Les conservateurs remportent un troisième mandat en Ontario avec une campagne de nationalisme canadien appuyée par les syndicats

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, et ses progressistes-conservateurs ont remporté un troisième mandat lors des élections provinciales de jeudi, à l'issue d'une campagne dominée par un battage de nationalisme canadien.

Ford, qui a présidé à des attaques soutenues contre les services publics et les droits des travailleurs depuis 2018, a pu se présenter tout au long de la campagne comme un homme du peuple, menant « Équipe Canada » contre les menaces du président américain Donald Trump d'imposer des tarifs douaniers punitifs et d'annexer le Canada. Le fait qu'il ait pu transformer cela en victoire électorale est entièrement dû à la faillite politique des néo-démocrates et des libéraux dits « progressistes », et au musèlement de l'opposition de la classe ouvrière par les bureaucraties syndicales.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, à la tribune, entouré du président de la section locale 1285 d'Unifor, Vito Beato (à gauche), et du maire de Brampton, Patrick Brown [Photo: X/Doug Ford]

Ford a déclenché les élections anticipées à la fin du mois de janvier, plus d'un an avant la date prévue, les présentant comme nécessaires pour assurer à son gouvernement un « mandat fort » afin de « protéger l'Ontario » de la menace de Trump d'imposer des droits de douane de 25 % sur les importations canadiennes.

Il s'agissait d'une supercherie monstrueuse. La préoccupation de Ford est, comme elle l'a toujours été, de promouvoir les intérêts du capital canadien aux dépens de la classe ouvrière au pays et des rivaux de l'impérialisme canadien à l'étranger.

Les conservateurs ont obtenu une majorité parlementaire décisive, en remportant 80 des 124 sièges de la législature de l'Ontario, avec une part de 43 % du vote populaire. Cependant, le soutien réel du gouvernement est bien moins important qu'il n'y paraît. Seuls 45 % des électeurs ont choisi de voter, ce qui représente une légère hausse par rapport au niveau historiquement bas de 43 % enregistré en 2022, ce qui signifie que moins d'un Ontarien sur cinq a réellement voté pour les conservateurs.

Le NPD, le parti traditionnel de la bureaucratie syndicale, a réussi à conserver son statut d'« opposition officielle », mais uniquement grâce aux aléas du système électoral uninominal à un tour. Avec une part de 18,6 % des voix, il a remporté 27 sièges, contre 31 en 2022 et 40 en 2018, lorsque les libéraux ont été réduits à l'état de croupion après 15 ans de règne de droite et d'austérité.

Depuis 2018 – une période pendant laquelle le NPD fédéral a passé la quasi-totalité de son temps, avec l'encouragement des syndicats, à soutenir le gouvernement libéral minoritaire de Trudeau – le soutien au NPD de l'Ontario s'est effondré, le parti ayant perdu plus de la moitié de ses électeurs. Alors que le NPD avait remporté 1,93 million de voix en 2018, il n'en a recueilli que 931 000 lors des élections de jeudi, soit une baisse de 15 points de pourcentage de sa part du vote populaire.

Les libéraux ont réussi à obtenir 14 sièges, soit deux de plus que les 12 nécessaires pour obtenir le statut de parti officiel à l'Assemblée législative. Les trois sièges restants ont été remportés par les Verts (deux) et par un indépendant aligné sur les conservateurs.

La promotion du nationalisme canadien et le musèlement de la lutte des classes par le NPD et les syndicats

La campagne électorale de Ford était basée sur le grand mensonge actuellement colporté par l'ensemble de la classe dirigeante canadienne à travers ses partis politiques et ses médias selon lequel « nous sommes tous dans le même bateau » face aux menaces de tarifs douaniers de Trump et nous devons nous rallier à l'« Équipe Canada » de la classe dirigeante. Ford – un admirateur de longue date de l'occupant fasciste de la Maison-Blanche qui a mis en œuvre des politiques sociales que Trump lui-même approuverait – a souvent été vu sur la piste de campagne avec une casquette « Le Canada n'est pas à vendre ».

Le soir de l'élection, le premier ministre a continué à clamer le nationalisme canadien, déclarant dans son discours de victoire : « Eh bien, mes amis, le peuple s'est exprimé. Ils sont prêts à défendre le Canada. Donald Trump pense qu'il peut nous briser [...] Il nous sous-estime. Il sous-estime la résilience du peuple canadien, la détermination du Canada. »

Dans la mesure où de telles formules réactionnaires ont pu rejoindre un auditoire, la responsabilité en incombe à la bureaucratie syndicale et aux sociaux-démocrates du NPD. Pendant des décennies, ces forces ont promu le nationalisme canadien, opposant un capitalisme canadien prétendument « progressiste » à la république rapace du dollar américain, et l'ont utilisé pour diviser les travailleurs à travers l'Amérique du Nord, facilitant ainsi une attaque soutenue contre les salaires et les conditions de travail des travailleurs des deux côtés de la frontière, qui se poursuit encore aujourd'hui.

