Les chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et les sociaux-démocrates (SPD) envisagent une hausse massive des dépenses militaires et des coupes correspondantes dans les dépenses sociales. Un «fonds spécial » supplémentaire pour la Bundeswehr (armée allemande), de 400 milliards d’euros, et un fonds spécial pour les infrastructures, de 400 à 500 milliards d’euros, sont en discussion. Si l’on ajoute à cela le fonds de 100 milliards d’euros pour la Bundeswehr décidé il y a trois ans, cela représenterait des dépenses supplémentaires de près de 1 000 milliards d’euros, soit plus du double du budget allemand actuel.
Cette proposition émane de quatre économistes allemands de premier plan: Clemens Fuest, président de l'Institut Ifo, Michael Hüther, directeur de l'Institut allemand de l'économie, Moritz Schularick, président de l'Institut de l'économie mondiale de Kiel, et Jens Südekum, économiste à l'Université de Düsseldorf. Ils avaient discuté les options de politique budgétaire du futur gouvernement fédéral à l'initiative du ministre des Finances de la Sarre, Jakob von Weizsäcker (SPD).
Selon l'hebdomadaire Die Zeit, qui a pris connaissance du compte-rendu des débats, les quatre économistes sont favorables à ce que les deux fonds spéciaux soient approuvés avant le début de la nouvelle législature, par l'ancien Bundestag (parlement) où la CDU/CSU, le SPD et les Verts disposent de la majorité des deux tiers nécessaire, ce qui n'est plus le cas dans le parlement nouvellement élu.
La CDU et le SPD discutent de projets en ce sens dans le cadre de leurs négociations préliminaires pour une coalition, même si les informations concrètes à ce sujet sont rares, les deux parties ayant convenu de garder une totale confidentialité. Le tabloïd Bild a ainsi rapporté que le chancelier désigné Friedrich Merz (CDU) prévoyait une session extraordinaire du Bundestag le 10 mars.
Ce qui est sûr, c’est que le nouveau gouvernement va se réarmer à un rythme semblable à celui mené sous Hitler, et tout le reste sera subordonné à cet objectif. Après la rupture ouverte entre le président Donald Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, de nombreux représentants de la CDU/CSU, du SPD et des Verts se sont exprimé dans ce sens.
Les négociations de coalition entre la CDU/CSU et le SPD avancent à un rythme accéléré, sous prétexte que l'Allemagne doit démontrer sa capacité d'action et sa volonté de se défendre.
«Les deux partis sont conscients que le monde et l’Europe n’attendront pas l’Allemagne», a déclaré Thorsten Frei, secrétaire parlementaire de la CDU. Il a ajouté que les événements de la politique étrangère avaient pris une tournure négative ces derniers jours et que l’Allemagne devait être en mesure d’agir. « Pour cela, nous avons besoin d’un gouvernement fédéral très rapidement capable de prendre les choses en main.»
Lars Klingbeil, chef du SPD, a insisté pour dire que la clarification des finances devait être une priorité absolue. «C’est un point qui doit être clarifié dès le début des négociations et là où les discussions ont commencé», a-t-il déclaré.
Malgré la période de carnaval en Allemagne, les négociations se poursuivent intensément. Une rencontre a eu lieu mercredi entre Merz et le chancelier sortant Scholz, qui ne participe pas lui-même aux négociations, afin que ce dernier puisse faire des promesses fermes lors du sommet européen de jeudi sur une aide financière et militaire supplémentaire à l'Ukraine et sur un renforcement des forces armées, afin de rendre l'Europe plus indépendante militairement des Etats-Unis.
Les puissances européennes, menées par l’Allemagne, la France et la Pologne, sont déterminées à poursuivre la guerre contre la Russie, qui a déjà fait des centaines de milliers de morts, même si les États-Unis se retirent pour se concentrer davantage sur la confrontation avec la Chine.
L’affirmation qu'il s'agit de défendre la démocratie et de repousser l'agression russe est absurde. En réalité, c'est l'expansion constante de l'OTAN vers l'Est qui a poussé le régime de Poutine à lancer son attaque réactionnaire contre l'Ukraine.
En 2014, les puissances de l’OTAN avaient contribué à l’installation à Kiev d’un régime pro-occidental qui s’appuyait sur des milices fascistes et vénérait comme des héros les collaborateurs nazis de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, Zelensky ne peut se maintenir au pouvoir qu’en emprisonnant les opposants à la guerre, comme le trotskyste Bogdan Syrotiuk, en réprimant les médias critiques et en recrutant de force des soldats parmi la population lasse de la guerre .
