L'attentat terroriste perpétré vendredi au Crocus City Hall de Moscou, qui a fait au moins 137 morts et plus de 180 blessés, constitue une nouvelle étape dangereuse dans la guerre impérialiste contre la Russie.
Selon le président russe, Vladimir Poutine, les auteurs ont été capturés alors qu’ils se dirigeaient vers la frontière ukrainienne, où «une fenêtre» avait été ouverte pour leur permettre de passer en Ukraine. Les quatre principaux suspects ont été identifiés comme des immigrants du Tadjikistan, une ancienne république soviétique désespérément pauvre d’Asie centrale. Ils ont plaidé coupables et affirment avoir agi pour le compte d’intermédiaires non encore identifiés en échange d’argent. Le groupe terroriste islamiste ISIS-K, basé en Afghanistan, a revendiqué l’attentat.
Les principaux porte-parole de l’impérialisme américain, le New York Times et le Washington Post, ont rapidement lancé une campagne visant à nier l’implication des États-Unis et de l’Ukraine dans cette attaque. Les deux médias ont immédiatement rejeté la déclaration de Poutine concernant un lien avec l’Ukraine, en citant des «responsables de la sécurité américaine» anonymes. Sans fournir aucune preuve, ils ont simplement repris les affirmations de la Maison-Blanche et de Kiev, formulées presque immédiatement après l’attaque, selon lesquelles ni les États-Unis ni l’Ukraine n’étaient impliqués.
Comment est-il possible que les principaux médias américains excluent immédiatement tout lien entre cet attentat et la guerre qui fait rage entre la Russie et l’Ukraine, dans laquelle les États-Unis sont hautement impliqués?
En fait, leurs affirmations ne sont pas plus crédibles que leurs dénégations antérieures concernant l’implication des États-Unis et de l’Ukraine dans le bombardement du gazoduc germano-russe Nord Stream. Il y a eu de nombreux cas où les dénégations de culpabilité des États-Unis se sont révélées fausses par la suite. Il leur incombe donc de prouver leur innocence. L’attaque porte la marque de la CIA et de ses mandataires à Kiev.
La propagande de guerre diffusée par les médias à propos de l’attaque terroriste révèle son objectif politique. Le Times a écrit, avec une jubilation à peine dissimulée, que l’attentat était «un coup porté à l’aura de M. Poutine en tant que dirigeant pour qui la sécurité nationale est primordiale». Maintenant, suppose le Times, les Russes «pourraient se demander si M. Poutine, avec l’invasion et son conflit avec l’Occident, a vraiment à cœur les intérêts du pays en matière de sécurité – ou s’il les néglige lamentablement, comme l’affirment nombre de ses opposants».
Reprenant une ligne presque identique, le Washington Post a publié un article sous le titre «L’attaque terroriste en Russie révèle les vulnérabilités du régime de Poutine». Il se réjouit que l’attentat «ait réduit à néant les efforts de Poutine pour présenter la Russie comme forte, unie et résistante» et cite un «homme d’affaires moscovite» critiquant le «manque de responsabilité en matière de sécurité lors des grands événements publics» sous Poutine.
Le Financial Times va dans le même sens en déclarant que les allégations russes sur la responsabilité de l’Ukraine servent à «détourner l’attention des lacunes du système de sécurité de Moscou, qui se sont creusées depuis l’invasion totale de l’Ukraine par Poutine il y a deux ans».
L’affirmation selon laquelle Poutine a été «distrait» par la guerre en Ukraine ne réfute pas l’implication des États-Unis et de l’Ukraine dans l’attaque. Au contraire, il pourrait s’agir d’un facteur qui a conduit les comploteurs de l’OTAN à croire qu’une attaque avait une forte probabilité de succès.
Au cœur de la propagande impérialiste sur la prétendue «non-implication» des États-Unis et de l’Ukraine se trouve le fait que l’ISIS-K a revendiqué l’attentat. Mais l’implication d’ISIS-K ne réfuterait pas l’implication de l’Ukraine et des États-Unis. Au contraire.
ISIS-K est en grande partie une création de l’impérialisme américain et de ses guerres de plusieurs décennies au Moyen-Orient et en Asie centrale. En 2021, le Wall Street Journal a rapporté que des agents de renseignement et des troupes d’élite anti-insurrectionnelles formés par les États-Unis rejoignaient ISIS-K en Afghanistan. Le Tadjikistan, d’où sont originaires les terroristes présumés, est depuis longtemps impliqué dans les conflits armés en Afghanistan, depuis les années 1980, lorsque les États-Unis ont formé et financé des fondamentalistes islamistes dans leur guerre contre l’Union soviétique.
Dans ce contexte, l’avertissement lancé le 7 mars par l’ambassade américaine à Moscou concernant l’imminence d’un attentat terroriste majeur en Russie ne peut être interprété que comme une tentative de créer un alibi pour les États-Unis dans la perspective de l’opération de leurs mandataires.
L’implication des services de renseignement ukrainiens, qui coordonnent étroitement leurs opérations quotidiennes avec l’OTAN et les États-Unis, ne fait presque aucun doute. En janvier 2023, le Times a rapporté que des éléments nationalistes et d’extrême droite de toute l’ancienne Union soviétique, y compris du Caucase du Nord et de l’Asie centrale, avaient afflué en Ukraine pour participer à la guerre de l’OTAN contre la Russie.
