Mercredi, les ministres russe et français de la Défense, respectivement Sergueï Choïgou et Sébastien Lecornu, se sont entretenus par téléphone, Choïgou proposant des pourparlers pour mettre fin à la guerre en Ukraine et critiquant les plans français d'envoyer des troupes dans ce pays. Choïgou a également pressé Lecornu sur une éventuelle implication française dans l'attaque terroriste du 22 mars à la salle de concert Crocus City Hall de Moscou.
Si des sources françaises et russes ont donné des comptes rendus très contradictoires de la conversation, les responsables français ont rejeté sans ambiguïté l'offre de pourparlers de paix de la Russie. Soutenu par ses alliés de l'OTAN, Paris poursuit son projet d'envoyer des troupes en Ukraine, ce qui ne peut que conduire à une guerre entre États dotés de l'arme nucléaire.
Selon la déclaration du ministère russe de la Défense lors de l'appel téléphonique, «il y avait une volonté notable de dialogue sur l'Ukraine. ... Le point de départ pourrait être l'initiative d'Istanbul pour la paix ».
Il y eut des informations contradictoires sur quelle initiative Choïgou avait à l’esprit. Des sources russes firent référence à une proposition de pourparlers de paix faite par le président turc Recep Tayyip Erdoğan le mois dernier, lors de la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky en Turquie. Des sources françaises évoquèrent l'accord de paix entre négociateurs russes et ukrainiens en Turquie d’avril 2022, accord que le Premier ministre britannique de l'époque, Boris Johnson, a forcé les responsables ukrainiens à abandonner.
Choïgou a également averti Lecornu, selon les récits russes, que si Paris envoyait des troupes en Ukraine, «cela créerait des problèmes pour la France même».
À propos de l'attaque du Crocus Cita Hall, Choïgou a déclaré à Lecornu que les enquêteurs russes avaient des preuves de l'implication ukrainienne et a déclaré: « Le régime de Kiev ne fait rien sans l’aval de ses superviseurs occidentaux. Nous espérons que, dans ce cas, les services secrets français ne sont pas derrière cela. »
Les responsables français ont immédiatement nié tout intérêt pour des pourparlers de paix en Ukraine. Choïgou était « prêt à reprendre le dialogue sur l'Ukraine », ont déclaré à l'AFP des responsables français de la Défense, mais « la France n'a accepté ni proposé quoi que ce soit » sur l'Ukraine. Alors même qu'il évoquait un appel téléphonique qu'il venait de passer au ministre russe de la Défense, le ministère français de la Défense a déclaré sans ambages au Monde :« Cet appel ne doit pas être vu comme une tentative de réouverture d'un canal de communication avec les Russes. »
Néanmoins, l'appel avait été lancé à la demande urgente de la France, selon des informations russes et françaises. «Conscient des perturbations que l'appel téléphonique pourrait causer, le ministère français de la Défense a averti plusieurs de ses homologues européens de l'appel et les a contactés une fois celui-ci terminé, notamment pour éviter les tentatives de manipulation russes », rapporte Le Monde.
« La lutte contre le terrorisme est une priorité du gouvernement, elle n'a rien à voir avec l'Ukraine », ont déclaré des responsables français de la Défense. Ils ont évoqué l'horrible attentat perpétré à Moscou par des Tadjiks, qui seraient affiliés au groupe État islamique-Khorasan (EI-K), et qui a fait 144 morts et 551 blessés.
Lecornu « a rappelé que la France était ouverte à un échange intensifié » avec la Russie sur les opérations antiterroristes, ont-ils ajouté. Le ministre avait déclaré à Choïgou que « la France ne dispose d'aucune information permettant de lier cette attaque à l'Ukraine ».
Ils ont également déclaré que Lecornu avait exigé que Moscou «cesse toute tentative d'exploiter» l'attaque du Crocus City Hall.
Le communiqué du ministère russe de la Défense a confirmé que Lecornu était préoccupé par les retombées politiques de l'attaque de Crocus City Hall. Lecornu avait « constamment soutenu que l'Ukraine et les pays occidentaux n'étaient pas impliqués dans l'attaque terroriste, attribuant la responsabilité de l'attaque à l'ISIS». ISIS (État islamique en Irak et en Syrie) est un ancien nom du groupe État islamique (EI).
L'appel entre Choïgou et Lecornu doit être considéré comme un avertissement du danger imminent d'escalade de la guerre entre l'OTAN et la Russie en Ukraine. Ce danger ne vient pas principalement du régime capitaliste post-soviétique du président russe Vladimir Poutine, mais de la France et de ses alliés de l'OTAN. Le rejet par la France de l'offre de pourparlers de paix de Choïgou réfute la propagande présentant la Russie comme une menace pour toute l'Europe et montre que c'est l'OTAN, et non Moscou, qui pousse à la guerre.
