Avec leur programme de réarmement, les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates allemands déclarent la guerre à la classe ouvrière

Un char de combat Leopard II exposé en guise de publicité au salon de l'automobile d'Essen, en Allemagne, pour recruter dans l'armée allemande (Bundeswehr), le vendredi 1er décembre 2023. [AP Photo/Martin Meissner]

Le Bundestag [parlement] a voté hier pour le plus vaste programme de réarmement depuis le régime nazi. Ce programme fournira au futur gouvernement quelque 1 000 milliards d'euros pour réarmer l'Allemagne, en faire une puissance militaire majeure et lui permettre de faire la la guerre. Cette somme est deux fois supérieure au budget annuel du pays. La CDU/CSU (Union chrétienne-démocrate/Union chrétienne-sociale), le SPD (sociaux-démocrates) et les Verts s’étaient préalablement mis d'accord, assurant ainsi une majorité des deux tiers en faveur de la modification constitutionnelle nécessaire, malgré quelques dissidents dans leurs propres rangs. Le Bundesrat, la deuxième chambre du parlement allemand, doit donner son approbation ce vendredi.

Le programme de réarmement comprend deux parties.

Pour les dépenses militaires – et également, sur l'insistance des Verts, pour les services secrets, la défense civile, la cybersécurité et le soutien à l'Ukraine – est appliqué le principe du « Quoi qu'il en coûte » du chancelier désigné Friedrich Merz (CDU). Le gouvernement est autorisé à contracter à cette fin des emprunts illimités. Toutes les dépenses dépassant 1 pour cent de la production économique annuelle (environ 43 milliards d'euros) sont exemptées du ‘frein à l'endettement’, une règle empêchant les gouvernements allemands d'emprunter de l'argent. Des prêts totalisant 500 milliards d'euros sont en discussion.

Un ‘fonds spécial’ supplémentaire de 500 milliards d'euros d'une durée de 12 ans sera créé pour les investissements dans les infrastructures. Là encore, l'emprunt n'est pas soumis au frein à l'endettement.

Pour détourner l'attention du caractère réactionnaire du programme de réarmement, le SPD, les syndicats, le Parti de gauche et l'Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) présentent le fonds spécial pour les infrastructures comme une réalisation positive.

Le chef du SPD, Lars Klingbeil, a qualifié cette mesure de «formidable impulsion pour l'Allemagne, susceptible de faire avancer notre pays pendant des années, voire des décennies ». La présidente du syndicat IG Metall, Christiane Benner, a salué le fait que les responsables politiques aient «compris qu'il fallait agir rapidement et résolument». Le chef du Parti de gauche, Jan van Aken, a déclaré que son parti était bien sûr favorable aux investissements dans les infrastructures, mais opposé à un «réarmement d’une incroyable ampleur».

En réalité, les 500 milliards d'euros du fonds spécial d'infrastructure, ainsi que les prêts illimités accordés à l’armée allemande (Bundeswehr), servent à préparer la guerre. Les principaux représentants du monde des affaires le disent ouvertement.

Selon Susanne Wiegand, présidente du Comité de sécurité de la Fédération des industries allemandes (BDI) et ancienne directrice de l'entreprise de défense Renk, les systèmes d'armes de la Bundeswehr ne sont pas les seuls éléments nécessaires à une sécurité militaire efficace de l'Allemagne. Les infrastructures contribuaient eux aussi à la résilience économique globale. Les voies ferrées, les ponts et les routes devaient être modernisés afin de permettre le déploiement rapide d'unités plus importantes en cas d'urgence.

Selon le magazine d’affaires Wirtschaftswoche un «représentant de premier plan de l'industrie d'armement allemande» a déclaré que la construction de bunkers, l'optimisation des soins médicaux et l'achat de camions pour le transport lourd capable de transporter des chars Leopard pesant des dizaines de tonnes, «tout ce que les entreprises privées ne peuvent pas faire, sont également importants ».

Il y a deux ans, le commandement territorial de l’armée allemande avait élaboré le « Plan d'opérations Allemagne » (OPLAN DEU), qui compte plus de 1 000 pages et définit l'étroite coopération entre les autorités militaires et civiles en cas de guerre. Ce plan est désormais mis en œuvre grâce au fonds d'infrastructure spécial.

