Perspective

Les dirigeants européens se préparent à la guerre dans le désarroi consécutif à la rupture entre Trump et Zelensky

Le Premier ministre britannique Sir Keir Starmer accueille un sommet des dirigeants européens à Lancaster House, le 2 mars 2025 [Photo by Lauren Hurley/No 10 Downing Street/Flickr / CC BY-NC-ND 2.0]

Les dirigeants de tous les principaux pouvoirs européens – dont la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne – ainsi que le Canada, le ministre turc des Affaires étrangères et le président ukrainien Volodymyr Zelensky se sont réunis à Lancaster House à Londres dimanche. Le but était d’élaborer une réponse unie face à la poursuite unilatérale par le président américain Donald Trump d'un accord avec la Russie concernant l'Ukraine.

Le sommet, convoqué par le Premier ministre britannique Keir Starmer, a non seulement pris acte de la rupture historique des relations américano-européennes, il a encore souligné la réponse des puissances européennes: un engagement à poursuivre et même à intensifier la guerre contre la Russie, incluant le déploiement de jusqu'à 30 000 soldats en Ukraine.

Starmer a annoncé des plans immédiats pour former une «coalition de volontaires» européenne afin de faire respecter un accord de paix en Ukraine, impliquant des «bottes britanniques sur le terrain et des avions dans les airs». Bien que recherchant toujours un soutien américain sous la forme d'un «filet de sécurité de défense aérienne», les projets futurs se concentrent sur un réarmement militaire européen à une échelle jamais vue depuis les années 1930.

Les dirigeants européens s’étaient réunis suite à la confrontation explosive entre Trump et Zelensky à la Maison-Blanche vendredi. Trump et son vice-président JD Vance ont publiquement tancé Zelensky pour son «irrespect» envers les États-Unis, notamment son exigence d’obtenir des  «garanties de sécurité »avant de signer un accord qui aurait donné aux États-Unis le contrôle de la plus grande partie des richesses minérales ukrainiennes.

Trump considère la guerre en Ukraine comme un échec coûteux. Il souhaite désormais un accès immédiat des États-Unis aux terres rares et autres ressources stratégiques ukrainiennes en négociant un accord avec le président Vladimir Poutine – accord qui, selon Moscou, permettrait également aux États-Unis d'accéder à des ressources russes bien supérieures à celles de l'Ukraine.

Une défaite en Ukraine serait un coup majeur pour les pouvoirs européens, tout comme le contrôle par les États-Unis de gisements minéraux vitaux pour les économies du continent. Encore plus inquiétante pour les Européens est la perspective d'une alliance plus large entre les États-Unis et la Russie, perçue comme une menace existentielle. C'est la vraie raison pour laquelle le Royaume-Uni, la France et d'autres pays envisagent désormais de déployer des troupes en Ukraine, risquant une guerre directe avec la Russie – avec ou sans le soutien américain.

À ce stade, Starmer, le président français Emmanuel Macron, la Première ministre fasciste italienne Giorgia Meloni et d'autres soulignent que rien ne se fera sans l'approbation des États-Unis, et que toute proposition européenne sera soumise à l'examen de Trump. Mais quelles que soient les tentatives de compromis et les difficultés rencontrées par Londres, Paris et Berlin, l'orientation prise reste celle d’un conflit ouvert avec Washington.

Le comportement incendiaire et parfois erratique de Trump suit une logique politique et économique claire. Une partie de la classe dirigeante américaine, incarnée par l'homme le plus riche du monde, Elon Musk, considère l'Europe non pas comme un allié mais comme un concurrent direct. Ce groupe est prêt à envisager une alliance politique, économique et même militaire avec la Russie pour contrer ce qu'ils perçoivent comme une menace plus grande pour les intérêts stratégiques des États-Unis: l'Union européenne.

La Russie est une puissance économique mineure, dépendante en grande partie de l'approvisionnement de l'économie mondiale en matières premières, combustibles et produits alimentaires. À l'inverse, l'Europe constitue collectivement le principal rival économique des États-Unis après la Chine, avec une économie dix fois plus importante que celle de la Russie. Trump a attaqué l'UE à plusieurs reprises, la qualifiant d'«atrocité» conçue pour «arnaquer» les États-Unis. Ces derniers jours, il a annoncé son intention d'imposer «très prochainement» des tarifs douaniers de 25 % sur les produits européens.

«L'Amérique d'abord» signifie que désormais l'Europe passe en dernier.

L’Alliance Atlantique, qui maintenait l’Europe sous le parapluie nucléaire américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, fait désormais face à une menace immédiate. Elon Musk a rendu cela explicite dimanche en repartageant une déclaration d’un proche allié de Trump, Gunther Eagleman qui dit: «Il est temps de quitter l’OTAN et l’ONU». Il y ajoute son propre assentiment: «Je suis d’accord». Il a également amplifié un message du député républicain Thomas Massie, qui qualifie l’OTAN de «relique de la guerre froide qui doit être reléguée à une borne d'information parlante au [musée] Smithsonian».