Comme l’a écrit le Times, «la plupart d’entre eux nourrissent l’ambition politique à long terme de rentrer chez eux et de renverser les gouvernements russe et biélorusse. Les volontaires eux-mêmes affirment qu’ils agissent en toute connaissance de cause et sous les ordres de l’armée et des services de renseignement ukrainiens. Nombre de leurs opérations sont secrètes, y compris de dangereuses missions de reconnaissance ou de sabotage derrière les lignes russes».
Quelques jours avant l’attentat terroriste de Moscou, le Times a salué les néonazis russes, qui «ont été ouvertement soutenus par l’agence de renseignement militaire ukrainienne» pour une incursion dans le pays pendant les élections présidentielles, en les qualifiant de «Russes rebelles». Leurs «attaques audacieuses», écrit le Times, pourraient contribuer à «miner le sentiment de stabilité en Russie et à détourner les ressources militaires du pays de l’Ukraine».
L’argumentation développée par le Times et rediffusée dans la presse mondiale révèle l’objectif politique de l’opération terroriste. Les forces mandataires de l’OTAN en Ukraine étant confrontées à une débâcle militaire, l’attaque terroriste à Moscou s’inscrit dans le cadre des efforts visant à ouvrir un second front de la guerre, à l’intérieur même de la Russie.
L’objectif est triple: premièrement, renforcer l’opposition au régime de Poutine au sein de l’oligarchie et de l’appareil d’État; deuxièmement, provoquer une réponse militaire du Kremlin qui puisse servir de prétexte à une nouvelle escalade de la guerre par l’OTAN; et troisièmement, encourager les tensions ethniques et religieuses en Russie qui déstabiliseraient le régime et faciliteraient le découpage de toute la région par les puissances impérialistes.
Cette stratégie s’inscrit dans une longue et sinistre tradition. Les nazis ont mobilisé les forces nationalistes et d’extrême droite de l’alliance dite de l’Intermarium dans toute l’Europe de l’Est et le Caucase lorsqu’ils ont envahi l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Pendant la guerre froide, les États-Unis ont déployé ces réseaux fascistes dans leur guerre secrète contre l’Union soviétique. La destruction stalinienne de l’Union soviétique et la restauration du capitalisme ont permis aux puissances impérialistes de poursuivre cette stratégie réactionnaire à une échelle sans précédent.
Cela vaut également pour la Russie elle-même. Pendant plus d’une décennie, les puissances impérialistes ont systématiquement constitué une faction anti-Poutine au sein de l’oligarchie et de l’État russes autour de feu Alexei Navalny. Bien que glorifié par le Times comme un «démocrate», Navalny a coorganisé pendant des années le plus grand événement fasciste annuel de Russie, la «Marche russe», a traité les immigrants du Caucase et d’Asie centrale de «cafards» et a entretenu des liens étroits avec des tendances séparatistes dans tout le pays. D’autres leaders de l’opposition, l’ancien oligarque, Mikhaïl Khodorkovski, et Ilya Ponomaryov, prônent ouvertement l’éclatement de la Fédération de Russie en une série d’États distincts.
Si plus de 70 pour cent des quelque 140 millions d’habitants de la Russie sont des Russes ethniques, le pays compte plus de 190 groupes ethniques. Les musulmans représentent au moins un dixième de la population. Beaucoup d’entre eux vivent dans quelques républiques majoritairement musulmanes ainsi que dans le Caucase du Nord, où le Kremlin a mené deux guerres brutales contre les séparatistes tchétchènes entre 1994 et 2009. En outre, la Russie compte quelque 17 millions d’immigrés, pour la plupart originaires d’anciennes républiques soviétiques telles que le Tadjikistan et appartenant aux couches les plus exploitées de la classe ouvrière.
La base sociale et la politique du régime oligarchique de Poutine le rendent très vulnérable aux machinations des puissances impérialistes. Son invocation du chauvinisme et du nationalisme grand-russe sert à désorienter, diviser et démobiliser la classe ouvrière et, en fin de compte, contribue aux objectifs de guerre impérialistes.
Il existe un réel danger que le régime de Poutine et d’autres forces de droite tentent d’orienter le choc populaire vers différentes communautés nationales et ethniques tout en intensifiant la répression de l’État. Samedi, la police moscovite a déjà effectué des descentes dans les quartiers d’habitation des immigrés et les médias sociaux ont fait état d’un boycott croissant des chauffeurs de taxi, majoritairement tadjiks.
L’attaque terroriste de Moscou est une escalade dangereuse et criminelle d’une guerre qui a déjà fait des centaines de milliers de morts. L’inconscience des puissances impérialistes est stupéfiante. Tout en soutenant le génocide de sang-froid des Palestiniens de Gaza par Israël, elles encouragent de violents conflits nationaux et ethniques en Russie et risquent le déploiement d’armes nucléaires par le régime de Poutine. Le seul moyen viable pour la classe ouvrière de sortir de cette situation dangereuse réside dans le développement d’un puissant mouvement antiguerre socialiste, qui doit être enraciné dans les traditions du marxisme révolutionnaire et de l’unification internationale de la classe ouvrière.
(Article paru en anglais le 25 mars 2024)