Perspective

L’affaire Assange et la classe ouvrière

Stella Assange s'exprimant à l'extérieur du tribunal, 21 février 2024

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, attend à nouveau une décision des tribunaux britanniques concernant son extradition vers les États-Unis. Après une audience de deux jours au cours de laquelle son équipe juridique a demandé l’autorisation de faire appel devant la Haute Cour, les juges Jeremy Johnson et Victoria Sharp ont mis leur décision en délibéré. Ils ne devraient pas annoncer leur décision avant le 4 mars, date limite pour la présentation de documents supplémentaires par les avocats.

S’ils accordent l’autorisation, Assange devra attendre dans la prison de haute sécurité de Belmarsh jusqu’à ce que l’appel ait lieu et qu’une décision finale soit prise.

En cas de refus, deux avenues sont possibles. Assange fera immédiatement appel à la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en demandant une ordonnance au titre de l’article 39 pour bloquer son extradition jusqu’à ce que la Cour de Strasbourg rende sa propre décision. Si cette demande est acceptée, il appartiendra au gouvernement britannique de décider de respecter l’ordonnance ou de transférer Assange aux États-Unis.

Toutes les éventualités sont techniquement et politiquement possibles. La classe dirigeante britannique a joué un rôle essentiel en tant que geôlier de l’impérialisme américain, en gardant Assange confiné pendant près de 12 ans, d’abord dans l’ambassade équatorienne à Londres, assiégée en permanence par la police, puis à Belmarsh. Ils pourraient continuer à le faire tout en lui accordant un recours devant la Haute Cour, qui pourrait encore être refusé en fin de compte, ou en autorisant un recours devant la Cour européenne.

Par ailleurs, les États britannique et américain peuvent avoir décidé qu’il était temps d’envoyer Assange aux États-Unis. Un tel plan aurait été compliqué par le dossier solide présenté cette semaine, mais il n’est certainement pas exclu.

L’extradition placerait Assange devant de nouveaux défis personnels et juridiques considérables. Il a subi d’énormes préjudices personnels durant son incarcération en Grande-Bretagne, tant sur le plan physique que psychologique, et était trop malade pour assister ou même regarder l’audience de la Haute Cour par liaison vidéo. Assange étant considéré à risque de se suicider, sa femme Stella a insisté sur le fait qu’il ne survivrait pas s’il était envoyé aux États-Unis.

Lors de la première audience d’extradition d’Assange, à l’automne 2021, des experts ont témoigné des conditions draconiennes de sa détention provisoire aux États-Unis.

Selon leur témoignage, il serait probablement placé dans l’unité de ségrégation administrative du centre de détention Alexandria et soumis à des mesures administratives spéciales qui, combinées, conduiraient à son isolement presque total et handicaperaient gravement sa capacité à participer à sa propre défense juridique.

Le traitement barbare qui l’attend a été démontré par le traitement de Joshua Schulte, récemment condamné à 40 ans d’emprisonnement pour avoir divulgué des preuves de l’existence d’un logiciel d’espionnage de la CIA. Schulte a déclaré lors de l’audience de détermination de sa peine: «Le gouvernement fédéral américain me torture avec un bruit blanc 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et l’isolement. La fenêtre est peinte en noir. Lorsqu’on me propose d’accéder à la bibliothèque juridique, je dois uriner et déféquer sur le sol. Je reste là pendant 9 heures.

«J’ai été enfermé dans ma cage de torture avec des excréments de rongeurs. De la glace s’accumule près de la fenêtre. Je lave mes vêtements dans mes toilettes. Je suis obligé de manger à mains nues comme un animal. On se fait traiter comme si on n’était pas humain.»

Les avocats d’Assange subiront également des restrictions. En plus d’avoir un accès limité à leur client, ils devront surmonter des obstacles pour accéder aux documents du gouvernement américain utiles à sa défense et pour en communiquer les détails à Assange.

Par ailleurs, on a déconseillé à tous les membres du personnel de WikiLeaks de se rendre aux États-Unis par crainte de persécutions.

Lors du procès, le fait que la loi sur l’espionnage ne prévoie pas de défense de l’intérêt public permettra à l’accusation d’étouffer toute tentative de présenter des preuves sur le contenu réel des publications de WikiLeaks, sur le droit du public à savoir ou sur les motivations d’Assange pour agir comme il l’a fait. La loi sur les procédures relatives aux informations classifiées donnera au gouvernement et aux agences de renseignement toutes les possibilités d’interférer avec les preuves que ses avocats sont officiellement autorisés à présenter.

