence d'une opération de secours coordonnée nationalement, malgré les affirmations répétées du gouvernement Janatha Vimukthi Peramuna/National People's Power (JVP/NPP) selon lesquelles de telles opérations sont en cours.
Dans le district de Colombo, durement touché par le débordement de la rivière Kelani, des centaines de milliers de personnes, pour la plupart des travailleurs et des pauvres vivant dans les zones urbaines basses, ont été déplacées après que le gouvernement n'ait pas évacué les habitants à temps. Kolonnawa, dont 70 % du territoire se trouve sous le niveau de la mer, est l'une des zones les plus touchées, plus de 175 000 personnes ayant été contraintes de quitter leur domicile.
Si les ministres du gouvernement affirment avoir conseillé aux habitants d'évacuer, de nombreux habitants de la région affirment qu'aucune mesure n'a été prise pour protéger leurs maisons ou leurs biens en leur absence. Les gouvernements successifs, y compris l'actuelle administration JVP/NPP, n’ont pas effectué les projets de prévention des inondations promis depuis longtemps. Les habitants accusent les autorités de négliger la région afin de faire pression sur les communautés ouvrières pour qu'elles quittent des terres commercialement intéressantes convoitées par de riches promoteurs et investisseurs.
Des centaines de milliers de personnes ont tout perdu, à l'exception des vêtements qu'elles portaient au moment de la catastrophe. Les meubles et les appareils électroménagers achetés au prix de nombreuses années de dur labeur ont été emportés. Même là où les maisons sont encore debout, leur intégrité structurelle est incertaine, les fondations et les murs ayant été affaiblis par les inondations et les glissements de terrain.
Des milliers de petites et moyennes entreprises ont été submergées, leurs équipements et leurs stocks détruits. Pour beaucoup, la reconstruction pourrait prendre des années, si tant est qu'elle soit possible. Sans aide substantielle, beaucoup risquent la faillite.
Hormis les 25 000 soldats déployés par le président Anura Kumara Dissanayake, il n'y a pratiquement aucune équipe de secours officielle sur le terrain. Ce sont les survivants eux-mêmes, villageois, travailleurs et citoyens ordinaires, qui apportent leur aide. Tout en pleurant la perte de leurs proches, ils distribuent de la nourriture, des vêtements, des médicaments et d'autres produits de première nécessité. Les familles déplacées doivent nettoyer et réparer leurs maisons seules ou avec l'aide de leurs voisins.
Le coût économique total de la catastrophe est encore inconnu. Mardi, le Daily Mirror a cité le président Anura Kumara Dissanayake qui a déclaré que « le gouvernement a entamé des discussions avec la Banque mondiale afin de préparer une évaluation détaillée des dommages dans tous les secteurs et des besoins financiers pour la reconstruction ». Compte tenu de l'ampleur des destructions des infrastructures (ponts, voies ferrées, routes, usines de purification d'eau et industries), la facture finale devrait s'élever à plusieurs centaines de milliards de roupies.
Dans une allocution télévisée dimanche soir, Dissanayake a indiqué que le coût de la reconstruction serait supporté par une population déjà soumise à l'austérité imposée par le FMI. Il a cyniquement défendu l'état d'urgence, affirmant qu'il était nécessaire pour « fournir une protection juridique et une allocation financière » afin de « reconstruire notre pays mieux qu'avant ». Bien qu'il ait promis de ne pas utiliser les pouvoirs d'urgence de manière répressive, cette mesure sera certainement utilisée pour imposer une austérité plus sévère sous le prétexte de « reconstruire » le pays.
Lundi, le cabinet de Dissanayake a approuvé la création du Fonds « Rebuilding Sri Lanka » (Reconstruire le Sri Lanka), un organisme statutaire relevant du secrétariat présidentiel chargé de superviser la reconstruction.
Il convient de noter que son comité de gestion, qui évaluera les besoins, fixera les priorités, attribuera les ressources et déboursera les fonds, est dominé par certains des hommes d'affaires les plus riches du Sri Lanka. Parmi eux figurent Duminda Hulangamuwa (ancien président de la Chambre de commerce de Ceylan) en tant que conseiller économique principal du président, Mohan Pandithage (président du groupe Hayleys) et Krishan Balendra (président de John Keells). Tous sont de fervents partisans du programme du FMI, garantissant que les fonds de « reconstruction » donneront la priorité au remboursement de la dette plutôt qu'à l'aide aux millions de personnes dévastées par le cyclone.
La catastrophe a déjà déclenché une crise politique, non seulement pour le gouvernement JVP/NPP, qui a ignoré les alertes précoces du département météorologique, mais aussi pour les partis d'opposition qui cherchent désormais à exploiter la tragédie pour regagner le soutien de la population.
Lundi, le Samagi Jana Balawegaya (SJB) et d'autres partis ont quitté le Parlement, accusant le gouvernement de bloquer le débat sur les mesures politiques urgentes à prendre. Ils ont affirmé que l'administration n'avait pas donné suite aux prévisions précoces. Si cela est vrai, aucun des partis d'opposition ne peut affirmer de manière crédible qu'il aurait réagi différemment s'il avait été au pouvoir. Des millions de Sri Lankais se souviennent très bien des échecs des gouvernements précédents dirigés par ces mêmes partis lors des dernières catastrophes climatiques.
Aujourd'hui encore, beaucoup de ceux qui ont tout perdu lors de catastrophes antérieures n'ont toujours pas de logement convenable. Pendant des décennies, les gouvernements successifs ont ignoré la menace du changement climatique, rejeté les avertissements répétés et abandonné les plus vulnérables. Cette nouvelle catastrophe frappe alors que la classe ouvrière et les masses opprimées sont déjà accablées par le poids de l'effondrement économique de 2022 et de ses conséquences.
Selon un récent rapport de la Banque mondiale, la pauvreté au Sri Lanka a plus que doublé depuis 2019, passant de 11,3 % à 24,5 %. Pour des millions de familles de la classe ouvrière, les produits de première nécessité sont devenus inabordables. Au lendemain du cyclone Ditwah, les prix des légumes ont déjà grimpé en flèche, et d'autres produits de première nécessité devraient suivre, plongeant les pauvres encore plus profondément dans la faim et la malnutrition.
Les ravages causés par le cyclone Ditwah, qui fait partie d'un système dépressionnaire plus large ayant fait environ 1000 morts en Asie du Sud-Est, révèlent le caractère de classe des catastrophes climatiques. Au Sri Lanka, l'absence d'alertes précoces, la dégradation des infrastructures et la soumission du gouvernement JVP/NPP aux diktats du FMI ont transformé un événement naturel en une vaste catastrophe sociale.
Sur la scène mondiale, l'absence des États-Unis, de la Chine et de l'Inde au sommet COP30, ainsi que la succession de promesses vaines qui y ont été faites, prouvent que les gouvernements et les entreprises capitalistes ne supprimeront pas progressivement les combustibles fossiles et ne financeront pas de mesures de protection significatives pour les populations vulnérables. La conclusion est claire : les catastrophes climatiques continueront de tuer les plus pauvres, à moins que la classe ouvrière ne s'organise pour lutter en faveur d'une réorganisation socialiste de la société, fondée sur les besoins humains et non sur le profit.