Un aspect important des appels de l'Europe – bien que s’adressant nominalement à Trump – est le calcul que de puissantes factions de la classe dirigeante américaine puissent s'opposer fermement aux ouvertures faites par Trump à Poutine. Représentées politiquement par le Parti démocrate, ces forces nourrissent une profonde hostilité à l'égard de la Russie et considèrent la menace de Trump de faire voler en éclats l'OTAN et d'autres piliers de l'ordre d'après-guerre comme une menace stratégique pour les structures ayant assuré l'hégémonie américaine pendant des décennies.

Les puissances européennes se sont longtemps présentées comme un frein aux pires excès de l'impérialisme américain. Aujourd'hui, leurs désaccords avec Washington sont ouvertement axées sur l'opposition à la paix et sur la poursuite de la guerre en Ukraine, ce qui comprend une promesse de Starmer de consacrer 2 milliards de dollars supplémentaires à l'achat de missiles de défense aérienne.

La seule contrainte à la poursuite agressive des intérêts impérialistes de l’Europe est la vitesse à laquelle elle peut réarmer. Dans toutes les capitales européennes, la principale discussion porte sur l’accélération du développement militaire.

La classe dirigeante allemande envisage de créer un fonds spécial de réarmement d'au moins 200 milliards d'euros, en plus des 100 milliards d'euros déjà dépensés, tout en poussant à la conversion d'industries clés de la production civile à la production militaire. De son côté, l'Union européenne propose la création d'une «banque du réarmement» dotée de 500 milliards d'euros pour financer le renforcement des capacités militaires du continent.

L’institut influent Bruegel écrit que l’Europe pourrait avoir besoin de 300 000 soldats supplémentaires et d’une augmentation annuelle des dépenses militaires d’au moins 250 milliards d’euros à court terme pour dissuader l’agression russe. The Economist cite un chiffre de 300 milliards d’euros.

Le commerce et les conflits militaires exigent une mobilisation totale de la société pour la guerre. Le démantèlement des vestiges de l’État social européen d’après-guerre est le seul moyen pour les gouvernements capitalistes du continent de financer les dépenses militaires exigées aujourd'hui. Et cela signifie mener une guerre contre la classe ouvrière.

Déplorant un «continent endetté, vieillissant, qui croît à peine et ne peut se défendre ni projeter de puissance militaire», The Economist a appelé à une «révolution fiscale». Il explique ainsi que «l’Europe devra réduire ses dépenses sociales: Angela Merkel, l’ex-chancelière allemande, affirmait que l’Europe représentait 7 % de la population mondiale, 25 % du PIB mondial mais 50 % des dépenses sociales.»

Le chiffre avancé par l’Institut Bruegel d’une augmentation de 250 milliards d’euros des dépenses militaires à court terme représente 5 % des 5 000 milliards d’euros consacrés par l’UE aux programmes sociaux (principalement retraites, allocations sociales et soins de santé) et à l’éducation. Pourtant, même cette hausse ne porterait les dépenses militaires qu’à environ 3 % du PIB, contre 1,6 % actuellement, alors que les stratèges de la classe dirigeante évoquent désormais ouvertement des objectifs de 4 %, voire 5 %.

Cette impératif stratégique pour les classes dirigeantes d'Europe – et pas seulement le soutien donné par Trump et Musk – explique la promotion de partis d'extrême droite comme l'Alternative pour l'Allemagne et les Frères d'Italie de Meloni. Ils sont le fer de lance de l'attaque systématique lancée contre les droits démocratiques fondamentaux et de la désignation constante des travailleurs migrants comme boucs émissaires pour promouvoir la réaction nationaliste.

Les manifestations massives et la grève générale qui ont eu lieu vendredi en Grèce soulignent la montée rapide des antagonismes de classe, longtemps réprimés par les syndicats, les partis sociaux-démocrates et staliniens et leurs complices de la pseudo-gauche. Alors que les gouvernements européens intensifient leurs attaques contre la classe ouvrière, des luttes sociales encore plus grandes et plus intenses sont inévitables.

Il faut cependant que ces luttes soient guidées par une nouvelle perspective politique: le programme de l'internationalisme socialiste, qui unit la lutte contre la guerre à la défense du niveau de vie et des droits démocratiques.

Les travailleurs et les jeunes doivent rejeter toutes les tentatives visant à les aligner sur l'un ou l'autre bloc impérialiste, s'opposer à toutes les divisions nationales avec leurs frères et sœurs au plan international, et défier toutes les tentatives visant à leur faire porter le coût du militarisme et de la guerre.

Aucune faction de la classe dirigeante – que ce soit en Amérique, en Russie ou dans n'importe quel pays européen – ne représente la démocratie ou n'offre une quelconque voie à la masse des peuples du monde confrontés à la guerre et à la dévastation socio-économique. Cette voie sera tracée par la lutte socialiste de la classe ouvrière internationale.

(Article paru en anglais le 3 mars 2025)