Lors de l’audience d’extradition d’Assange, des témoins médicaux ont également fait état du risque réel de suicide en cas d’extradition et d’emprisonnement dans ces conditions, ainsi que de l’état déplorable des soins de santé mentale dispensés dans les prisons américaines. Ces preuves ont été acceptées par le juge comme base d’une décision initiale contre l’extradition. Cette décision n’a été annulée que sur la base d’«assurances» du gouvernement américain si conditionnelles qu’elles ne valent pas le papier sur lequel elles sont écrites.

En outre, il existe une menace réelle qu’Assange doive endurer ces conditions sous peine d’être exécuté. Comme l’ont expliqué ses avocats lors de l’audience de cette semaine, les infractions dont il est accusé et qui sont déjà passibles d’une peine de 175 ans d’emprisonnement peuvent être requalifiées en infractions passibles de la peine capitale. Aucune des garanties habituelles de non-application de la peine de mort n’a été donnée.

Le spectre du «suicide» de Jeffrey Epstein, après seulement un mois d’emprisonnement et alors qu’il était censé révéler des crimes commis dans les plus hautes sphères de la société américaine, plane sur toute l’affaire.

Le procès d’Assange a très soigneusement et efficacement mis en lumière ces procédures judiciaires de pacotille, ainsi que l’abus des droits juridiques d’Assange par la conspiration américano-britannique et le précédent effrayant que le gouvernement américain tente de créer en saisissant et en cherchant à faire disparaître un journaliste étranger en vertu de la loi sur l’espionnage. Mais qu’elle se poursuive au Royaume-Uni devant la Haute Cour, à Strasbourg devant la Cour européenne ou aux États-Unis, la lutte pour la libération d’Assange ne peut aboutir que dans le cadre d’une campagne politique de masse.

Un tel mouvement peut et doit être construit. Les forces organisées contre Assange par les États britannique et américain sont puissantes. Mais il existe une autre force encore plus redoutable qui n’a pas encore eu son mot à dire: la classe ouvrière britannique, américaine et internationale.

Dans un article de Perspective publié après l’audience principale d’Assange il y a deux ans et demi, le World Socialist Web Site expliquait: «À travers l’affaire Assange, les travailleurs ont reçu une leçon d’impérialisme : un système de violence et de répression perpétrées contre les peuples du monde par les États les plus puissants et leurs auxiliaires au nom de l’oligarchie financière dirigeante.»

Depuis lors, la guerre entre l’OTAN et la Russie en Ukraine et le génocide à Gaza ont fourni de nouvelles leçons sur la violence impérialiste. L’opposition au génocide d’Israël contre les Palestiniens, avec le soutien total des États-Unis, de la Grande-Bretagne et d’autres puissances impérialistes, a fait descendre des millions de personnes dans les rues du monde entier, tandis que la guerre en Ukraine entraîne une expansion rapide des dépenses militaires, enflammant des tensions sociales déjà aiguës. La classe dirigeante répond par des lois de plus en plus dictatoriales et par la répression policière.

Se référant aux mesures prises dans cette direction dès 2021, la Perspective prédisait que «ces actions ne peuvent être entreprises sans susciter une résistance massive de la classe ouvrière américaine et mondiale. Au fur et à mesure que ce mouvement prendra conscience, grâce à son éducation par le parti révolutionnaire, qu’il est engagé dans un combat à la vie ou à la mort contre le capitalisme et l’impérialisme en décomposition, il en viendra à reconnaître la campagne pour la libération d’Assange comme une partie essentielle de cette lutte».

C’est cette conception qui doit guider le travail urgent nécessaire pour construire le mouvement de masse indispensable à la libération d’Assange. Sa défense devant les tribunaux est incontestable, sauf par le biais de décisions antidémocratiques et injustes prises dans l’intérêt de la classe dirigeante en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Pour vaincre ces forces, il faut plus que des arguments juridiques. Il faut mobiliser les travailleurs et les jeunes générations du monde entier contre la dictature et la guerre et pour défendre quelqu’un que des centaines de millions de personnes considèrent comme un héros parce qu’il a révélé les crimes de guerre des puissances impérialistes qui tentent maintenant de le faire taire à jamais.

(Article paru en anglais le 23 février 2024)

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