Un épisode crucial de ce processus a été la scission provoquée par la section canadienne des Travailleurs unis de l'automobile (TUA) pour former le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile en 1985, sur la base d'un syndicat canadien prétendument plus « militant ». Les TCA, qui sont devenus Unifor en 2013, ont participé à la destruction de dizaines de milliers d'emplois dans l'industrie automobile et manufacturière, en particulier dans le sud de l'Ontario. CAW/Unifor a bloqué toute opposition commune de la classe ouvrière aux attaques des patrons en dressant les travailleurs américains et canadiens les uns contre les autres. Ce processus s'est poursuivi lors des négociations du Detroit Three en 2023, lorsque Unifor, comme les bureaucrates de l'UAW, s'est opposé à toute lutte commune contre les patrons de l'automobile, bien que, pour la première fois depuis des décennies, les travailleurs canadiens et américains négociaient simultanément de nouvelles conventions collectives.

Au cours des sept dernières années, les syndicats et leurs alliés du NPD se sont systématiquement efforcés d'étouffer l'opposition des travailleurs à l'austérité implacable de Ford, à l’assaut sur les droits démocratiques, à la privatisation des soins de santé et aux cadeaux faits à ses copains de l'élite financière et du monde des affaires. Il a notamment réprimé une vague de grèves soutenue qui a balayé tous les secteurs économiques de l'Ontario et du Canada depuis la fin de l'année 2021. Le NPD a également collaboré avec Ford pour qualifier d'« antisémites » les manifestants qui s'opposent au génocide des Palestiniens par Israël, notamment en expulsant l'une de ses propres législatrices de l'Ontario, Sarah Jama, du caucus parlementaire du NPD et en l'empêchant de se présenter sur la liste des candidats du parti. Candidate indépendante, Sarah Jama a perdu son siège à Hamilton-Centre au profit du candidat du NPD jeudi, terminant en quatrième position avec un peu moins de 15 % des voix.

De nombreux dirigeants syndicaux ont franchi l'étape logique suivante dans leur rôle de policiers de la lutte des classes en soutenant ouvertement Ford pendant la campagne électorale ou en l'implorant – comme la présidente de la Fédération du travail de l'Ontario, Laura Walton – de collaborer avec lui pour formuler la réponse de l'Ontario à la guerre commerciale qui se profile à l'horizon.

Cette réponse consistera à intensifier les attaques contre les services publics, les emplois, les conditions de travail et les programmes sociaux, et à trouver de nouveaux moyens de réduire les impôts et d'augmenter les subventions accordées à l'élite patronale. Dans son discours de victoire, le soir de l'élection, Ford a tenu à déclarer qu'il avait obtenu un « mandat fort ». Ce mandat, s'est-il vanté, consiste à faire de « l'Ontario l'endroit le plus compétitif du G7 pour investir, créer des emplois et faire des affaires », et à utiliser la police et de nouvelles lois répressives pour démanteler les campements de sans-abri.

L'« unité nationale » : un écran de fumée pour la guerre de classe

La victoire de Ford a été chaleureusement accueillie par l'ensemble de l'establishment politique canadien. Le premier ministre libéral Justin Trudeau, présenté depuis des années par les bureaucraties syndicales comme un allié « progressiste » dans la lutte contre Ford et les conservateurs, a écrit sur X : « Félicitations, Doug Ford, pour votre réélection. L’Ontario et le Canada se portent mieux lorsqu’on travaille ensemble pour défendre nos intérêts, protéger nos travailleurs et rendre la vie plus abordable. Je vous souhaite tout le succès possible au service des Ontariens. »

La CBC, le radiodiffuseur public canadien financé par le gouvernement, a eu du mal à dissimuler son enthousiasme face à la campagne nationaliste forcenée qui a abouti à la victoire de Ford. L'obtention d'un troisième mandat par Ford est « le résultat d'une campagne qui s'est concentrée sans relâche sur la seule question qui préoccupe actuellement les Canadiens, d'un leader qui a travaillé sans relâche pour tirer le meilleur parti de son opportunité et d'un timing politique parfait », s'enthousiasme son principal article d'analyse des élections. « Le succès en politique signifie gagner des élections, et le triple triomphe de la majorité signifie que le nom de Doug Ford doit désormais figurer dans les conversations sur les premiers ministres de l'Ontario qui ont le mieux réussi de tous les temps. »

La grève des travailleurs de l'éducation de l'Ontario, qui, à son apogée, menaçait de déclencher une grève générale à l'échelle de la province, a marqué une nouvelle étape dans l'opposition de la classe ouvrière à l'austérité capitaliste et aux réductions de salaire. Ci-dessus, les grévistes et leurs sympathisants se rassemblent devant l'Assemblée législative de l'Ontario, le 4 novembre 2022.

