Jeudi dernier, des centaines d'étudiants et d'employés de l'Université du Michigan (UM) ont protesté contre une nouvelle politique imposée par l'administration universitaire visant à interdire effectivement les manifestations sur le campus. La politique, annoncée le 26 mars, vise essentiellement à étouffer toute opposition au génocide israélien en cours à Gaza, soutenu par les États-Unis. Mais elle a des implications bien plus larges de par son attaque radicale du droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, garantis par le premier amendement.
La nouvelle politique de l'université propose d'interdire effectivement toute manifestation sous prétexte d'empêcher la «perturbation» de «l'ordre public» et de la «vie économique» sur le campus. Cela inclut toute activité «obstruant les lignes de vue, émettant des bruits forts ou amplifiés, projetant de la lumière ou des images, ou créant de toute autre manière des distractions importantes». Les étudiants, les professeurs et le personnel qui enfreignent ces règles seront soumis à des mesures disciplinaires arbitraires, pouvant aller jusqu'à l'expulsion ou au licenciement, tandis que les «visiteurs» pourront être accusés d'avoir violé la «loi de la propriété privée de l'État».
Cette politique est si scandaleuse que les sections du Michigan de la National Lawyers Guild (NLG) et de l’American Civil Liberties Union (ACLU) ont chacune émis de longues condamnations. La NLG condamne le «climat de répression néo- maccarthyste à l’Université du Michigan». L’ACLU conclut sa lettre en insistant pour que l’université «abandonne ses efforts pour adopter cette politique au détriment de la liberté d’expression».
Mardi, le président de l'UM, Santa Ono, a envoyé un courrier électronique à toute l’université, indiquant clairement son intention d’appliquer l'interdiction autoritaire de manifestation sur le campus. Cette lettre a été envoyée avant la fin d'une période de «consultations de la communauté» au cours de laquelle les intéressés de l’université ont sans aucun doute exprimé une très grande hostilité à l'égard de la nouvelle politique.
Avec un cynisme mielleux, Ono a écrit que les réponses jusqu’à présent ont fait preuve de « passion et de rigueur», tout en affirmant hypocritement que «nous accueillons favorablement la dissidence et l’expression du plus large éventail d’idées – même les perspectives qui pourraient être impopulaires, bouleversantes ou critiques à l’égard de l’université ».
Dans la phrase suivante, Ono a clairement indiqué que l'université poursuivrait sa politique quoi qu'il arrive, ce qui implique essentiellement que sa proposition était déjà un protocole universitaire: «En même temps, personne n'a le droit de perturber les activités ou le discours licites d'autrui… [Notre actuelle] déclaration sur les droits et responsabilités des étudiants indique clairement que perturber les conférenciers et les événements ne constitue pas un discours protégé par la loi et constitue une violation de la politique de l'université ».
Le mécanisme de «consultation » employé par Ono et le Conseil d’administration est une fraude cynique, visant à donner à sa mesure autoritaire un aspect démocratique de « consentement». Tout son principe en est profondément droitier et répressif.
Il existe un large soutien parmi les étudiants et les professeurs de l’UM en faveur de l’opposition au génocide. Ben, étudiant de premier cycle à l'UM, a fait ce commentaire au WSWS :
Déclarer que « personne n'a le droit d'empiéter sur l'exercice de la parole et les activités d'autrui en perturbant les célébrations, les activités et le fonctionnement normal de l'université » est une tentative évidente d’inverser le scénario en accusant les manifestants de vouloir «porter atteinte à l'exercice de la parole d'autrui» par leurs manifestations. Menacer les manifestants d'expulsion ou de licenciement est une déclaration ouverte que le président Ono a l'intention de restreindre la liberté d'expression et le droit de protester contre la guerre. Cette politique affirme essentiellement que les crimes de guerre et les atrocités commises chaque jour à Gaza sont acceptables, mais que les protestations contre ceux-ci ne le sont pas.
La manifestation de jeudi était la deuxième organisée la semaine dernière par la Coalition TAHRIR, un groupe qui regroupe plus de 90 organisations étudiantes sur le campus. Le taux de participation était environ la moitié de celui de la première manifestation , à laquelle ont participé environ 1 000 personnes. Les organisateurs ont suivi le même schéma de discours, suivis de marches, de chants et d'occupations brèves de divers bâtiments du campus.
Politiquement, la perspective de la Coalition TAHRIR est entièrement paroissiale et réformiste ; elle dirige ses appels et ses dénonciations uniquement contre d’Ono et le Conseil d’administration. Aucun des discours prononcés par les étudiants et le personnel ne faisait même référence au président américain «Joe le génocidaire» Biden ou au Parti démocrate, qui contrôle largement l’administration de l’UM.
Comme lors de la manifestation de la semaine précédente, les organisateurs affiliés à la coalition TAHRIR ont refusé de permettre au candidat du Socialist Equality Party (SEP) pour la vice-présidence à l’élection présidentielle, Jerry White, de s'adresser au public. White a néanmoins pris la parole après le rassemblement. Il a soulevé le rôle politique central du Parti démocrate dans la perpétration du génocide à Gaza et la nécessité pour les étudiants de se tourner vers la classe ouvrière comme seule force sociale capable de mettre fin à la guerre et au système capitaliste.
Les reporters du WSWS ont été chaleureusement accueillis par les participants au rassemblement, dont un enseignant d'Ann Arbor qui a accepté d'être interviewé. S’opposant au rôle des politiciens de la pseudo-gauche associés aux Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) comme Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, l’enseignant a convenu de la nécessité centrale de mobiliser la classe ouvrière pour mettre fin au génocide à Gaza.