Les puissances européennes craignent désormais que Trump ne parvienne à un accord avec Poutine à leurs dépens et ne mette sous son contrôle les précieuses matières premières de l'Ukraine, qu’elles-mêmes convoitent. C'est pourquoi elles veulent désespérément poursuivre la guerre et se réarment frénétiquement.
Les futurs partis d’opposition au Bundestag soutiennent eux aussi ce cours. Les Verts sont même plus belliqueux encore que la CDU et le SPD. Dimanche soir, dans le talk-show «Miosga», la ministre sortante des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Verts) a plaidé pour une participation allemande à une «force de maintien de la paix» en Ukraine. «L’histoire est en train de s’écrire», a-t-elle déclaré. L’Allemagne devait «définitivement» faire partie de la «coalition des volontaires» proposée par la France et la Grande-Bretagne.
Le Parti de gauche a lui aussi fait part de sa volonté de soutenir la politique de guerre du futur gouvernement. Dans une résolution adoptée par le comité exécutif du parti le 1er mars, il déclare: «Trump est en train de porter atteinte au droit international de manière massive et de s’appuyer uniquement sur la loi du plus fort. Le gouvernement allemand et l’UE doivent réagir avec une clarté qui n’a que trop tardé.» Le parti exige «un allègement de la dette de l’Ukraine» et «la suspension du frein à l’endettement […] afin de libérer suffisamment de fonds pour l’aide civile financière à l’Ukraine».
Le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) rejette tout soutien à l'Ukraine, mais appelle à une augmentation du budget d'armement à 5 pour cent du PIB ou plus, afin de faire de l'Allemagne une puissance militaire indépendante.
Une augmentation aussi gigantesque des dépenses de guerre et d’armement nécessite des coupes massives dans les dépenses sociales. Le fait que cette augmentation soit financée par un budget parallèle – un fonds spécial ou un assouplissement du frein à l’endettement – n’y change rien. Dans tous les cas, le gouvernement allemand contracte de vastes dettes entraînant intérêts et remboursements.
Le remboursement des 400 milliards d’euros empruntés par le gouvernement allemand au début de la pandémie de coronavirus coûtera à lui seul 13 milliards d’euros par an pendant 30 ans, à partir de 2028. Si l’on y ajoute les milliards destinés à la Bundeswehr, le coût du service de la dette montera en flèche.
Alors que les participants aux négociations gardent un silence complet pour ne pas provoquer d'opposition, les experts discutent depuis longtemps des coupes sociales qui seront selon toute probabilité incluses dans l'accord de coalition. Le quotidien Frankfurter Allgemeine en parle sous le titre «Financement du réarmement: allocation parentale en baisse, défense en hausse ?»
Les coupes budgétaires proposées vont de la suppression totale de l’allocation parentale (Clemens Fuest, président de l'Ifo) à la baisse de la pension de retraite des mères (Monika Schnitzer, présidente des Experts économiques), en passant par la suppression de la retraite anticipée à 63 ans (Jens Südekum , membre du SPD et conseiller du ministre de l'Economie Robert Habeck) et la fusion de l’allocation citoyenne, des allocations logement et de l’allocation pour enfants, afin de renforcer les «effets incitatifs sur le marché du travail» (Lars Feld, conseiller de l'ancien ministre des Finances Christian Lindner).
Mais ce ne sont là que quelques-unes des cruelles conséquences de la mise en état de guerre de l’économie et de la société. Le réarmement et la guerre nécessitent également des soldats qui peuvent être massacrés pour les intérêts impérialistes. On évoque également depuis un certain temps la réintroduction du service militaire obligatoire et l’élargissement de la Bundeswehr à un demi-million de soldats et de réservistes. Et alors qu’on détruit des emplois à grande échelle dans l’industrie automobile, l’industrie des sous-traitants et l’industrie chimique, on commence à convertir des entreprises à la production de guerre.
Personne n’a voté pour cette politique aux élections législatives du 23 février. Les partis politiques et les médias ont délibérément axé la campagne électorale sur la question de l’immigration et sur l’agitation anti-réfugiés et anti-immigrés. Ils ont par là détourné l’attention des véritables questions et ils ont renforcé l’AfD. Ils continueront à l’avenir à utiliser le parti d’extrême droite pour intimider et réprimer la résistance au militarisme, à la guerre et aux coupes sociales.
Seul un mouvement indépendant de la classe ouvrière internationale liant la lutte contre la guerre et l’austérité à un programme socialiste de renversement du capitalisme, peut stopper cette évolution.
(Article paru en anglais le 5 mars 2025)