Le gouvernement français prépare la guerre avec la Russie dans le dos de la population, sur la base de mensonges et de déformations. Personne à Paris n'a révélé ce que Lecornu a dit sur l'Ukraine. Mais il est difficile de croire qu’il ait appelé Choïgou, qui exerce le leadership sur la guerre de la Russie en Ukraine – et donc, potentiellement, sur des opérations visant à détruire l'armée française, si elle devait s'y déployer – juste pour discuter du partage de renseignements pour le travail de la police contre les terroristes.
En se basant uniquement sur les déclarations officielles françaises, cependant, il semble que le principal message que Paris envoie à Poutine est que la discussion sur l'attaque terroriste de Moscou est inacceptable.
La France a ouvertement armé les milices islamistes lors des guerres que l'OTAN a lancées en 2011 en Libye et en Syrie. Mais les responsables et les médias français ont minimisé ces liens après que des terroristes islamistes eurent perpétré deux attentats sanglants à Paris en 2015. Le prédécesseur de Macron, François Hollande, a imposé un état d'urgence de deux ans qui a suspendu les droits démocratiques fondamentaux, renforcé les forces néofascistes islamophobes et conduit à un vaste renforcement des pouvoirs de police, désormais utilisés pour agresser et emprisonner les travailleurs engagés dans des grèves ou des manifestations.
Jeudi, Macron, Hollande et d'autres responsables français ont dénoncé Choïgou pour avoir suggéré un lien possible entre la France et l'attaque de Moscou. Hollande s'est rendu sur France Inter pour appeler à une rupture des relations avec la Russie. Il a déclaré: «Vous avez vu comment la Russie instrumentalise ce genre de discussions et laisse même penser que ce serait la France qui aurait pu soutenir les attentats à Moscou (...) Ma recommandation, c'est aucun contact avec la Russie ».
Macron a qualifié les propos de Choïgou de «baroques et menaçants» lors d'une conférence de presse au bord de la piscine pour les Jeux olympiques de cet été. Affirmant sans aucune preuve que la Russie pourrait «viser» les Jeux olympiques de 2024, Macron a déclaré à propos de l'attaque de Moscou: «C'est ridicule, c'est dire que la France pourrait être derrière, que les Ukrainiens sont derrière... Tout ça n'a aucun sens. Mais c'est une manipulation de l'information qui fait partie de l'arsenal de la guerre tel qu'il est utilisé aujourd'hui par la Russie ».
En réalité, les propres déclarations des responsables américains soulèvent la question d'une implication potentielle de l'OTAN dans l'attaque de Moscou: ils ont immédiatement affirmé, sans aucune enquête, que l'Ukraine n'était pas impliquée et ont blâmé l'EI-K. Mais l'EI-K a recruté de nombreux soldats et espions du régime afghan pro-OTAN qui a combattu les talibans et qui sont entrés dans la clandestinité lorsque les talibans ont pris Kaboul en 2021. Les services secrets français, qui ont participé à l'occupation de l'Afghanistan par l'OTAN, ont de nombreux contacts parmi ces forces.
Avant même que le Kremlin n'ait fait d'allégations concrètes liant la France à l'attaque du Crocus City Hall, Hollande et Macron tentent d'anticiper les retombées politiques de révélations sur leurs liens avec l'Ukraine et les groupes islamistes. Ils redoublent d'efforts pour attaquer la Russie, même si cela signifie risquer une guerre nucléaire.
Cela met en évidence la faillite de la tentative du régime capitaliste russe d'utiliser sa supériorité actuelle sur le champ de bataille en Ukraine pour négocier un accord avec les puissances impérialistes de l'OTAN, qu'il appelle régulièrement ses «partenaires occidentaux».
Timofei Bordachev, un responsable du Club Valdaï où Poutine rencontre des financiers et des politiciens internationaux pour des discussions, a exposé cette perspective pour le site d'information pro-Kremlin Vzgliad. Il a salué la concersation entre Choïgou et Lecornu, déclarant: «Dans ce contexte, il est important que la Russie montre pleinement sa volonté de s'engager dans un dialogue constructif, même avec les pays qui ont récemment provoqué un scandale par leurs déclarations.»
L'échec des tentatives de paix de Choïgou montre qu'il n'y a pas de «dialogue constructif» avec l'impérialisme, qui ne recherche pas le dialogue, mais la guerre et l'hégémonie mondiale. Le régime de Poutine, qui utilise une version modifiée de la conception banqueroutière de la «coexistence pacifique avec l'impérialisme» du régime stalinien qui a dissous l'Union soviétique en 1991, est dans une impasse. Ses succès sur le champ de bataille contre un régime ukrainien soutenu par l'OTAN ne font que le rapprocher d'une guerre ouverte avec celle-ci.
La seule façon d'arrêter la guerre est de mobiliser l'opposition de masse dans la classe ouvrière. Les sondages montrent que 68 pour cent des Français, 80 pour cent des Allemands et 90 pour cent des Polonais s'opposent à l'envoi de troupes en Ukraine. Ce sentiment doit être mobilisé par la construction d'un mouvement international et socialiste anti-guerre dans la classe ouvrière – dans les pays de l'OTAN, en Russie et en Ukraine.