Les manifestations répétées à l’UM, ainsi que sur d’autres campus des États-Unis et du monde, ne pourront pas forcer les administrations universitaires à se désinvestir d’Israël, et encore moins à arrêter le génocide, tant qu’elles resteront isolées sur les campus.
Au cours des six derniers mois, Ono et l’administration de l’UM ont clairement et maintes fois exprimé leur hostilité implacable envers les étudiants et leur soutien inébranlable aux armées américaine et israélienne.
En novembre 2023, l'administration de l'UM intervint pour supprimer une résolution du gouvernement central étudiant (CSG en anglais) qui exhortait l'université à reconnaître le caractère génocidaire de la guerre israélienne à Gaza et à se désengager des entreprises profitant du massacre. La résolution avait déjà été votée favorablement par plus de 10 000 étudiants lorsque l'université est intervenue pour la supprimer.
L’université a rapidement interdit toute autre résolution anti-génocide au sein du CSG. Elle n’a rien fait non plus pour défendre deux étudiants pro-palestiniens mis à l’index par les sionistes et faussement accusés (article en anglais) d’avoir violé les règles électorales en matière de courrier électronique, le prétexte frauduleux par lequel l’université a supprimé le vote de la résolution.
Le même mois, la police universitaire a arrêté 40 manifestants étudiants pour avoir organisé un sit-in pacifique pour exiger qu’Ono et le Conseil d’administration cesse la collaboration avec les entités impliquées dans le génocide et prennent clairement position contre le génocide.
En mars, la Coalition TAHRIR a organisé un «référendum populaire» pour présenter une résolution appelant au désengagement de l'UM des entreprises faisant des affaires avec Israël et à l'abandon des charges retenues contre les 40 étudiants.
L'Internationale des jeunes et étudiants pour l'égalité sociale (IYSSE) de l'UM a publié une déclaration (article en anglais) de soutien appelant à un vote «oui» critique sur la résolution, tout en mettant en garde «contre toute illusion que les résolutions de protestation adressées aux responsables de l'université mettraient un terme aux crimes de guerre commis conjointement par le fasciste Netanyahou et son fournisseur militaire, «genocide-Joe» Biden.
L’IYSSE a également mis en garde contre le rôle dominant des organisations de la pseudo-gauche dans la coalition, comme les DSA et sa section jeunesse, l’YDSA, qui utilisent une rhétorique «de gauche» pour bloquer le développement d’un mouvement indépendant contre l’impérialisme américain et canaliser l’opposition des travailleurs et des jeunes derrière le Parti démocrate.
Le «Référendum populaire» s'est déroulé parallèlement aux élections pour le gouvernement étudiant (CSG) des 27 et 28 mars et a recueilli plus de 4 200 voix de soutien. De plus, les étudiants qui se sont présentés sur une plate-forme «Fermez-le» – qui s’engage à fermer le gouvernement étudiant jusqu’à ce que l’université mette fin à ses liens avec l’armée israélienne – ont remporté près de la moitié des sièges à pourvoir à l’assemblée du CSG, y compris ceux de président et de vice-président.
Les étudiants des partis adverses engagent maintenant une action en justice contre les candidats de « Fermez-le », dans le même esprit de droite que celui employé pour faire échouer la résolution anti-génocide de novembre 2023, affirmant que de prétendues subtilités techniques mineures du code électoral devraient disqualifier la victoire des candidats de « Fermez-le ».
Le recours à des mesures de plus en plus autoritaires de la part de l’UM pour réprimer les manifestations est directement lié à la forte escalade de la guerre génocidaire à Gaza et au risque d’une guerre mondiale plus généralisée.
Une nouvelle étape du génocide est en cours en Israël, soutenue par le gouvernement Biden, alors qu’un siège barbare est mis en place autour de la ville méridionale de Rafah, où près de 1,5 million de Gazaouis ont cherché refuge contre les attaques israéliennes. Plus tôt dans la semaine, des informations ont révélé que plus de 400 personnes avaient été massacrées par les Forces de défense israéliennes (FDI) à l'hôpital Al-Shifa, dans le nord.
La famine s’installe parmi la population, dont près de la moitié sont des enfants. Les Nations unies et la Banque mondiale avertissent désormais que la famine est «imminente» à Gaza. Lundi, les FDI ont assassiné sept travailleurs humanitaires internationaux de la World Central Kitchen qui apportaient de la nourriture à la population affamée.
Ces événements horrifiants ont été suivis le même jour par l'assassinat aux mains d’Israël de trois hauts responsables militaires de l'ambassade iranienne de Damas, un acte de guerre qui pourrait déclencher une guerre régionale plus large.
À chaque tournant, le gouvernement Biden a soutenu le génocide et veillé à ce qu’il se poursuive, notamment en réapprovisionnant Israël cette même semaine avec 1 800 bombes pesant près d’une tonne. Cette aide fait suite aux près de 1 000 milliards de dollars alloués à l’armée dans le dernier budget approuvé par Biden, le 23 mars. Un financement qui vise à préparer l’impérialisme américain à une guerre mondiale avec la Russie, l’Iran et la Chine comme cibles principales.
Toute cette barbarie se heurte à une énorme opposition dans la classe ouvrière et sur les campus universitaires du monde entier. Partout dans le monde, la classe dirigeante cherche à réprimer les formes croissantes d’opposition à la guerre et au génocide. La tâche cruciale est de se tourner vers la classe ouvrière internationale, seule force sociale capable d’arrêter la production et la distribution de matériel de guerre, et dont les intérêts objectifs nécessitent une réorganisation socialiste de la société.
(Article paru en anglais le 6 avril 2024)