Le blitz visant à couronner Ford – un multimillionnaire qui a hérité sa richesse de son père, qui était également un législateur conservateur en Ontario – comme l'un des principaux porte-drapeaux de la nation canadienne n'est pas moins répugnant que l'adoption de Trump par l'oligarchie américaine. En commençant sa carrière politique par une campagne à la Trump en 2018, basée sur des prétentions bidon à défendre les « gens ordinaires » contre les « élites » du centre-ville de Toronto, Ford s'est imposé comme l'un des principaux responsables de l'application de l'austérité sauvage et du saccage des droits des travailleurs au Canada. Ce programme de guerre de classe va de pair avec l'investissement par l'impérialisme canadien de dizaines de milliards de dollars pour mener des guerres agressives dans le monde entier à la poursuite de ses intérêts mondiaux. Son bilan en matière de « profits avant la vie » pendant la pandémie de COVID-19, de piétinement des droits des travailleurs, notamment en invoquant la « clause dérogatoire » pour criminaliser de manière préventive une grève imminente du personnel de soutien à l'éducation, de coupes sombres dans les budgets des écoles et de l'enseignement post-secondaire, de réorientation des budgets de santé publique vers des fournisseurs privés et de déréglementation des entreprises témoigne de l'absurdité des affirmations des syndicats, des libéraux et des néo-démocrates selon lesquelles les travailleurs ont des intérêts communs avec des personnes comme Ford et ses bailleurs de fonds dans le cadre d’« Équipe Canada ».

La lune de miel de l'élite dirigeante après la victoire de Ford sera de courte durée. Trump a promis cette semaine que des droits de douane de 25 % entreraient en vigueur contre les importations canadiennes à partir du 4 mars, ce qui déclenchera des mesures de rétorsion de la part du Canada, que Trudeau et Ford ont pris l'initiative de promouvoir. Mais que les droits de douane soient introduits comme prévu ou qu'un nouveau report de dernière minute soit convenu, les classes dirigeantes des deux côtés du 49e parallèle intensifient déjà leur assaut contre la classe ouvrière pour lui faire payer les coûts de la guerre commerciale et du réarmement militaire.

La classe ouvrière entrera donc tôt ou tard en conflit frontal avec le gouvernement Ford en Ontario, comme tous les travailleurs canadiens et américains le feront avec le successeur bientôt couronné de Trudeau à Ottawa et Trump à Washington. Dans cette lutte, les travailleurs devront affronter les syndicats et le NPD, qui se sont engagés à soutenir Ford et la classe dirigeante canadienne en imposant les coûts de la guerre commerciale aux travailleurs. La chef du NPD de l'Ontario, Marit Stiles, a fait remarquer le soir de l'élection : « Je veux vraiment lui offrir toute l'aide possible que nous pouvons lui apporter face à la menace de Donald Trump. La menace est réelle et je suis profondément convaincue que nous pouvons la surmonter grâce à une approche solide d'Équipe Ontario et d'Équipe Canada. »

La présidente d'Unifor, Lana Payne, a renchéri en disant dans sa déclaration post-électorale : « Nous attendons pleinement du gouvernement Ford qu'il revienne à la priorité urgente de défendre les bons emplois en Ontario et d'assurer une économie plus résiliente pour les générations futures. Le gouvernement Ford doit le faire en écoutant les conseils des travailleurs et de leurs syndicats ». En d'autres termes, Payne donnera à Ford des « conseils » sur la manière d'organiser les licenciements, les baisses de salaire et l'affaiblissement des droits des travailleurs sans déclencher une explosion sociale.

Comme l'a expliqué le World Socialist Web Site dans un article analysant les élections en Ontario, « Les travailleurs de l'Ontario ne peuvent pas défendre leurs intérêts fondamentaux et s'opposer au programme de guerre de classe de Ford à l'intérieur des frontières de la province. Rejetant le nationalisme toxique colporté par Ford, Trudeau, les bureaucrates syndicaux et Trump, les travailleurs doivent entreprendre une lutte pour la mobilisation industrielle et politique de la classe ouvrière à travers le Canada, en alliance avec leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique et à l'échelle internationale, contre l'assaut de l'élite dirigeante sur les droits démocratiques et sociaux des travailleurs. Cela exige une rupture politique et organisationnelle complète avec l'alliance étouffante des syndicats, du NPD et des libéraux, et une orientation vers un programme socialiste et internationaliste. Pour défendre cette stratégie, un nouveau parti – le Parti de l'égalité socialiste – doit être construit pour diriger politiquement les luttes de la classe ouvrière nord-américaine. Nous encourageons vivement tous les travailleurs et les jeunes qui sont d'accord avec cette stratégie à prendre la décision aujourd'hui de rejoindre et de construire ce parti. »

(Article paru en anglais le 28 février 2025)