Mais le programme de réarmement n'est pas seulement dirigé contre la Russie et les autres objectifs de guerre de l'impérialisme allemand ; il constitue aussi une déclaration de guerre à la classe ouvrière. Bien que financé par des emprunts, c'est la classe ouvrière qui en supportera le coût à travers les baisses de salaires, les coupes sociales, le rétablissement du service militaire obligatoire, la militarisation de la société tout entière et la suppression des droits démocratiques.

Le chancelier désigné Merz et d'autres dirigeants politiques ont souligné à maintes reprises que malgré l'assouplissement du frein à l'endettement, il ne fallait pas relâcher les mesures d'austérité pour les dépenses sociales.

Les Verts ont même insisté pour que le terme « supplémentaire » soit inscrit dans le texte de loi, condition préalable à leur soutien. Cela signifie que les moyens rendus disponibles par le fonds spécial ne pourront être utilisés que pour des investissements supplémentaires, et non pour des investissements déjà prévus. L'objectif est d'éviter que les fonds débloqués ne soient utilisés pour améliorer les retraites ou augmenter les salaires du secteur public. « Nous avons fait passer des investissements supplémentaires dans les infrastructures et la protection du climat et évité de coûteux cadeaux électoraux », a commenté Sven-Christian Kindler, expert en politique financière du Parti vert, à propos de l'accord.

Le président de l'Institut Ifo, Clemens Fuest, insiste lui aussi sur la nécessité de réformes structurelles et de coupes budgétaires. «Nous devons accepter de perdre de la prospérité», a-t-il déclaré. «Rien ne peut empêcher que nous ayons à nous serrer la ceinture ou à travailler plus.»

Le coût supplémentaire pour le budget allemand entrainés par les centaines de milliards d’euros empruntés est, à lui seul, énorme. Après avoir été ramenée de 82 à 63 pour cent du PIB depuis 2010 grâce à des programmes d'austérité drastiques, la dette nationale devrait à présent, selon les prévisions de l'économiste Lars Feld, atteindre 90 pour cent sur les dix prochaines années. Cela entraînera un coût supplémentaire en intérêts de la dette de 250 à 400 milliards d'euros, qui devra être prélevé ailleurs.

Comme le SPD célèbre l'assouplissement du frein à l'endettement comme une victoire sur la CDU/CSU, qui l'avait catégoriquement rejeté dans la campagne électorale, il fera dans les négociations de coalition des concessions d’autant plus importantes aux partisans d’une ligne sociale dure dans la CDU.

L'accent est mis ici sur l'allocation citoyenne, dont dépendent 5,4 millions de personnes. Merz avait déjà menacé de coupes massives pendant la campagne électorale. Après des discussions exploratoires avec le SPD, il a annoncé : « Nous allons réorganiser le système actuel d'allocation citoyenne en une allocation de base pour les demandeurs d'emploi. Les personnes en mesure de travailler et refusant à plusieurs reprises un travail raisonnable verront leurs allocations totalement supprimées. »

Ce que la CDU/CSU et le SPD excluent catégoriquement, ce sont des charges plus lourdes pour les riches, dont la fortune a considérablement augmenté ces dernières années. Selon Oxfam, la fortune des seuls milliardaires a augmenté en 2024 de 2 000 milliards de dollars dans le monde. En Allemagne, il y avait eu 13 nouveaux milliardaires de plus, portant leur nombre total à 130. Leur fortune avait augmenté de 26,8 milliards de dollars au cours de l'année.

Quiconque possédait des actions ou des biens immobiliers a gagné d'importants revenus supplémentaires sans lever le petit doigt. L'indice boursier allemand a quintuplé en vingt ans, passant de 4 300 à 23 000 points. La valeur totale (capitalisation boursière) des 40 sociétés du DAX atteint désormais près de 2 000 milliards d'euros. Les prix de l'immobilier ont également explosé. Le total du patrimoine immobilier allemand, dont la valeur des terrains, s'élevait à 19 400 milliards d'euros en 2022, soit près de cinq fois le produit intérieur brut.

La domination de la société par des oligarques milliardaires est incompatible avec la compensation sociale, la démocratie et la paix. La lutte pour les marchés, les matières premières et les profits pousse à nouveau le capitalisme à la guerre et à la dictature dans le monde entier. Trump, un fasciste qui a rassemblé autour de lui certains des oligarques les plus riches du monde, occupe désormais la Maison Blanche. L'Allemagne est sur la même trajectoire.

(Article paru en anglais le 18 mars 2025)